Homélie de Mgr d’Ornellas pour la messe d’ordination diaconale de Bertrand du Rusquec

À l’occasion de l’ordination diaconale de Bertrand du Rusquec, Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, prononça l’homélie en la fête de la Croix Glorieuse, le 14 septembre 2014, à Notre-Dame de La Peinière

Mes amis,

La fête de la Croix Glorieuse, c’est la fête de notre salut. Nous l’avons entendu dans l’Évangile : « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils… pour que, par lui, le monde soit sauvé. » (cf. Jean 3,16-17)

Jésus est Seigneur !
Ainsi, nous sommes invités, comme nous l’avons entendu dans la deuxième lecture, à proclamer que « Jésus-Christ est Seigneur » (Philippiens 2,11). Celui dont nous disons habituellement « Notre Seigneur Jésus-Christ », nous le proclamons « Seigneur », parce que nous contemplons Celui qui « n’a pas retenu comme un droit d’être traité à l’égal » de son Père (Philippiens 2,6). Lui, le Fils de Dieu, lui qui est Dieu né de Dieu, vrai Dieu né du vrai Dieu, il est descendu, il s’est « abaissé » pour devenir un « serviteur ». Il s’est anéanti non seulement pour devenir un « serviteur » mais il est allé, « par obéissance jusqu’à la mort et la mort de la croix » (Philippiens 2,7-8). Quand nous contemplons le salut que notre Seigneur Jésus-Christ a réalisé par le sacrifice de sa vie, lui qui a été la « rançon » (Marc 10,45) pour notre salut, nous regardons « l’Agneau de Dieu portant le péché du monde » (Jean 1,29).

Cette fête de la Croix Glorieuse a commencé à être célébrée dans l’Église au IVème siècle, le jour où les chrétiens ont construit la Basilique du Saint-Sépulcre à Jérusalem, là où il y a le tombeau de Jésus. Cette fête est une belle expression de la foi chrétienne, cette foi de toujours : « Jésus-Christ est Seigneur », lui qui est ressuscité d’entre les morts et qui a porté le péché du monde en offrant sa vie en sacrifice sur la croix pour nous sauver éternellement et pour que tout homme soit sauvé.

Jésus nous purifie
Ce salut vient purifier nos cœurs de ce que l’Écriture Sainte appelle la « récrimination », comme nous l’avons entendu dans la Première Lecture (Nombres 21,5). Le peuple d’Israël a récriminé contre Dieu et contre Moïse son serviteur. Dans l’Évangile de saint Jean, nous voyons les disciples qui « récriminent » contre Jésus, leur Seigneur et Maître (cf. Jean 6,41.52.61). Cette « récrimination » n’est pas un mot banal pour dire un petit bavardage qui est en nous, mais pour signifier qu’au fond de notre cœur il y a une « dureté » (cf. Marc 16,14). Cette dureté fait que notre cœur n’est pas ouvert au mystère inouï, infini de la rédemption.

Ici, à Notre-Dame de La Peinière, nous pouvons contempler Marie, la toute pure, l’Immaculée conception, le cœur dans lequel il n’y a jamais eu une récrimination. Elle est la toute sainte, son cœur est totalement ouvert au mystère de la rédemption. C’est elle notre Mère, cette femme qui est de notre race, notre sœur, l’Immaculée conception. Elle nous ressemble, elle qui était debout au pied de la croix (cf. Jean 19,25). Stabat Mater juxta crucem ! Juxta crucem : tout contre la croix ; stabat : elle est là, debout. Le cœur infiniment pur de la Mère accueillant le Mystère qui se célèbre dans le sacrifice de son Fils, le Mystère du salut du monde, le Mystère de notre salut.

Demandons au Seigneur la grâce d’être purifiés, la grâce d’une pureté du cœur plus grande, la grâce d’être délivrés de toute « récrimination ». Peut-être y-a-t-il dans nos esprits, des idées, des aprioris, des manques de connaissance, des habitudes, qui sont des récriminations au sens biblique du terme, c’est-à-dire un obstacle pour accueillir le Mystère de la rédemption qui est célébré dans la sainte Église de Dieu.

