Mgr d’Ornellas sur la GPA : «Est-il civilisé de trafiquer la filiation, le trésor le plus essentiel de l’être humain ?»

Suite à l’avis de la Cour de cassation du 3 juillet 2015 autorisant la transcription, en droit français, des états civils de deux enfants nés en Russie par GPA (gestation pour autrui), Mgr Pierre d’Ornellas, Archevêque de Rennes et chargé des questions éthiques pour la Conférence des évêques de France, répond aux questions du Figaro dans son édition du 4 juillet.

La Cour de Cassation vient de se prononcer pour l’inscription à l’état civil d’enfants nés de gestation pour autrui à l’étranger. Quelle est votre réaction  ?

Mgr d’Ornellas. Ma pensée va aux enfants, aimés de Dieu comme tout un chacun. Ils méritent respect, amour vrai et responsabilité parentale. Allons-nous pas à pas vers la banalisation de la GPA  ? En la laissant interdite, on légalise chacune de ses conséquences de telle sorte qu’il ne restera plus qu’un problème  : qu’elle ne puisse pas être réalisée en France. Les riches iront tranquillement en Inde et aux USA. De toute façon, l’arrêt de la Cour de Cassation est bancal. Il transcrit la filiation biologique et paternelle, ainsi que la filiation maternelle de la mère porteuse. N’avalise-t-il pas l’instrumentalisation de celle-ci par la location de son ventre  ? Que fait la Cour de l’abandon d’enfant  ? Et que fera-t-elle quand elle sera saisie d’une question sur la mère d’intention  ? N’est-on pas dans l’absurde  : interdire la GPA et avaliser la chosification d’une femme et de son bébé  ? Le bricolage juridique inventé manifestera toujours un manque de courage  : penser la loi comme civilisatrice. Est-il civilisé de trafiquer la filiation, le trésor le plus essentiel de l’être humain  ? Sa manipulation technique est problématique, mais le suivisme juridique est encore plus inquiétant. Qui aura le courage d’un sursaut éthique  ?

N’est-ce pas prendre en compte «l’intérêt supérieur de l’enfant» que d’autoriser cette inscription à l’état civil  ?

L’intérêt supérieur de l’enfant ne se traite pas au cas par cas, mais en vue du bien commun. Il interdit la GPA qui ne respecte pas son droit à être conçu dans et par l’amour vrai entre deux personnes. La GPA est la production contractuelle d’un enfant  : cela m’horrifie  ! Accepterions-nous d’être le produit d’un contrat, comme les objets  ? Distinguer personnes et choses est essentiel à notre droit. Cela traduit une valeur éthique capitale  : une personne est une personne, même bébé  ! Nul ne peut l’utiliser comme moyen de réaliser ses rêves.

La GPA peut-elle être «éthique», comme le revendiquent ceux qui réclament son autorisation en France  ?

Absolument pas. Il est inscrit dans notre Code civil, et cela nous honore, que le corps demeure indisponible. Y toucher est une régression formidable. Le dispositif bioéthique et juridique de la GPA est-il «  humain  », digne de la grandeur de l’homme, de son éthique et de la civilisation  ? Je ne le pense pas, pas plus que la peine de mort. D’ailleurs, la CEDH n’a pas condamné la France pour son interdiction de la GPA. Elle a juste considéré la vie privée de l’enfant, avec les incertitudes sur sa nationalité et sur son héritage. Avouez qu’au regard de l’éthique, l’argument est faible  !

Certains partisans de cette pratique font remarquer que « la GPA figure dans la Bible ». Des mères porteuses américaines ou sud-américaines racontent avoir eu des encouragements de la part de prêtres…

Leur générosité n’est sans doute pas lucide sur la filiation. Quant à la Bible, le seul cas que l’on promeut pour faire valoir la GPA est celui d’Agar. Or, celle-ci est « une esclave », dit la Bible. Voulons-nous donc des femmes esclaves ? Par ailleurs, des accidents de la vie peuvent conduire à l’adoption afin de donner une famille à un enfant qui n’en a plus. Mais trafiquer délibérément la filiation, c’est s’engager dans le risque de fragiliser l’être humain en créant en lui de dangereux besoins identitaires.

