Un confinement qui est un véritable appel à la conversion

En réponse à sa lettre « Eucharistie & confinement », adressée le 12 novembre dernier aux Catholiques en Ille-et-Vilaine, Mgr Pierre d’Ornellas a reçu la lettre ci-jointe d’une catholique vivant dans un bourg du rural en Ille-et-Vilaine.

Monseigneur,

Je voulais simplement vous remercier pour votre lettre « Eucharistie et confinement » qui me donne à penser, à espérer…

Je me dis que ce temps de confinement qui dure est un véritable appel à la conversion, conversion personnelle, conversion ecclésiale.

J’ai parfois été choquée de constater que certains, prêtres et/ou laïcs, étaient « perdus » sans l’Eucharistie. Certes, je peux comprendre que ce « manque » soit difficile à vivre et constitue une véritable souffrance ; certes,  nous ne cessons de le croire et de le répéter : «  l’Eucharistie est le centre et le sommet de la vie chrétienne » comme le souligne la constitution Lumen Gentium du Concile Vatican II.

Privés de l’Eucharistie, serions-nous privés de toute relation à Dieu ? Ne serions-nous plus des enfants de Dieu ? Cela en dit long sur une certaine pauvreté spirituelle, peut-être la nôtre et c’est pourquoi je parle d’appel à la conversion autant personnelle qu’ecclésiale ! Comment avons-nous pu en arriver là ?

Après le premier confinement, nous avions déjà réfléchi et relu cette expérience au sein de notre petite communauté rurale.

Aujourd’hui encore, nous pouvons reprendre notre réflexion en l’ajustant quelque peu :

Nous vivons un temps particulier qui nous invite à l’humilité !

Nous avons le sentiment qu’après ce temps, il y aura beaucoup de personnes que nous ne verrons plus, particulièrement les personnes âgées qui sont les forces vives (spirituelles) de notre communauté… Elles se sentent vraiment oubliées et seules. Et un certain nombre de personnes actuellement engagées (70 et +) ne se sentent pas prêtes psychologiquement à retourner à l’Eglise pour vivre l’Eucharistie, en raison de leur âge, de leur vulnérabilité.

Nous sommes privés de l’Eucharistie ; certes, ce sacrement nourrit notre foi ; certes, il est le centre et le sommet de notre vie chrétienne ; certes, nous avons besoin de nous retrouver en assemblée pour faire Eglise, le Corps du Christ  ; certes, tous les sacrements sont là pour nourrir notre foi et, tout cela,  nous y croyons ! Mais si nous vivons un temps de manque,  Dieu est quand même présent au-delà des sacrements ; il est bon de le rappeler et de vivre notre relation à Dieu « autrement » en ce temps si particulier de confinement.

A ce propos, nous avons évoqué ce passage de l’Evangile, celui de la rencontre de Jésus avec la Samaritaine, lorsque Jésus dit à  la Samaritaine  : « L’heure vient où tu n’adoreras le Père ni sur cette montagne ni à Jérusalem. […] L’heure vient, et c’est maintenant ici, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, car le Père cherche comme eux pour l’adorer » (Jean 4, 21-23)..

Eh oui, nous sommes le temple de l’Esprit ! Ce que nous avons pointé là, c’est l’importance de retrouver ou d’approfondir une vie intérieure en ce temps de manque de l’Eucharistie et des sacrements. D’où l’importance de la méditation de la Parole de Dieu. Il s’agit de manger la Parole pour se nourrir. La Parole est sacrement. Elle est pain de vie.

Actuellement les catholiques ont hâte de se retrouver pour célébrer. Nous le comprenons, mais, en même temps, nous devons faire preuve de responsabilité –que les catholiques ne fassent pas de « forcing » pour reprendre les célébrations mais respectent les directives sanitaires.  Nous sommes responsables les uns des autres ; tous les hommes sont nos frères. J’ai reçu et je ne suis pas la seule, des mails pour signer une pétition…  Cela m’a fait mal ; j’ai ressenti que les catholiques sont divisés ; j’en ai même la certitude à l’écoute de certaines communications téléphoniques. C’est une vraie souffrance pour beaucoup ; certains parmi ceux qui ne disent rien et ne manifestent pas s’en iront sur la pointe des pieds ou en claquant la porte…

Il suffit d’ouvrir les oreilles pour entendre et d’ouvrir les yeux pour voir ! « Rendez-nous nos messes » avec véhémence… ou encore, nous demandons le retour des messes pour être au plus près de Dieu !

De tels slogans me remplissent de tristesse.

Que de voix discordantes ! Libre à chacun de manifester dans le respect de la liberté de l’autre. Mais quelle image, nous les catholiques, donnons-nous à voir !

Si la messe dominicale retransmise sur France 2 (ou sur d’autres chaînes) nous a nourris et aidés à vivre en communion, nous avons aussi déploré certaines vidéos sur la toile qui ressemblaient davantage à une manière idolâtrique de célébrer (je n’engage que moi en disant cela).

