Mgr d’Ornellas reçoit la Légion d’Honneur et remercie les personnes handicapées, « ses maîtres »

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Mgr d’Ornellas avec le Préfet de Bretagne et d’Ille-et-Vilaine

Jeudi 19 janvier 2017 à la communauté de l’Olivier à Bruz, Mgr Pierre d’Ornellas a reçu les insignes de Chevalier de la Légion d’Honneur des mains de Maryannick Pavageau, tétraplégique.

Le cadre pouvait surprendre : point de lambris dorés et de lustres magnifiques ! La cérémonie de remise de la Légion d’Honneur s’est déroulé dans une salle de l’ESAT de la Communauté de l’Olivier. C’est, entouré des membres de la communauté – personnes handicapées mentales et assistants –, des personnalités invitées et de représentant du diocèse, que l’Archevêque de Rennes a voulu vivre ce moment. Autre symbole : Maryannick Pavageau, qui a remis officiellement à Mgr d’Ornellas la décoration au nom de la République Française, est tétraplégique depuis l’âge de 29 ans, après un AVC suivi d’un locked-in-syndrom. Elle s’est fait assister de son mari pour lire son discours, et du Préfet de Bretagne et d’Ille-et-Vilaine, Christophe Mirmand, pour remettre la médaille.

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« Quand il ne reste que le regard »

Maryannick Pavageau, qui vit près de Nantes, a tenu à remercier l’Archevêque de Rennes de l’avoir choisie pour cet évènement : « Vous m’avez rendue «  Bien Heureuse », car cet honneur à travers moi est fait à toutes les personnes en situation de handicap, même le plus profond, celles à qui il ne reste que le regard, regard à donner, à échanger. » Elle a été nommée Chevalier de la Légion d’Honneur et Officier de l’Ordre National du Mérite, en 2008, puis promue Commandeur de l’Ordre National du Mérite en 2015.

Avec son mari, elle est membre de l’antenne régionale du Grand-Ouest de l’association Alis, Association du Locked-In Syndrome. Elle est très engagée pour le respect des personnes malades ou en fin de vie. Dans ce cadre, elle a rencontré Mgr d’Ornellas dans sa mission de Responsable du Groupe de travail sur la fin de vie pour la Conférence des évêques de France. Elle remarque dans son discours : « Vos propos sur la bioéthique  sont documentés, tous les spécialistes et  professionnels de ces questions y trouvent sujet à étude et réflexion. (…) C’est avec bonheur que vous faites se tutoyer Foi et Raison. »

« Chers amis de l’Olivier, elle vous est destinée »

Après avoir reçu le ruban rouge, Mgr d’Ornellas a souhaité dédier cette reconnaissance aux personnes handicapées rencontrées tout au long de sa vie, « mes maîtres, qui, par leur amour de la vie et de l’autre, vécu dans leur faiblesse douloureusement expérimentée, m’ont tant appris ». De Nathalie et Roland, connus en 1974 alors qu’il était étudiant à Lille, à la communauté de l’Arche – dont il est l’accompagnateur au niveau international –, en passant par deux prêtres, hémiplégiques : « Merci à l’Arche, à ses membres et ses amis. Si la Légion d’honneur distingue quelqu’un qui fait du bien à la société, alors, chers amis de l’Olivier, elle vous est destinée. »

L’Archevêque de Rennes à ensuite évoqué Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, qui a voulu que lui soient remis les insignes de la Légion d’honneur : « J’y vois un encouragement au « dialogue » qui, depuis 2009 surtout, a nourri mon investissement dans la recherche au sujet des questions sociétales de bioéthique et de fin de vie. Il m’est vite apparu que le « dialogue » exige plus qu’une discussion ou un débat, même menés avec respect. S’il exige la recherche déterminée et le labeur rigoureux, il réclame surtout l’écoute. Nul ne s’y engage pour imposer ses opinions ou ses idées. Car l’enjeu du dialogue n’est rien moins que la vérité. On entre en dialogue comme on entre en religion, par amour de la vérité. »

