Bioéthique : Mgr d’Ornellas écrit aux catholiques d’Ille-et-Vilaine

Ce 18 janvier 2018, alors que le gouvernement lance les États généraux de la bioéthique, Mgr Pierre d’Ornellas, Archevêque de Rennes et responsable du groupe de travail de la Conférence des évêques de France sur la bioéthique, écrit une lettre aux catholiques d’Ille-et-Vilaine.

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AUX CATHOLIQUES D’ILLE-ET-VILAINE

« Qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à lui,
le fils d’un homme, que tu en prennes souci ?
Tu l’as voulu un peu moindre qu’un dieu,
le couronnant de gloire et d’honneur. »
Psaume 8,5-56

Je vous invite à porter votre regard sur la vie humaine. Chère vie humaine, que dis-tu de toi-même ? Permettez-moi de vous partager une méditation. Prenez le temps de la lire jusqu’au bout. D’autant plus que ce 18 janvier, commencent en France les « États généraux de la bioéthique » au cours desquels bien des débats seront relatifs à notre vie. Chacun est invité, d’une manière ou d’une autre, à participer à ces débats. Face aux découvertes scientifiques, quelle vie voulons-nous vivre tous ensemble, avec nos différences ? Quelle société voulons-nous pour aujourd’hui et demain ?

Poser son regard sur la vie, c’est se risquer aux plus belles découvertes. Le pape François évoque souvent le « regard contemplatif ». Il s’agit d’un regard désintéressé et gratuit, qui se laisse instruire. Un regard attentif, qui ne se détourne pas en passant vite. Un regard bon, plein de patience et de confiance. Un regard bienveillant, qui n’est pas militant d’une cause. Bref, le regard de celui qui se laisse humblement toucher pour devenir émerveillé.

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Pour évoquer la vie humaine, je veux d’abord dire merci à celles et ceux qui vivent de ce regard. Comment ne pas les saluer ! Ils se rendent proches des personnes fragilisées car elles sont en fin de vie, ou bien âgées et dépendantes, handicapées mentales et physiques, ou en maladie chronique, traumatisées, ou encore emportées par des conduites addictives. Fragilisées car elles sont des femmes enceintes dont l’enfant à naître est porteur de malformations, ou parce qu’elles ont le désir de voir naître leur enfant, ce qui provoque leur rejet, parfois violent. Fragilisées car ce sont de tout petits enfants, qui viennent de naître ou vont naître avec leurs droits propres. De toutes ces personnes et d’autres encore, il est pris soin avec attention, en les accueillant, les accompagnant, les soutenant, les aimant.

Ceux qui ont ce regard, je les ai vus briser les solitudes et s’engager dans une relation pleine d’empathie et de respect, envers ces personnes en vulnérabilité ! Ils en sortent toujours enrichis. Par leur expérience, ils savent que chacune est un trésor de vie, pour peu qu’on sache prendre du temps pour l’écouter et la recevoir telle qu’elle est. Ils comprennent l’importance de la juste compassion. Ils sont étonnés de leur espérance. Ils témoignent que la vie est belle, qu’elle est toujours incarnée dans des personnes en chair et en os, avec leur histoire, leur éducation et leur culture. Ils reconnaissent que chacune est absolument unique, tout en étant située dans une généalogie familiale qui donne sens à leur vie. Ils savent ainsi que la filiation de chacun doit être respectée avec la plus délicate attention.

Ils sont une armée humble et silencieuse, qui prennent soin de nos frères et sœurs fragilisés. Ils sont professionnels de santé, acteurs du service à la personne, bénévoles dans des associations ou des aumôneries, anonymes dans leur famille ou leur voisinage.

Oui, jour après jour, ils marchent à la rencontre de la vie : pour elle, ils se donnent beaucoup et ils en reçoivent beaucoup. Quel admirable échange, au quotidien de relations humaines pleines de qualité et d’intensité, de bonté et de compassion quand les souffrances sont là ! Qu’il est magnifique de prendre soin avec douceur et compétence de telle sorte que ces souffrances soient apaisées le plus possible !