La charité divine de Jésus
Ce Mystère de la rédemption est le mystère de la charité divine. Quand nous contemplons Celui qui « n’a pas reconnu comme un droit d’être traité à l’égal de Dieu », qui s’est fait notre « serviteur », qui s’est fait « obéissant jusqu’à la mort et la mort de la Croix », nous contemplons la charité divine telle qu’il n’y en a pas de plus grande. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jean 15,13). La Charité de Jésus ! Charité de Notre Seigneur Jésus, charité divine, charité infinie ! Quelle charité du Seigneur Jésus pour nous !

Nous entendons l’Apôtre saint Paul nous dire : « Ma vie présente dans la chair… » – chacun d’entre nous peut dire cette phrase de saint Paul – « … je la vis dans la foi au Fils de Dieu qui m’a aimé et qui s’est livré pour moi. » (Galates 2,20) Voilà la charité de Jésus, que Paul reconnait à son égard et qui le pousse à s’écrier : Jésus est Seigneur ! Charité divine vécue de façon infinie par le cœur du Christ sur la croix dans son sacrifice pour Paul, pour chacun de nous !

La charité de l’apôtre
Si nous continuons à lire l’Apôtre saint Paul, nous découvrons qui est celui qui vit dans la foi au Fils de Dieu, qui l’a aimé et qui s’est livré pour lui : cette charité du Christ passe dans son cœur d’Apôtre.

Écoutez ce que nous dit saint Paul quand il parle de lui-même : «Vous le savez, dit-il aux Thessaloniciens, traitant chacun de vous comme un père ses enfants» (1 Thessaloniciens, 2,11) Aux habitants de Corinthe, il écrit : «Je vous parle comme à mes enfants» (2 Corinthiens 6,13) Aux Galates : «Mes petits-enfants, vous que j’enfante dans la douleur.» (Galates 4,19) Ou encore, aux Philippiens : «Je vous porte tous dans mon cœur.» (Philippiens 1,7) Et saint Paul continue dans l’Épitre aux Éphésiens : «Je ne cesse de rendre grâce à votre sujet lorsque je fais mention de vous dans mes prières.» (Éphésiens 1,16) Dans l’Épitre aux Colossiens : «Je trouve maintenant ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous.» (Colossiens 1,24) Vous connaissez le cri de saint Paul : «Que l’un soit faible, que je sois faible avec lui. Que quelqu’un tombe, que je cours pour lui.» (cf. 2 Corinthiens 11,29)

La charité de saint Paul est le modèle de la charité de tous les Apôtres. Je voudrais terminer par ce propos de saint Paul où nous le voyons tellement rempli de la charité du Christ : « Nous avons été au milieu de vous plein de douceur, comme une mère réchauffe sur son sein les enfants qu’elle nourrit. Nous avions pour vous une telle affection que nous étions prêts à vous donner non seulement l’Évangile de Dieu, mais même notre propre vie, tant vous nous étiez devenus chers. » (1 Thessaloniciens 2,7-8) Voilà l’Apôtre Paul : brulé de charité, il confesse à ses chers Thessaloniciens qu’il est prêt non seulement, comme une mère qui nourrit de son lait ses enfants, à leur donner l’Évangile de Dieu, mais aussi sa propre vie.