Il a poursuivi : « J’en suis arrivé à la conclusion suivante : la vie, chaque vie mérite d’être écoutée, sans a priori, de façon virginale, pour que se dévoile sa beauté. Cela peut prendre du temps, beaucoup de temps. Mais l’écoute, reprise inlassablement, trace le chemin de ce dévoilement qui instruit et fait grandir. La beauté de chaque vie se dévoile. Cette beauté se reçoit. Merci à tous ceux qui me l’ont appris. »

Une communauté et un établissement médico-social

Pour terminer, la communauté de l’Olivier a chanté une chanson qui lui est chère : « Tout homme est une histoire sacrée ». Cette communauté de l’Arche fondée en 1989 à Bruz, accueillait la cérémonie dans son ESAT « Les Ateliers de l’Olivier » (Établissement et Service d’Aide par le Travail). Une dizaine de personnes handicapées peuvent y travailler, pour fabriquer par exemple des statuettes ou des confitures. L’Olivier compte quatre foyers qui regroupent 45 personnes handicapées. Dans chaque foyer, ceux-ci partagent leur vie avec des assistants, présents pendant une durée allant de quelques mois (volontaires) à de nombreuses années (salariés).

L’Olivier est une communauté catholique, mais c’est aussi un établissement du secteur médico-social agréé par le Conseil Départemental d’Ille-et-Vilaine. Les Communautés de l’Arche, fondées en 1964 par Jean Vanier, sont présentes à travers le monde avec 150 communautés sur les 5 continents, dans 38 pays.


 

Textes des discours

TELECHARGER : Légion d’Honneur de Mgr d’Ornellas : discours de Mme Maryannick Pavageau
TELECHARGER : Légion d’Honneur de Mgr d’Ornellas : discours de Mgr d’Ornellas

 

Discours de Mgr Pierre d’Ornellas

Paroles prononcées après avoir reçu les insignes de Chevalier de la Légion d’honneur
de Madame Maryannick Pavageau,
le 19 janvier 2017, à l’Olivier (Bruz)

Il est des moments singuliers où la séparation entre les Églises et l’État s’estompe. C’est le cas ce soir, quand les insignes de la Légion d’honneur sont posés par un représentant de l’État sur un ecclésiastique catholique qui représente l’Église Catholique.

Monsieur le Préfet, soyez vivement remercié d’avoir acquiescé à la demande de Mme Pavageau et d’avoir fait ce geste qui m’honore. Plus que tout discours, votre geste silencieux dévoile ce que l’expression « séparation » pourrait vouloir dire. Il relie l’Église et l’État dans un beau dialogue.

En recevant ces insignes, je suis persuadé qu’ils sont donnés à celles et ceux qui m’ont appris ce qu’est la vie, en en étant simplement des témoins. Ils m’ont fait saisir la portée infinie de ce propos de l’Évangile : « La vie est la lumière des hommes. »

Je vous remercie, Mme Pavageau, chère Maryannick, d’être ma marraine. Vous m’avez beaucoup appris. J’ai lu certaines de vos interventions. Je vous ai écoutée. Vous êtes pour moi un témoin de la vie, de sa beauté et de ses joies, un témoin de la vie reçue et aimée. Dans la faiblesse qui est la vôtre depuis de nombreuses années, vous m’avez convié à dépasser toutes les aptitudes extérieures pour aller au cœur de la vie, pour comprendre qu’elle est faite de bonheurs dans la simplicité, pour saisir que l’amour, manifesté par l’entourage familial et par l’amitié fidèle, fixe le prix inaliénable de la vie.

Vous êtes aussi pour moi un témoin en m’instruisant sur votre manière de porter témoignage. Vous le donnez en toute simplicité ; vous faites simplement part de votre expérience ; vous la confiez à celles et ceux qui veulent bien l’écouter et la recevoir, ne posant pas de jugement sur celles et ceux qui réagissent différemment, souffrant avec patience quand vous sentez que votre témoignage n’est pas reçu, posant alors doucement cette question : « Est-ce qu’on me laissera le droit de dire que j’aime la vie ? »

Chère Maryannick, je vous remercie d’avoir accepté de manifester clairement que l’évêque que je suis ne peut vraiment l’être que s’il se met à l’écoute de la vie.