N’a-t-on pas déjà détricoté bien des repères qui permettaient à chacun de se trouver paisiblement avec son identité en une généalogie lisible  ? On ne peut courir à la fois après la déradicalisation des adolescents et après la technique qui trafique leur filiation. Quand sortira-t-on du «  paradigme techno-scientifique  » devant lequel «  l’homme est nu  », interroge le pape François  ?

Le Défenseur des droits, favorable à la procréation médicale assistée (PMA) pour tous, demande au législateur de «  s’emparer  » du sujet. Qu’en pense l’Église  ?

L’intérêt supérieur de l’enfant est primordial dans les conflits de «  droits  », sans doute abusivement nommés. Car des devoirs les précèdent. Est-il juste de susciter des discriminations en permettant légalement que soit décidé a priori qu’un enfant ait deux papas, un autre deux ou une maman, et un autre, un papa et une maman  ? Reconnaître socialement le désir d’enfant n’est pas suffisant pour assumer une vraie responsabilité vis-à-vis de l’intérêt supérieur de l’enfant dans la société.

L’Église comprend-t-elle le désir d’enfant de couples homosexuels  ?

Oui, bien sûr. Ce qu’on a appelé leur «  infertilité sociale  » est connaturelle à l’homosexualité. Elle est souvent lourde à porter. Accompagner avec respect et attention les personnes homosexuelles qui en souffrent est important, car elles ont quelque chose à apporter à la société.

Deux ans après l’instauration du mariage pour tous, quel bilan l’Église tire-t-elle de sa prise de position contre la loi  ?

Un bilan en quatre points. Nous écouter sereinement dans l’Église. Proposer des espaces de dialogue, sans querelles politiciennes, afin que les pensées réfléchies soient entendues. Considérer le mariage humain de l’homme et de la femme unis par amour, comme distinct de sa protection juridique nommée à juste titre «  mariage  ». Entendre le Pape et son «  écologie intégrale  »  : quel juste rapport à «  sœur notre mère terre  », selon François d’Assise, et entre nous en réfléchissant à «  la valeur du corps dans sa masculinité et dans sa féminité  » et à «  la différence sexuelle  »  ? Pour l’Église, liée à la tradition juive, l’altérité sexuelle a une haute signification que ne rejoint pas la technique juridique égalitariste de droits.

Une majorité de Français sont favorables à la PMA pour les lesbiennes, et à l’euthanasie. Alors que l’Église protestante unie de France vient d’offrir la possibilité de bénir des mariages homosexuels. L’Église catholique peut-elle évoluer  ?

Vous dites «  une majorité  », avez-vous réfléchi aux questions des sondages  ? Et en ce qui concerne la décision de l’Église protestante, à Rennes, les deux pasteurs y sont opposés… Oui, l’Église catholique évolue en manifestant davantage la tendresse de Dieu pour tous. À cette lumière, l’être humain est si digne et beau  ! Seule, une «  écologie intégrale  » le protégera. S’efforcer, avec d’autres, de la discerner, c’est l’aimer et le servir, car l’Église ne juge personne. Elle veut considérer chacun avec tendresse et respect.

Vous avez ouvert un blog sur la fin de vie, et venez de publier un livre sur le sujet. Que pensez-vous des derniers rebondissements sur le projet de loi Fin de vie au Sénat  ?

J’ai confiance dans les soignants qui accompagnent les personnes en fin de vie, avec les bénévoles. Développer l’offre palliative est la priorité des priorités. Ne pas le faire, c’est manquer cruellement de fraternité à l’égard de nos proches en fin de vie.

Sur le cas précis de Vincent Lambert, que faire ? Quel regard l’Église porte-t-elle sur l’intervention de la justice dans cette affaire ?

La médiatisation au sujet de cette personne n’est pas respectueuse d’elle-même et de sa famille qui souffre. Il est mieux de faire confiance au processus collégial de décision par l’ensemble des personnels soignants avec le médecin qui a aussi la mission d’accompagner les proches. Le droit est utile, mais l’éthique donne plus de lumière.

N’y a-t-il pas un moment, cependant, où il faut décider de l’arrêt d’un traitement ?

Oui, bien sûr quand ce traitement est disproportionné, quand il ne produit aucun bien, détériore la santé et augmente la souffrance.