L’antisémitisme, un virus aux multiples variants

Jean-Dominique Durand, , Président de l’Amitié judéo-chrétienne de France

Jean-Dominique Durand, Président de l’Amitié Judéo-chrétienne de France, effectue un tour de France des groupes locaux. Il était de passage à Rennes les 28, 29 et 30 janvier 2022.

Au programme : diverses rencontres – œcuménique, avec Mgr d’Ornellas, avec l’adjointe à la Maire de Rennes, déléguée aux cultes et à la laïcité, plusieurs associations juives locales – visite de l’exposition Marcel Callo et Dreyfus, messe au Convent Sainte-Anne. Accueilli par le Groupe Jules Isaac, il donnait une conférence à la Maison diocésaine sur le thème : l’antisémitisme, un virus aux multiples variants. Interviewé par Maurice Thuriau sur RCF Alpha, Jean-Dominique Durand reprend les points clés de son intervention.

MT : Il y a des variants idéologiques : l’antisémitisme s’est parfois confondu avec l’antijudaïsme. Il y a une rupture difficile entre les premiers chrétiens et les juifs fidèles à la synagogue ?
JDD : L’antisémitisme est intrinsèquement lié à l’antijudaïsme qui est une hostilité théologique ou spirituelle à l’encontre des juifs, accusés de ne pas avoir reconnu le Christ comme le Messie, et même parfois accusés d’avoir tué le Christ, donc d’être le peuple déicide avec lequel on ne peut pas être ami.

Et cela a perduré jusqu’à Vatican II ?
Quasiment, et malheureusement encore aujourd’hui dans certaines parts du catholicisme on retrouve des relents de cet antijudaïsme traditionnel mais qui a fait énormément de mal. D’abord parce qu’il s’agissait d’un véritable enseignement du mépris et, à partir du moment où, au XIXe s. notamment, s’élabore dans le contexte des nationalismes les théories raciales de hiérarchie des races, on parle alors d’antisémitisme, mais le passage de l’antijudaïsme à l’antisémitisme se fait quasiment automatiquement. Il n’y a pas de barrage entre l’antijudaïsme traditionnel et l’antisémitisme contemporain qui a porté au nazisme et à la Shoah.

Groupe Jules Issac logo

Dans certains pays, on a vu des pogroms, les juifs étaient pris comme boucs émissaires dès qu’il y avait un problème dans la société ?
Le bouc émissaire nous le voyons encore aujourd’hui. À chaque fois qu’il y a une crise, de tout temps on fait reporter la responsabilité sur les juifs. On est toujours dans cette irrationalité. Nos sociétés sont de plus en plus techniciennes, de mieux en mieux informées et pourtant toutes les vieilles lunes qui se colportent depuis le début de l’humanité sont toujours présentes dans nos sociétés. Les préjugés restent : les juifs sont riches, sont influents, ils contrôlent les médias, les pouvoirs, les banques. Et il y a un préjugé particulièrement vicieux que l’on colporte : les juifs sont rusés, il faut s’en méfier individuellement, mais aussi collectivement. D’où l’idée qu’il y a une question juive et qu’il faut les mettre à part, d’où les statuts spéciaux en 1940.

Il y a une date importante, celle de la création de l’État d’Israël ?
L’antisionisme remonte avant 1948. Bien avant la guerre, le grand Mufti de Jérusalem était un très proche d’Hitler et prônait la disparition du peuple juif. L’idée était que les juifs ne reviennent pas en Terre sainte. Cette idée court dans les organismes internationaux comme l’ONU, l’Unesco où on nie le caractère juif de Jérusalem.

Il y a l’antisémitisme avec des caricatures…
On peut en voir encore aujourd’hui, dans les manifestations, le juif qui contrôle tout, les médias, qui veut s’emparer du monde… Ces caricatures sont particulièrement dangereuses parce qu’on les mémorise facilement. Il y a toute une littérature antisémite aussi mais ce sont des livres plus ou moins facile à lire : on peut évoquer Garaudy, Drumont, Céline…

L’association de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France et ses 40 groupes locaux organise, à Paris le 20 mars 2022, une journée nationale de lutte contre l’antisémitisme : « Le temps des responsabilités ». En partenariat avec la Conférence des évêques de France.

VOIR AUSSI : le site de l’Amitié Judéo-Chrétienne de France

On peut faire référence au livre Les protocole des sages de Sion paru en Russie début XXe qui a beaucoup marqué l’histoire de l’antisémitisme ?
C’est un faux visant à expliquer que les juifs promouvaient un véritable complot pour dominer le monde. C’est un texte rédigé par la police tsariste en 1903 qui a eu un succès considérable. Il a été instrumentalisé par des gouvernements ou des organismes antisémites, notamment par les Nazis à partir de 1920. Aujourd’hui, on les trouve en lecture libre en Iran, Arabie Saoudite, dans de très nombreux pays arabes.

Le complotisme est très à la mode en ce moment, avec les réseaux sociaux notamment.
Là, nous avons un ultime variant avec les réseaux sociaux qui sont capable de répandre n’importe quelle pseudo information et de manière anonyme. C’est ce que l’on appelle la « cyberhaine ». Dans le livre de Marc Knobel sur ce sujet, on découvre que les réseaux sociaux, avec l’anonymat qu’ils garantissent, deviennent un déversoir de toutes les haines possibles et imaginables, pas seulement la haine des juifs, mais la haine des chrétiens, des femmes, des homosexuels, des musulmans, c’est un défouloir ! Puis c’est répété en boucle. C’est assez terrifiant.

Face à cela, que peut-on faire ? Comment lutter efficacement contre quelque chose d’aussi ancré dans la société depuis des siècles ?
La question est difficile car on est confronté à des choses qui existent depuis des millénaires, et qui utilisent des moyens qui s’adaptent constamment au temps et aux lieux. C’est pour cela que je parle d’un virus car c’est une forme de maladie, avec des variants qui s’adaptent aux périodes.

Alors que peut-on faire ? Je dirais deux choses. D’abord se battre, ne jamais baisser les bras ; dire la vérité ; faire avancer la connaissance et montrer combien l’antisémitisme peut être ridicule et ne repose sur rien de fondé. Un deuxième moyen, un antidote, c’est l’amitié avec les juifs, le soutien aux juifs car il ne faut pas laisser les juifs seuls. Si des gens se permettent d’assassiner des enfants à Toulouse en 2012, si on a pu assassiner Ilan Halimi et d’autres perosnnes, uniquement parce qu’elles sont juives, c’est parce qu’on laisse les juifs seuls trop souvent.

Prenez la Shoah par exemple, qu’est-ce qu’il y a eu avant la Shoah : l’arrivée de Hitler au pouvoir, en 1935, les lois de Nuremberg qui font des juifs des sous-hommes en Allemagne. Et que se passe-t-il un an après : les Jeux Olympiques à Berlin. Le monde entier vient à Berlin, à travers l’exaltation du sport certes, mais participait à l’exaltation du régime nazi. Donc on a laissé les juifs seuls.

Je crois à la vocation de l’amitié, notamment notre association qui s’appelle l’Amitié judéo-chrétienne de France, fondée en 1948, qui est de montrer une solidarité indéfectible avec les juifs.

À écouter sur RCF Alpha à partir de lundi 7 février