Je remercie la Communauté de l’Olivier de nous accueillir. Si j’ai désiré que ces insignes me soient remis au milieu de mes amis de l’Arche, ce n’est pas seulement parce que le pape Benoît XVI, par l’intermédiaire du Président du Conseil pontifical des laïcs, m’a confié en 2007 la mission d’accompagner la Fédération internationale de l’Arche qui compte aujourd’hui 147 communautés dans 35 pays à travers le monde. C’est pour répéter ce que j’ai dit à la Faculté de théologie de Fribourg en Suisse où enseignaient les dominicains les plus brillants. En 1984, me préparant à être prêtre, j’ai dû introduire Jean Vanier qui venait y donner une conférence devant un amphithéâtre plein à craquer ; j’ai simplement confié ceci : « J’ai ici de grands maîtres – je montrais les dominicains assis au premier rang dans leur habit blanc qui m’impressionnaient par leur humilité, leur bonté et leur science – mais j’ai eu d’autres maîtres qui m’ont plus appris, des personnes amies porteuses de handicap mental. »

Je pensais à Nathalie, autiste profonde, et à Roland qui venait frapper à la porte de notre collocation d’étudiants à Lille en 1974-1975. Roland, avec sa cravate toujours impeccable, venait quémander notre amitié, c’est-à-dire le don de notre temps et du partage d’un café qu’il prenait toujours avec trois sucres. Roland vivait dans ce qui était à l’époque un asile ; il n’y possédait qu’un lit dans un dortoir de plus de vingt personnes pauvres. Sans grandes idées, avec un vocabulaire très simple, il dénichait sans cesse, parfois avec colère, nos façades, nos prétextes pour fuir, nos faux-semblants. Il m’a appris que l’écoute était précieuse pour découvrir le prix de l’amitié qu’il voulait comme son bien le plus cher, parce qu’il en avait besoin, comme tout le monde.

Quant à Nathalie, parmi bien des crises d’angoisse, elle m’a appris le prix de la relation vraie qui devient peu à peu une alliance. Une fois, soudainement, Nathalie s’est mise à danser de joie, alors qu’elle était habituellement prostrée. Un beau jour, elle s’est mise à prononcer une phrase commençant par « je » alors qu’elle parlait d’elle toujours à la troisième personne, quand il lui arrivait de s’exprimer autrement qu’en râlant. J’ai découvert peu à peu ce que voulait dire entrer en relation. J’ai compris que Nathalie avait soif d’une vraie relation, qui va d’une personne à une personne. Ainsi, elle devenait elle-même, joyeuse avec son angoisse à fleur de peau. Nathalie, sans le savoir, a pris par la main l’étudiant que j’étais, passionné par mes études de mécanique des fluides et avide de lire poètes et penseurs, pour que je découvre autre chose : le prix de la vie humaine, c’est la relation qui se fait écoute.

Ses parents m’ont aussi beaucoup appris avec leur sourde question : « Pourquoi ? » Question douloureuse qui revenait comme un leitmotiv : « Pourquoi notre fille ? » Question qu’il m’a fallu écouter bien des fois, chez eux puis chez d’autres, question qui m’a invité chaque fois à creuser en moi, question qui n’attend pas de réponses mais qui appelle la fidélité de la présence amie.

Un jour, ils m’ont laissé les clefs de leur voiture pendant un week end durant lequel ils partaient se reposer ; avec beaucoup de finesse, ils m’ont suggéré d’emmener leurs trois enfants à Trosly-Breuil, sans me dire ce qu’était ce village près de Compiègne. En 1974, j’ai alors découvert l’Arche fondée depuis dix ans en ce village. J’ai entendu Jean Vanier et je l’ai vu entrer en relation avec Nathalie qui s’était laissée submerger par l’angoisse. J’ai vu comment la douceur et la vérité de la relation lui apportait peu à peu la paix.

