La nouvelle traduction du Notre Père

Depuis le 3 décembre 2017, nous ne disons plus dans la sixième demande du Notre Père : « Ne nous soumets pas à la tentation », mais : « Ne nous laisse pas entrer en tentation. » Pourquoi un tel changement ?

La formule actuelle, adoptée en 1966, au moment de la réforme liturgique qui suivit le concile Vatican II, pouvait prêter à confusion. « Beaucoup comprennent que Dieu pourrait nous soumettre à la tentation, nous éprouver en nous sollicitant au mal, (…) (alors que) leur foi leur indique pourtant que ce ne peut être le sens de cette sixième demande », expliquait le P. Jacques Rideau (La Vie, 24 octobre 2013), alors directeur du Service national de Pastorale liturgique et sacramentelle, à l’occasion de la nouvelle traduction liturgique de la Bible qui traduisit Mt 6,13 par : « Ne nous laisse pas entrer en tentation. » Cette nouvelle formulation semblait plus cohérente avec l’affirmation de saint Jacques: « Dans l’épreuve de la tentation, que personne ne dise : ‘‘Ma tentation vient de Dieu’’. Dieu en effet ne peut être tenté de faire le mal, et lui-même ne tente personne. » (Jc 1,12-13) Et il était logique qu’elle soit reprise dans la liturgie.

Si la formule en usage depuis cinquante ans était fidèle à la traduction latine [1] et à l’original grec [2] de l’Évangile – quoique « introduire » aurait été plus proche littéralement que « soumettre » -, la difficulté vient de ce qu’en grec, comme en latin, la négation n’a pas une position fixe. Mgr Philippe Barbarin disait ainsi : « Si je dis : ‘‘Faîtes entrer ce monsieur’’, tout le monde comprend ‘‘entrer’’ comme ‘‘faire entrer’’. Si maintenant, introduisant une négation, je dis : ‘‘Ne faîtes pas entrer’’, le sens est différent de ‘‘Faîtes qu’il n’entre pas’’. Or, dans la demande du Notre Père, nous ne savons pas où mettre la négation. Voilà bien le problème capital de cette traduction impossible ! » [3]

Ainsi, le changement essentiel réside dans un déplacement de la négation dans la sixième demande du Notre Père. Là où « ne nous soumets pas » pouvait se comprendre comme « ne nous fait pas entrer », « ne nous laisse pas entrer » donne à comprendre : « Fais que nous n’entrions pas », ce qui est tout aussi valable sur le plan littéral et beaucoup plus juste théologiquement et spirituellement.

[1] Et ne nos inducas in tentationem.

[2] καὶ μὴ εἰσενέγκῃς ἡμᾶς εἰς πειρασμόν.

[3] Philippe Barbarin, Le Notre Père – Un chemin de vie spirituelle, Parole et Silence – Socéval, 2007, p.63