Notre paroisse, 13 clochers… Le lien est assez difficile. Finalement,  nous nous sentons surtout appelés à vivre la charité au quotidien :

Nous avons tenté et tentons de rester proches  « des autres », quels qu’ils soient ; c’était et c’est une manière de vivre la charité, tout simplement, tout près de chez soi, en portant attention aux voisins, leur demandant de leurs nouvelles, etc… Charité et simplicité riment : c’est un sourire, un bonjour, un coup de fil, l’écoute de l’autre dans le respect, même s’il pense différemment que moi…,  une visite, etc. Ce temps de confinement nous a fait prendre conscience que la charité est à vivre au quotidien, dans la vie de tous les jours ; qu’il est essentiel de prendre ce temps-là alors que parfois, nous sommes tellement pris par le « fonctionnement » de l’Eglise, de notre relais et de notre communauté. Certes, il est nécessaire de trouver le juste équilibre mais ce temps de confinement a été comme un aiguillon pour nous renvoyer à l’essentiel : la charité. Et ce que nous partagions hier reste pertinent aujourd’hui.

Nous avons gardé des liens entre membres de la communauté et même au-delà (autres communautés de la paroisse) par mail et téléphone ; eh oui, le téléphone a fonctionné ! Y compris avec des personnes que nous avions oubliées en raison de l’éloignement géographique, des événements de  la vie qui nous ont dispersés… ;  les enfants du caté ont réalisé, quant à eux,  des dessins qui ont été remis à l’EHPAD pour les résidents qui en ont été très touchés.

J’aimerais revenir sur le jeûne eucharistique ; nous avons déjà insisté sur le fait que celui-ci pouvait prendre tout son sens ; nous sommes en communion avec tous nos frères et sœurs en humanité dans le respect des règles sanitaires ; nous ne sommes pas au-dessus des lois pour le bien de tous, je me répète. Mais ce jeûne offert, en communion avec tous ceux qui ne communient pas (quelle qu’en soit la raison) est une offrande de tout notre être appelé à vivre avec Jésus une vie vraiment eucharistique. Et là, c’est parfois aussi simple et pauvre que la vie d’un vieux couple vécue avec plus de douceur et de silence intérieur ; « heureux les pauvres de cœur, le royaume des cieux est à eux » ; d’une personne seule offrant sa solitude ; d’une famille traversant ses difficultés personnelles (l’éducation des enfants), et/ou économiques, professionnelles, etc. Des soignants  qui se dévouent  auprès des malades et c’est peu dire…Que de souffrances à porter et à partager !

Quand je parle de conversion personnelle et aussi ecclésiale, je pense que nous devons être inventifs, tous et chacun à notre niveau.

En ce qui concerne nos petites communautés rurales comme la nôtre,  nous sommes conscients de la nécessité de réinventer notre manière de vivre notre foi par la méditation personnelle, en famille et en groupe de la Parole de Dieu de manière plus soutenue ; il nous  semble également que des célébrations de la Parole de Dieu participeraient à la vitalité de notre communauté/relais et donc de la paroisse et donc de l’Eglise tout entière.

Voilà, il me semble  important de nous convertir pour réaliser, ensemble, une certaine conversion pastorale. Moi, femme de 72 ans, je me sens bien pauvre et je n’ai pas de solution à proposer. Je me dis simplement qu’ensemble, il nous faut prier et réfléchir à une autre manière de vivre notre foi en Eglise. L’Eglise, c’est nous tous.

Bien souvent, j’ai pu  constater l’absence d’une véritable rencontre avec l’Evangile de nombre de chrétiens ! Les sacrements, y compris l’eucharistie, seraient-ils vécus comme un bien de consommation ? Cela n’est pas sans poser aussi la question de la pastorale des sacrements. C’est une question au vu de cette pauvreté spirituelle.

Ne faut-il pas revenir à une véritable pastorale des familles ?

Et comment aider les familles à vivre leur vie chrétienne ? vie chrétienne bien réelle et non seulement en envoyant  leur(s) enfants  au caté et/ou  en participant à la messe de temps en temps ?

Comment aider les familles à vivre leur foi chez eux et retrouver ainsi une véritable liturgie familiale dans une cohérence entre vie de prière, partage de la Parole de Dieu, vie sacramentelle, vie de services, engagements professionnels, sociaux, voire politiques. La liturgie familiale ne consisterait pas uniquement en une vie de prière et sacramentelle mais à mener une vie eucharistique dans tout le quotidien de l’existence. Ce n’est pas une vie nécessairement « pieuse » mais une vie offerte avec Jésus pour le monde et dans le monde.

Peut-être est-ce un vœu pieux.

Il me semble, par ailleurs, (et c’est un autre sujet) qu’à la racine de la désaffection de la pratique religieuse réside, pour un grand nombre, une profonde incompréhension du langage de l’Eglise et de celui de la société. C’est comme si nous ne parlions pas la même langue et nous en sommes tous responsables.

J’aimerais apporter des solutions mais je ne suis ni Madame Soleil ni l’Esprit Saint. En revanche, je crois en l’Esprit ; je crois que si on le lui demande, il nous éclairera et nous conduira à une véritable conversion personnelle et ecclésiale.

Déjà, nous pouvons « Veiller et prier «  «  pour accueillir Dieu, ce petit enfant, dans notre propre cœur. C’est une proposition de premier pas de conversion que nous offre la liturgie de l’Avent.

Voilà Mgr. Ma réponse à votre lettre c’est un cri, le cri  du cœur néanmoins paisible d’une femme qui aime l’Eglise, l’Eglise du Verbe incarné, l’Eglise qui invite toujours à vivre aujourd’hui le mystère de l’Incarnation où la vie de Dieu pénètre la vie humaine en tous ses actes, en toutes ses rencontres.