L’Arche m’a fait signe. L’Arche fait signe. Un signe qui oriente nos regards vers le prix sans prix de la vie : la relation vécue comme une alliance, qui conduit nos pas et nos cœurs vers l’essentiel et la profondeur de la vie. L’Arche m’apprend beaucoup, grâce à l’alliance avec une personne pauvre d’aptitudes mais riche de cœur, pauvre de capacités intellectuelles mais capable de vivre l’instant présent en en goûtant toute la richesse, pauvre de discussions savantes sur l’avenir du monde mais habitée par la compassion aux souffrances d’autrui, pauvre de puissances techniques ou scientifiques mais riche du seul pouvoir qui compte : être aimé et aimer. L’Arche m’a invité à entrer dans une relation qui respecte infiniment chacun tel qu’il est, avec son rythme, sa singularité propre, ses potentialités, ses handicaps, ses besoins, ses souffrances, ses désirs. J’ai vu que cette relation fait naître la joie au sein d’une communauté véritable, toujours ouverte à l’accueil de la différence, une communauté qui est l’antidote à tout communautarisme.

Merci à l’Arche, à ses membres et ses amis. Si la Légion d’honneur distingue quelqu’un qui fait du bien à la société, alors, chers amis de l’Olivier, elle vous est destinée.

  1. Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, a voulu que me soient remis les insignes de la Légion d’honneur. J’y vois un encouragement au « dialogue » qui, depuis 2009 surtout, a nourri mon investissement dans la recherche au sujet des questions sociétales de bioéthique et de fin de vie. Il m’est vite apparu que le « dialogue » exige plus qu’une discussion ou un débat, même menés avec respect. S’il exige la recherche déterminée et le labeur rigoureux, il réclame surtout l’écoute. Nul ne s’y engage pour imposer ses opinions ou ses idées. Car l’enjeu du dialogue n’est rien moins que la vérité. On entre en dialogue comme on entre en religion, par amour de la vérité.

J’avoue avoir été saisi d’admiration quand j’ai lu ce propos de Benoît XVI. Il le lègue un peu comme son testament puisque ce propos est dans le dernier texte qu’il a donné en septembre 2012 à Beyrouth, son Exhortation pour le Moyen Orient où se croisent religions et civilisations : « Un rayon de vérité illumine tous les hommes. Nous savons bien que la vérité hors de Dieu n’existe pas comme un en soi. Elle serait alors une idole. La vérité n’est possédée par personne, mais elle est toujours un don qui nous appelle à un cheminement d’assimilation toujours plus profonde à la vérité. La vérité ne peut être connue et vécue que dans la liberté, c’est pourquoi, nous ne pouvons pas imposer la vérité à l’autre ; la vérité se dévoile seulement dans la rencontre d’amour. »

En essayant de dialoguer, j’en ai découvert une richesse cachée : le pardon. Nous sommes faillibles. Des blocages barrent la route du dialogue. Ils sont dus à des pensées tellement opposées que l’écoute devient difficile et que les apriori peuvent l’emporter en étant sources de blessures que l’on s’infligent mutuellement. Grâce au pardon, le dialogue peut toujours se poursuivre. Mon père, aujourd’hui décédé, m’a rendu sensible à ce pardon. De la hauteur de ses 91 ans, suite à certaines assertions institutionnelles relayées par les médias, je l’ai entendu simplement murmurer : « Pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu’ils font ! »

Ici, je veux rendre hommage à ma famille de qui j’ai beaucoup reçu et de laquelle je continue à recevoir. La Providence a voulu que je ne sache pas ce qu’est avoir une mère en bonne santé. Jamais en train de se plaindre, ma mère m’a appris beaucoup et continue de le faire.

Le dialogue, parfois frustrant ou déconcertant, m’a appris à son tour qu’il me fallait y entrer en modestie par l’écoute de l’autre, tel qu’il est dans sa dignité de personne. Enlever les voiles qui masquent la beauté de chaque personne pour se laisser éclairer et bousculer par cette beauté intérieure, voilà la force inouïe de tout vrai dialogue ! En essayant de le pratiquer, j’ai compris l’apport infini du Peuple juif qu’il a légué aux Chrétiens, quand il confie à l’humanité sa grande prière : « Écoute Israël. » J’ai aussi compris que saint Benoît soit considéré comme l’un des pères de l’Europe ; sa règle a pour premier mot : « Écoute. »

J’en suis arrivé à la conclusion suivante : la vie, chaque vie mérite d’être écoutée, sans a priori, de façon virginale, pour que se dévoile sa beauté. Cela peut prendre du temps, beaucoup de temps. Mais l’écoute, reprise inlassablement, trace le chemin de ce dévoilement qui instruit et fait grandir. La beauté de chaque vie se dévoile. Cette beauté se reçoit. Merci à tous ceux qui me l’ont appris.

