Homélie de la Messe d’action de grâce pour le Bienheureux martyr Joseph Boissel

Dimanche 18 décembre, à l’église du Loroux en Ille-et-Vilaine, une messe d’action de grâce était célébrée pour le Bienheureux martyr Joseph Boissel, béatifié le dimanche précédent au Laos parmi les « 17 martyrs du Laos ». Voici l’homélie de Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, Dol et Saint-Malo.

> Béatification du père Joseph Boissel au Laos

« Demande pour toi un signe de la part du Seigneur »,  avons-nous entendu dans la Première Lecture du prophète Isaïe (Is 7,10). Le Laos a demandé un « signe », celui qui se résume dans « Emmanuel », c’est-à-dire « Dieu avec nous » (Is 7,14). Oui, Dieu est « avec » les enfants du Laos.

Il fallait quelqu’un qui lui apporte ce « signe ». Ce furent les missionnaires, singulièrement les Oblats Missionnaires de Marie Immaculée. Parmi eux, notre Bienheureux Joseph Boissel a apporté ce « signe » de Jésus, nouveau-né couché dans une crèche, « signe » de la Vierge qui enfante, « signe » de la Mère avec son nouveau-né dans une crèche.

Le Bienheureux Joseph Boissel fut ainsi un « serviteur du Christ », un « apôtre », exactement de la même manière que Paul qui fut « mis à part pour l’Évangile de Dieu » (Rm 1,1), comme nous l’avons entendu dans la Deuxième Lecture. Depuis deux mille ans, le Seigneur choisit des missionnaires. Joseph, un enfant du Loroux, fut l’un d’eux. Il entendit « suis-moi » et fut « mis à part pour l’Évangile ». Il fut « appelé à être apôtre » et il partit pour le Laos.

Qui aurait imaginé qu’un enfant du pays, un breton, soit ainsi appelé et devienne un Bienheureux martyr ? Rendons grâce à Dieu qui nous a donné ce Bienheureux. Rendons grâce à Dieu, vous qui êtes de la commune du Loroux, et vous qui êtes de la communauté hmong et qui êtes si nombreux dans cette église du Loroux.

Se sanctifier dans les malheurs de la guerre

Qui était le Bienheureux Joseph Boissel ? Au Laos, il connut les difficultés de la guerilla communiste car les communistes voulaient pénétrer dans le pays. Le père Joseph Boissel connut toutes ces difficultés. Voici ce qu’il écrit : « On ne dira jamais assez les malheurs de la guerre. » Comme cette phrase résonne étonnement juste aujourd’hui pour tant de lieux où la guerre sévit ! Oui, « on ne dira jamais assez, jamais assez… les malheurs de la guerre »

Pour le père Boissel, il s’agit du Laos : « On ne dira jamais assez les malheurs de la guerre pour le petit peuple du Laos… Depuis plus de dix ans leurs groupes armés répètent les mêmes slogans, annoncent monts et merveilles une fois la victoire obtenue… En attendant, ce ne sont que réquisitions de riz, corvées au service des combattants, arrestations et disparitions, climat de peur et de suspicion… C´est sous cette menace que nous vivons tous actuellement. » Alors le père Boissel continue : « Il nous faut cependant tenir jusqu´au jour où Dieu nous donnera la paix. » Tenir ! Telle est son attitude qui manifeste son espérance en Dieu.

En tenant ainsi au milieu de tant de difficultés, le père Boissel ne reste pas à rien faire. Écoutons-le : « Je continue donc à visiter régulièrement tous ces gens, de donner à tous des paroles d´espoir, aux chrétiens un secours surnaturel qui les aide à sanctifier ces misères du moment. » Le père Boissel s’adresse à tous pour leur redonner de l’espoir. Voilà le missionnaire qui veut parler à tous, sans exception. Aux chrétiens, il offre le secours surnaturel de la Parole de Dieu, de l’Eucharistie, du Baptême, de la Confession. Il a en vue la perspective la plus chrétienne qui soit : il s’agit de « sanctifier » ces moments de misères.

La mort dans l’âme, vivre avec les gens

Mais le père Boissel partage la douleur du peuple au milieu duquel il vit : « Le plus souvent j´arrive les mains vides et je souffre de ces yeux brillants qui s´accrochent à moi, qui attendent quelque soulagement matériel que je ne puis leur apporter… Écrasé par de telles misères, on reste la mort dans l´âme, navré de son impuissance. » Comment ne pas insister sur ses mots à lui ! Notre enfant du Loroux, devenu missionnaire, est « écrasé », il a « la mort dans l’âme », il expérimente son « impuissance ».

Le futur évêque de Louang Prabang témoigne sur le père Boissel : « Pour lui, la mission c´était annoncer l´Évangile, vivre avec les gens, soigner les malades et vivre dans la pauvreté. » Nous le savons, le « signe » qui nous est donné pour notre foi, c’est « Dieu avec nous ». Voilà notre père Joseph Boissel qui est « avec » les gens. Le témoignage continue ainsi : « Il était généreux, toujours prêt à rendre service aux gens. Il disait qu´il avait donné sa vie pour le Laos, qu´il voulait y mourir et ne voulait certainement pas retourner en France. Je pense que le Seigneur l´a exaucé. » Oui, Dieu avec nous, Jésus a vécu avec nous et est mort au milieu de nous, sur la croix. Il est le martyr par excellence.

