Inauguration de l’Anastasis, église de la Résurrection : le discours de Mgr d’Ornellas

Inauguration officielle de l’Anastasis
Discours de Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes,
Dimanche 11 février 2018 à 10h30, à Saint-Jacques-de-la-Lande

Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais j’ai l’impression qu’il y a comme un air de Résurrection qui se promène ici ou là pendant cette journée, et qui a commencé hier. Comme si cet air était une musique qui nous rejoignait tous, chacun et chacune, les uns et les autres dans notre parcours et dans notre histoire. Ce petit air de Résurrection me touche et me rejoint personnellement dans une émotion assez grande en ce jour où je reçois de façon gratuite, comme un cadeau et un don, cette église de l’Anastasis.

J’ai bien compris que c’était moi qui me laissais habiter par elle, que c’était moi qui la recevais, j’oserais dire – comme je le préciserai tout à l’heure peut-être de façon lyrique, vous m’en pardonnerez – comme un fils reçoit une mère puisque pour nous, chrétiens, l’Église est notre Mère.

Le pèlerinage vers la lumière

Je vois bien que c’est un air de Résurrection aussi ici, dans cette ville, à Saint-Jacques-de-la-Lande. Je ne sais pas ce que diraient les historiens, mais peut-être qu’au sud de Rennes, cité romaine édifiée dans une cuvette au confluent de l’Ille et de la Vilaine, des chrétiens  –  ou des païens ayant reçu la lumière de l’Évangile – se sont mis en marche vers le sud pour aller à Saint-Jacques-de-Compostelle. N’aurions-nous pas ici le sens du nom de Saint-Jacques-de-la-Lande ? De même qu’au nord de Rennes, est présente la figure de saint Michel parce que peut-être on est parti plus tard vers le nord, en direction du Mont Saint-Michel.

En tout cas, à Saint-Jacques-de-la-Lande, il est assez facile de comprendre que résonne un petit air de Résurrection quand on voit l’ancienne chapelle du Haut-Bois qui est là et qui s’est vue entourée d’immeubles du XXe – XXIe siècle. Elle attendait quelque part sa renaissance, sa résurrection. Voici que lui est offerte une grande sœur, l’église de l’Anastasis. Cela ne peut exister que parce que Mgr Saint Macary a acquis ce terrain ici, grâce à vous, M. Delaveau. Ce terrain était le meilleur choix possible : à côté de cette petite chapelle du Haut-Bois et excentré du centre de la ville, non pas comme au XVIIe-XVIIIe siècle dans l’histoire bretonne, où il fallait qu’à ville nouvelle il y ait une église nouvelle mais en plein centre, une église qui s’imposait et autour de laquelle s’organisait la vie.

Je me souviens, la première fois que nous en avons parlé ensemble, M. Couet, dans votre bureau, je vous ai demandé de m’expliquer votre ville. Vous m’avez montré des photos aériennes et je vous ai répondu : « à ville nouvelle, église nouvelle » mais pas comme par le passé, une église qui serait excentrée, vers laquelle il faut faire une marche pour y aller, pour laquelle un détour est nécessaire si l’on veut s’y rendre. Dans le fond, une église qui invite, parce que nous sommes à Saint-Jacques-de-la-Lande, à un pèlerinage. Un pèlerinage extérieur qui est le signe du pèlerinage intérieur que nous faisons tous.

Ce pèlerinage intérieur a un air de Résurrection. Il est une petite symphonie de lumière qui surgit dans nos ténèbres. Il est une petite mélodie, ce pèlerinage vers une vie qui nous attire et qui est plus puissante que la mort. Ce pèlerinage fait retentir au fond de nous l’espérance que rien ne peut détruire. L’espérance qui ne déçoit jamais (cf. Romains 5, 5).

Il me semble que nous avons ici, dans ce petit air de Résurrection qui résonne partout en ce jour, la figure de la petite espérance plus puissante que toute chose (cf. Charles Péguy) et qui nous est dite de façon magnifique dans cette Anastasis.

La beauté sans prise

Plus que l’espérance, il me semble que cet air de Résurrection se dit par la beauté. On l’a dit, la beauté sauvera le monde. Mais cela a été prophétisé bien avant. Quand nous lisons la Bible, nous entendons l’annonce d’un Messie, celui qui portera l’espérance, celui qui ouvrira un chemin à chacun, quand Il dit « Je suis le chemin ». Il est aussi annoncé qu’Il est « le plus beau des enfants des hommes » (Psaume 45, 3).

Oui, rien n’est plus précieux que la beauté ! Rien n’est plus enviable que la beauté ! La beauté fait vivre, la beauté nous attire, la beauté est toujours lumineuse, la beauté est pure et source de paix, la beauté rassemble dans l’unité. La beauté est ce qui transcende tout symbole, quelles que soient les cultures, pour que nous soyons des vivants. Il est très curieux que chaque culture soit capable de préciser, selon ses harmoniques propres, la figure de la beauté. Car ce ne sont pas les cultures qui produisent la beauté, mais les personnes humaines qui, par leurs cultures, la donnent à voir. Nul n’a prise sur la beauté. Elle s’offre et chacun la reçoit.