Voilà dix ans que je suis en Bretagne, dans ma Bretagne où je me sens chez moi. J’en découvre l’âme. J’en perçois la force éducative dont Jean-Marie de Lamennais est un symbole. Je suis admiratif des équipes éducatives qui savent, par l’écoute, la patience et la créativité, recevoir la beauté de la vie de chaque enfant et de chaque jeune, pour lui tracer le chemin de sa liberté responsable. Parcourant les territoires de la Bretagne, je suis admiratif de sa solidarité. Jeanne Jugan en est un des symboles. Beaucoup des bretons manifestent accueil, écoute, accompagnement auprès de personnes fragilisées, et, dernièrement, auprès de familles meurtries par l’obligation douloureuse de quitter leur pays. Écouter des familles réfugiées m’a appris quel respect demande chaque personne avec sa culture, sa religion, son éducation.

Sans doute est-ce toujours par le dialogue que l’avenir s’ouvre à la paix. Il est la force secrète de l’histoire. Refuser le dialogue, c’est blesser l’histoire et meurtrir durablement les peuples. Par le dialogue, les cultures et les religions se rencontrent. Dans cette rencontre des cultures et des religions, il apparaît que l’amour de la vie et l’amour de la vérité se conjuguent. Il apparaît aussi que seule, la vie est maîtresse de vérité.

Je voudrais achever en remerciant le pape François qui nous apprend à aimer la vie, à la découvrir dans les plus fragiles et les plus meurtris dont le cri, si douloureux, fait résonner en notre monde le prix si élevé de la vie. En se faisant le porte-voix de ce cri, le Pape attire notre attention sur la logique infernale qui, depuis toujours, nous assaille comme une tentation, que ce soit dans nos micro relations familiales ou dans nos relations internationales. Cette tentation est la suivante : la force a raison de la faiblesse en la dominant, voire en l’écrasant. Depuis le récit du meurtre d’Abel par Caïn, l’humanité sait que cette logique est mortifère. L’humanité a découvert et peut découvrir une autre logique : la faiblesse et la fragilité sont les éducatrices de vie. La réalité de la vie ne se regarde pas à partir de son centre où convergent force et pouvoir, mais à partir de la « périphérie », selon le mot du pape François, où sont souvent reléguées faiblesse et fragilité. En vérité, les personnes faibles et fragiles sont au centre ! Elles sont témoins de la vie véritable. Elles doivent donc être mises au centre. Comme me l’a confié une médecin oncologue, mes patients sont mes maîtres, ils vivent quelque chose que je n’ai pas vécu, ils me devancent dans leur combat pour la vie, ils m’instruisent.

Parmi beaucoup, à côté des personnes que j’ai nommées, deux prêtres, François Retoré, responsable des prêtres de Notre-Dame de Vie, et Albert Chapelle, jésuite, tous les deux hémiplégiques, furent pour moi des maîtres. Albert Chapelle avait sur sa table basse qui le séparait de son interlocuteur une seule image : la face du linceul de Turin. En allant le voir pour mon doctorat de théologie, il me mettait devant la faiblesse et le pardon du Crucifié et du Ressuscité de Jérusalem. Ces deux prêtres, consentant à leur faiblesse, semblaient me dire : là se trouve la force révolutionnaire du christianisme ; là se dévoilent la gloire de Dieu et la gloire de l’homme. La faiblesse est l’écrin cachant une pierre précieuse : la vie dont la dignité inviolable est d’aimer. Écouter en consentant à sa faiblesse et à la faiblesse de l’autre, c’est ouvrir l’écrin.

À mes maîtres qui, par leur amour de la vie et de l’autre, vécu dans leur faiblesse douloureusement expérimentée, m’ont tant appris, je dédie cette Légion d’honneur en leur exprimant mon immense et vive gratitude.