Le célibat, don et signe de la charité
Paul, ressemble étrangement au Seigneur Jésus. Jésus, dans le sacrifice de sa vie, est unique, inimitable, lui qui est le seul sauveur, le seul Seigneur, le « seul médiateur entre Dieu et les hommes » (1 Timothée 2,5) lui qui est notre « Grand Prêtre » (Hébreux 3,1). Jésus, Seigneur, a vécu comme homme cette charité divine qui lui a fait choisir de vivre pour tous et pour son Père dans la virginité, dans le célibat. Cette charité du Christ nous dit tout du célibat « pour le Royaume ». De même saint Paul, qui pourtant est hébreux, fils d’hébreux, lui qui connait la loi au-dessus de tous ses compatriotes, tout en disant : « Je n’ai pas de conseil à vous donner », ose dire : « imitez moi. »

Saint Paul, brûlé par la charité divine dans son cœur d’Apôtre, a choisi de vivre dans le célibat, comme nous le lisons dans l’Évangile, « pour le Royaume des cieux » (Matthieu 19,12). Le Royaume qui est pour vous, vous dans les familles, vous les personnes âgées, vous les personnes mariées, vous les jeunes, vous les enfants. Ce Royaume de lumière, ce Royaume de sainteté, ce Royaume de charité, ce Royaume de joie et de paix, ce Royaume, il est pour vous !

Voici que Bertrand a choisi de répondre « oui » à l’Appel du Christ qu’il a entendu, de vivre dans le célibat uniquement en raison de la charité, pour servir. Comme nous le voyons ici avec cette magnifique représentation du Seigneur Jésus qui est à genoux et qui lave les pieds de ses disciples.

Mes amis, alors que nous sommes tous rassemblés en cette fête de la Croix Glorieuse, nous pouvons mesurer cette charité divine dans le cœur vierge de Jésus. Voici que nous pouvons aussi reconnaitre ce « don » [1] inestimable du célibat pour le Royaume, ce « signe » qui est un « stimulant » [2] pour la charité de tous dans l’Église. Mes amis, ce n’est pas un petit don ni un petit signe, c’est un don inestimable pour être signe de la Présence divine qui est au milieu de nous, signe du Seigneur Jésus qui demeure « avec » nous, au milieu de son Église.

Il y a une magnifique cohérence, une harmonie entre celui qui est appelé à vivre dans le célibat pour le Royaume et la célébration du sacrifice eucharistique. Oui, il y a quelque d’éminemment harmonieux entre la charité divine dans le sacrement de l’Eucharistie que nous appelons le sacrement de la charité : caritatis sacramentum – c’est le sacrement de la charité divine, du sacrifice du Christ qui est là – et la charité vécue par le prêtre et signifiée par le signe merveilleux du don de sa vie dans le célibat « pour le Royaume ».

Cher Bertrand, nous prions pour toi de telle manière que dans ton Ordination diaconale tu reçoives de Dieu la grâce d’aimer toujours plus, la grâce de contempler le Christ, de prier le Christ, de le regarder longuement (cf. Nombres 21,8) dans le sacrifice de la croix et de lui demander humblement qu’il convertisse toujours ton cœur pour que tu sois de plus en plus un « serviteur » au nom de Jésus par le sacrement de l’Ordination. Nous prions pour que tu sois un serviteur au nom du Seigneur-Jésus par le témoignage de la délicatesse de ta charité, de la tendresse de ta charité, de ton regard toujours bienveillant qui viendra de la source qui coule en ton cœur, la source de la charité du Christ, la source de la charité qu’est le Christ lui-même.

Cher Bertrand, nous prions pour toi et pour la fécondité de ton saint ministère de diacre en vue du sacerdoce.

[1] Voir le n. 43 de la constitution sur l’Église, Lumen gentium.

[2] Voir le n. 42 de la constitution sur l’Église, Lumen gentium : « Parmi ces conseils, en première place, il y a ce don précieux de grâce fait par le Père à certains (cf. Mt 19,11 ; 1 Co 7,7) de se vouer à Dieu seul plus facilement sans partage du cœur, dans la virginité ou le célibat (cf. 1 Co 7,32-34). Cette continence parfaite à cause du règne de Dieu a toujours été l’objet de la part de l’Église d’un honneur spécial, comme signe et stimulant de la charité et comme une source particulière de fécondité spirituelle dans le monde. »