Ici, dans l’Anastasis, je pourrais dire que « le plus beau des enfants des hommes » est le Ressuscité qui fait que déjà tous, nous sommes ressuscités parce que nous sommes tous faits, constitués, édifiés pour la beauté.

N’est-il pas vrai que chaque maman ne se trompe point quand elle dit avec une étonnante vérité : « Mon enfant est le plus beau » ? Chaque maman dit cela de son enfant ! Qu’il est grand le mystère de la beauté ! N’est-il pas vrai aussi que nous sommes capables de reconnaitre la beauté dans nos meurtrissures ? Je me souviens de cette aide-soignante qui sortait d’une chambre où j’allais visiter une personne en fin de vie, immensément âgée en s’approchant de son centenaire, immensément âgée aussi par son corps complètement flétri dont tous les indices médicaux prédisaient la mort qui allait venir. En fermant la porte de la chambre, l’aide-soignante me dit avec un sourire magnifique, me parlant de cette personne presque centenaire : « Qu’est-ce qu’elle est belle ! » Oui, la beauté s’infiltre partout. La beauté est ce qui nous accueille dans la paix et dans la lumière, dans la tendresse pleine de tendresse les uns pour les autres.

Gratitude pour la beauté

Vous comprenez bien qu’en entendant cet air de Résurrection aujourd’hui, qui est un air de beauté résonnant en nous, je voudrais exprimer ma gratitude particulière et pleine d’amitié pour vous, Monsieur Àlvaro Siza, d’avoir été talentueux avec beaucoup de travail pour nous offrir cette beauté. Si chacun parmi nous reçoit la beauté, certains – dont vous êtes – savent la faire éclore, la manifester, la dévoiler pour notre joie. Je voudrais aussi remercier tous ceux et toutes celles qui ont participé avec vous à faire émerger cette beauté. Je vous remercie Monsieur Couet d’avoir permis l’éclosion de cette beauté qui, ici, porte le nom de Résurrection, d’Anastasis, au sein de votre ville Saint-Jacques-de-la-Lande, dans la Métropole de Rennes, en Bretagne, et bien au-delà. Cette beauté nous attire. Ici est célébré « le plus beau des enfants des hommes ».

Ce matin, j’ai encore découvert non pas un détail qui choquerait dans l’harmonie offerte, mais un détail qui s’inscrit si bien dans la beauté faite chair. Monsieur Siza, dans la croix que vous nous offrez, il y a la meurtrissure du « plus beau des enfants des hommes ». Quand je regarde le bois vertical, je vois dans le bois une faille, cette brèche noire. Je ne pouvais pas ne pas penser à la phrase du prophète Isaïe : «  Dans ses blessures, nous sommes guéris. » (Isaïe 53, 5) C’est une blessure lumineuse, une blessure magnifique, une blessure d’où s’irradie la beauté. Car la beauté guérit, purifie et lave. C’est pourquoi elle apaise et réjouit.

Enfin, Monsieur Siza, dans cette architecture, tout est signé par vous, sauf comme nous l’avons dit hier soir, la règlementation française. Monsieur Siza, portugais, je vous demande pardon pour cette règlementation française. J’aurais tellement aimé que notre règlementation s’ouvre au génie de telle sorte qu’elle soit stricte en vous proposant de dessiner vous-même ce qui nous indiquerait la sortie. Cela aurait été plus beau que nos systèmes administratifs français. Pourquoi notre sécurité ne serait-elle pas mieux assurée par la beauté ? J’ai plusieurs fois expérimenté que la beauté – signe admirable de la transcendance – avait contraint les violences à s’arrêter. Les violences deviennent muettes quand la beauté est éloquente et parle de transcendance.

La beauté de la mère

Mais il y a autre chose qui n’est pas de votre signature et qui me touche beaucoup, c’est la statue de Notre-Dame. Cette statue vient de la prison des femmes à Rennes. Elle a recueilli les cris, les espoirs, les douleurs, les espérances, la confiance de tant de détenues. Elle est ici. Cet après-midi, je lui donnerai un nom, et ce sera son nom pour toujours : Notre-Dame de la Tendresse.

Il me semble que dans la beauté s’exprime la tendresse, puisque c’est une maman pleine de tendresse qui dit à son enfant : « Tu es le plus beau ! », puisque c’est une aide-soignante pleine de délicatesse qui dit à une personne âgée s’en allant vivre sa pâque : « Elle est si belle ! »

Oui, il n’y a pas de beauté sans tendresse. La beauté n’est pas esthétique. Elle est offerte à ceux qui ont les yeux intérieurs pour la recevoir.