Ils ont vu que la vie est toujours un don à recevoir. Ils ont conscience que la dignité humaine est inviolable et inaliénable, quelles que soient les fragilités vécues. Ils ont compris que les personnes en grande vulnérabilité faisaient sortir d’eux des ressources insoupçonnées d’humanité. Car ces personnes ont des talents, et il serait dramatique qu’ils demeurent enfouis ou supprimés, par peur, indifférence, exclusion ou mépris. Elles donnent du sens à l’action collective grâce à leurs talents qui ne viennent pas de la force, ni de l’argent ni du pouvoir, mais du cœur, de la capacité à nouer des relations essentielles, à faire confiance, à engendrer la joie.

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Ces contemplatifs de la vie humaine entendent parfois des slogans apparemment assurés et savamment médiatisés. J’avoue que je comprends leur tristesse, voire leur colère, face à ces soit disant certitudes selon lesquelles il serait évident que telle vie humaine ne vaudrait plus la peine d’être vécue ou qu’il est possible de la produire selon nos simples désirs d’adulte. Ils ont d’ailleurs entendu les terribles désespoirs que ces paroles engendrent quand, sûres d’elles, elles disqualifient des vies de personnes très fragilisées qui ont le courage d’aimer la vie et de vivre.

Ils se demandent alors si notre société n’aurait pas une conscience quelque peu endormie en raison des canons de la performance et de la rentabilité qui modèlent nos désirs. Ils s’interrogent sur nos techniques de plus en plus sophistiquées qui semblent agir comme des étalons de mesure pour évaluer une vie humaine sans défaut. Et même, ils s’inquiètent devant les marchands de rêves d’épanouissement idéal et sans limite, qui risquent de nous aveugler sur les capacités de vraies joies chez ces personnes vivant de grandes vulnérabilités.

En se mettant à l’école de nos frères et sœurs en situation de vulnérabilité, on apprend que chaque vie humaine est belle et vaut la peine d’être vécue. On s’engage alors avec sollicitude auprès de celles et ceux qui souffrent devant les vulnérabilités dans leurs familles. On se fait proches pour les écouter respectueusement, les aider, les accompagner afin qu’eux aussi finissent peu à peu par découvrir la même chose. Aimer la vie, c’est ne juger personne, mais c’est apporter sa pierre pour que grandisse en notre société une culture de vie, de soin, de relation et d’accompagnement.

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« Chrétiens », c’est-à-dire « disciples » de Jésus, vous y avez une belle part. Vous savez que Dieu est le Dieu de la vie, qu’Il est venu nous révéler la beauté de la vie et qu’Il s’est identifié aux personnes dont la vie apparaissait la moins belle et la plus fragile. Jésus, qui aime la vie, est révolutionnaire ! « Il a fait resplendir la vie » (2 Timothée 1,10). Il a bouleversé le monde en apportant un message et un témoignage qui irriguent peu à peu les sociétés : le Royaume de Dieu appartient aux « petits » et ce sont eux qui le font grandir. Tout le monde le désire, car c’est un Royaume de paix et de justice, de liberté et de solidarité, de fraternité et de vie. Son éthique est guidée par l’amour « en actes et en vérité » (1 Jean 3,18).

Il est temps que nous réveillions nos consciences endormies et celles de nos contemporains afin que, tous ensemble, nous nous émerveillions devant la beauté de la vie en chaque être humain, de sa conception à sa mort naturelle. Il est juste de prier à cette intention. Il est tout aussi juste que chacun prenne ses responsabilités.

Chers amis, trouvez les moyens qui vous conviennent pour dire que chaque vie humaine est un trésor sans prix ! Témoignez de vos expériences, car cela peut toucher les cœurs et convaincre celles et ceux qui en doutent.

Il s’agit de « rendre raison » de la beauté de la vie humaine, don de Dieu, mais « avec douceur et respect », comme nous y invite l’apôtre saint Pierre (1 Pierre 3,15-16).

Rennes, le 17 janvier 2018
+ Pierre d’Ornellas
Archevêque de Rennes

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