Avoir donné sa vie au Seigneur

Or, le père Boissel avait bien conscience qu’il avait donné sa vie à Jésus-Christ et qu’ainsi il mourrait au Laos. Un petit événement le montre. Lors de son dernier déplacement en voiture pour aller célébrer la messe dans un petit village, il partit avec deux religieuses. Un jeune laotien se glissa dans la voiture à l’insu du père Boissel. Ce dernier s’en rendit compte. Il le fit sortir tout de suite de la voiture car il savait que c’était dangereux. Mais l’argument qu’il donna est fort, selon ce que rapporte une religieuse : « Tu ne dois pas venir avec nous… Moi, le prêtre, et les deux Oblates, nous avons donné notre vie au Seigneur. Mourir, pour nous, ça ne fait rien, notre vie est offerte au Seigneur. Mais toi, tu ne dois pas venir avec nous ! »

Le futur évêque de Louang Prabang rapporte aussi un exemple pittoresque qui en dit long sur le père Boissel qui a donné sa vie au Seigner : « Un jour, la guérilla s´était avancée jusqu´à proximité de son village. Il s´échappa à cheval, tenant d´une main la bride et de l´autre le ciboire avec la sainte réserve. » Comment ne pas voir ici l’amour de l’Eucharistie chez ce prêtre ! Il refusait que le Saint-Sacrement soit blasphémé. On devine quel amour du prêtre pour le Seigneur Jésus, et plus particulièrement pour la célébration de la Messe.

La charité du prêtre, homme de prière

D’ailleurs, des laïcs laotiens en témoignent : « Il était cordial et franc, proche des gens. Il était fidèle à visiter les malades, les personnes âgées; il aimait beaucoup les enfants. Ce qu´il a fait était vraiment beau. C´était un homme bon ; tous sont venus à son enterrement. Quand il célébrait la messe ou prêchait, c´était un homme de Dieu… Il était zélé. La vie de la paroisse était bien organisée : fêtes, processions… il faisait tout avec cœur ; les gens affluaient de partout. » On devine une grande charité dans le cœur de ce prêtre, attentif à ce que tout soit bien organisé pour le bien de tous.

Avec patience, il enseignait le chemin du bien. Les deux témoins poursuivent : « Il inculquait le sens de la confession, encourageait les gens à améliorer leur vie. » En inculquant la confession, il enseignait la miséricorde de Dieu, et il montrait le chemin du bien, qui est le chemin de la sainteté à laquelle nous sommes tous appelés, comme cela a été dit au début de la Messe.

Les deux témoins continuent : « Il avait un grand esprit de foi et un grand amour des anciens et des malades. Si on lui signalait un malade, il partait aussitôt. Tous se souviennent de ses sacrifices, de sa foi, de son amour pour tous. Il faisait tout pour les autres. » Comment ne pas voir ici ce que le concile Vatican II appelle « la charité pastorale » ! Dès qu’on lui signale un malade, il part « aussitôt ». Voilà la charité du prêtre qui a donné sa vie. Plus rien ne compte si ce n’est « les autres ». Le jour de son Ordination, le prêtre abandonne ce qu’il aimait faire, il se donne tout entier au service des autres.

Un religieux Oblat de Marie Immaculée témoigne que le père Boissel était un « homme de prière ». Oui, le père Joseph Boissel priait, et c’est ainsi qu’il se ressourçait, qu’il puisait la charité dans le cœur de Dieu afin d’avoir un cœur de prêtre rempli de charité.

Le sang des martyrs

Et la charité la conduit à livrer sa vie en versant son sang ! Entre chrétiens, il n’y a pas de séparations. Bretons et hmongs, nous sommes tous de la famille de Jésus-Christ. Le père Boissel a versé son sang à cause de Jésus-Christ, exactement comme Paul, catéchiste hmong, qui versa son sang, ainsi que Thomas, jeune catéchisé de 16 ans, enfant du Laos qui versa lui aussi son sang. Tous les trois sont unis en versant leur sang à cause de Jésus-Christ, grâce à Jésus-Christ.

C’est ainsi que la béatification les réunis comme martyrs du Seigneur Jésus, avec quatorze autres martyrs au Laos. Béatifiés ensemble au Laos le 11 décembre dernier, on peut dire que le petit Joseph qui a grandi ici au Loroux, en terre bretonne, est devenu fils du Laos. Son sang a été versé pour les enfants de ce pays, pour les hmongs qu’il est allé rejoindre dans les montagnes.

Rendons grâce à Dieu pour le Bienheureux martyr Joseph Boissel ! Qu’il prie pour nous et nous aide tous et chacun à avancer vers la sainteté qui est la perfection de l’amour, là où nous sommes appelés. Je vous laisse avec ces mots du père Boissel qui sont sur l’image : « Restons attachés à Dieu et faisons-lui confiance. Il sait, Lui, ce dont nous avons besoin. »