Aujourd’hui, c’est le 11 février, fête de Notre-Dame de Lourdes. Dans l’Église, nous célébrons la journée des malades. C’est ce jour-là qu’est apparue Notre-Dame à la pauvre et jeune Bernadette à Lourdes, Mère pleine de tendresse.

Il est plus beau !

Ainsi en mémoire de cette Mère, je voudrais terminer en vous lisant ce texte qui jaillit de façon étonnante d’un saint français du XXe siècle – dont on a dit qu’il était le saint Jean-de-la-Croix du XXe siècle – le Bienheureux Marie-Eugène de l’Enfant-Jésus. Il avait cette intuition – exactement comme l’a eue le grand saint Ignace de Loyola  – que la première personne à qui le Ressuscité apparaissait de façon filiale ne pouvait pas être autre que sa mère, Marie.

Voici ce qu’a prononcé le Bienheureux Marie-Eugène : « Il nous paraît bien qu’à ce moment-là Jésus, qui est sorti du tombeau probablement à l’aurore, vient la trouver. Nous ne trouvons pas trace de cette apparition à la Vierge, dans l’Évangile ; mais nous supposons, nous devinons, nous sommes certains qu’elle a existé, et que Jésus qui va se manifester à Pierre, puis aux Apôtres dans le cours de la journée, qui se manifeste à Marie-Madeleine, va se manifester aussi à Marie.

« Chez la Vierge, son espérance n’est pas confondue : le voici, son fils ! et combien transformé ! Son corps est glorieux, de ses blessures jaillissent de la lumière et comme de la vie ! Le corps qu’elle a formé, le corps qu’elle a nourri, le beau corps du Christ ! son âme, plus belle encore, qu’elle a vue à travers lui ! sa divinité qu’elle a devinée et adorée dans ses yeux, lorsqu’elle plongeait son regard dans les fontaines cristallines d’eau pure, d’eau vive, qu’étaient les yeux du Christ, les voilà ! C’est un souhait de paix que lui adresse certainement Notre Seigneur. Il l’apporte partout : « Que la paix soit avec vous… Que la paix soit avec toi, ô femme… ô mère ! » Car il se montre fils certainement à cette heure. Et voici déjà le triomphe de la Vierge, le triomphe de son espérance.

« Oh ! Jésus est plus beau qu’à Bethléem, lorsqu’il jaillissait de son sein et qu’elle le tenait dans ses bras… Il est plus beau qu’à la Présentation au Temple, lorsque Syméon lui prédisait la gloire et la souffrance… Il est plus beau qu’à trente ans, quand il quittait Nazareth et qu’il commençait sa prédication… Il est plus beau que dans le Temple, lorsqu’il se proclamait la lumière du monde, et qu’il tenait tête aux scribes, aux Pharisiens, aux Sadducéens, lorsqu’il tenait tête victorieusement, et par sa parole et par sa majesté. Il est plus beau et plus grand, plus fort, plus vivant que lorsqu’il chassait du Temple les vendeurs avec leurs troupeaux.

« C’est son fils, son Jésus ! C’est déjà une vision de vie éternelle. Quelle joie pour la Vierge ! Quel triomphe pour sa maternité ! Le voici ! Et elle qui l’avait découvert dans les paroles de l’ange, triomphant, elle ne l’avait peut-être pas rêvé si beau, si grand qu’à cette heure. Et Jésus probablement tombe dans les bras de sa mère ; c’est l’étreinte affectueuse du fils à la mère, de la mère à son fils. »

L’espérance de l’Église

Chaque année, nous ferons mémoire de ce 11 février, de notre Anastasis qui sera consacrée cet après-midi. Nous ferons mémoire de cette beauté en étant éclairés par la tendresse de la mère, par l’espérance d’une mère, espérance et tendresse d’une Église qui ne cesse pas de porter à ses enfants cette espérance.

Je voudrais finir en disant ma gratitude non seulement à tous ceux qui ont œuvré pour la réalisation de cette beauté mais aussi, en l’exprimant très fraternellement et amicalement, à toi, Joseph, qui a porté cette Communauté chrétienne avant même de voir la beauté émerger. Je me souviens de ta parole qui était celle de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : « Ma folie à moi, c’est d’espérer ! » Et bien, ton espérance, avec celle de tous ceux et de toutes celles que tu as accompagnés, se trouve aujourd’hui exhaussée, réalisée. Toi qui es le bon pasteur de cette Communauté chrétienne et qui la représente, reçois cette beauté manifestée par la tendresse d’une mère. Reçois toi aussi cette Anastasis comme un cadeau, comme un don.

Que dans la Communauté chrétienne et dans tous ceux et toutes celles qui viendront ici résonne la petite musique de la Résurrection, musique de vie, de paix, d’espérance, musique de beauté d’où vient la tendresse !

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