Père Lebret, un dominicain au service de l’économie humaine

Qui était le père Louis-Joseph Lebret, dominicain né près de Saint-Malo et mort il y a tout juste 50 ans ? Un colloque le 15 octobre 2016 à Rennes permet de redécouvrir cet économiste dont le message est fortement d’actualité.
Un colloque sur l’actualité du Père Lebret
À l’occasion du jubilé de l’Ordre des Prêcheurs, le Couvent Sainte-Anne des Dominicains et le diocèse de Rennes ont souhaité commémorer le 50e anniversaire de la disparition du père Louis-Joseph Lebret en organisant une journée de réflexion et de débat sur sa pensée, son œuvre et son actualité, le 15 octobre 2016. Cet évènement est réalisé en collaboration avec : le Centre International Lebret-Irfed, les Amis d’Emmanuel Mounier, le Centre Inter-disciplinaire des Phénomènes Humains et Sociaux de l’Université Rennes 2 (CIAHPS) et l’Institut des Sciences Mathématiques et Économiques Appliquées (ISMÉA).
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VIDÉO | « Louis-Joseph Lebret : un vieux loup de mer »
Ce film, réalisé par le diocèse de Rennes en juin 1996, retrace la vie du dominicain originaire du Minihic-sur-Rance. Malgré son ancienneté, il présente bien le cheminement du Père Lebret, de son enfance à son engagement dans les ordres, de ses premières études et actions sur la côte bretonne à son engagement international. Il donne la parole à des témoins de premier ordre.
Un universitaire rennais présente le Père Lebret
En prologue à ce colloque, Jean-Louis Perrault, maître de conférences en économie à l’Université Rennes 1, nous éclaire sur la vision d’une économie humaine par le Père Lebret. Extrait de son interview (lire le texte complet dans Église en Ille-et-Vilaine n°279, octobre 2016).
Pour le Père Lebret, l’esprit de système était incompatible avec l’idée d’une société en mouvement.
Comment situer le Père Lebret à son époque ?
Le P. Lebret exerce la plus grande influence après-guerre. C’est l’époque où des grands et des petits pays peuvent prétendre à l’indépendance. Et aussi, l’époque où les pays industrialisés imaginent constituer un modèle. Le Père Lebret, fort de ses expériences auprès des marins de Saint-Malo et de ses recherches sur le développement « Le nouveau nom de la Paix », fait partie de ces experts qui sont appelés sur le terrain par les appareils politiques locaux et nationaux. L’administration de la Ve République envoie les universitaires des équipes de François Perroux (1903-1987), comme Gérard de Bernis (1928-2010), par exemple, au Sénégal ou en Algérie.
En effet, les doctrines politiques n’offrent pas de réponse au dilemme que constitue le retrait des métropoles face à la pauvreté de ces pays, désormais indépendants mais confrontés à des difficultés nouvelles. Les questions de développement ou de Tiers nations ou Tiers-Monde, sont nouvelles. Lebret représentera ainsi le Saint-Siège à la première CNUCED, la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement, en 1965, un an avant sa disparition.

La pensée du Père Lebret sur l’économie vous semble-t-elle encore d’actualité ?

La pensée du Père Lebret est encore très présente, de fait, dans le champ sociologique (méthodologie de l’enquête-action) et dans le champ de l’urbanisme ou de l’aménagement du territoire.
De plus, par l’intermédiaire d’une autre figure de l’époque, Henri Desroche (1914-1994), on peut observer une forte influence de la pensée lebrétiste dans le domaine de l’économie sociale et solidaire – ESS – selon laquelle, l’organisation de la société, la « montée humaine » doivent être fondés non pas sur la compétition mais sur une organisation cohérente et pensée, et la coopération.
Ceci étant dit, il est indéniable que, comme Perroux, Lebret souffre d’un fort ostracisme dans l’université française. Ce qui n’est pas le cas dans le Sud, au Brésil ou au Sénégal, par exemple, où il existe encore des Centres Lebret très actifs…
Le relatif oubli dans lequel est tombé le Père Lebret, à l’Université, est-il indépassable ?
J’espère que non. Tout le monde sait maintenant que le communisme, d’une part, et le capitalisme débridé, d’autre part, ont posé des promesses (croissance, plein emploi, liberté), en 1945, qui se sont avérées des mystifications. Après l’écroulement des deux modèles, d’autres voies méritent d’être ré-explorées et exigent une méthode, telle que celle définit par Lebret (ou Perroux).
Autre époque, autre contexte, autres observations, autres propositions ; mais, l’appel solennel, qu’ils ont inspiré, à la création collective d’un monde plus juste, plus solidaire, plus fraternel, et qui constitue la trame de l’Encyclique Populorum Progressio [le Père Lebret en est un des auteurs, NDLR], ne peut continuer d’être ignoré.
Enfin, le pape François fait vibrer une pensée sociale qui consonne ardemment avec celle du P. Lebret, qui rappelons-le, fut l’ami du Cardinal Montini, avant qu’il ne devienne sa sainteté le pape Paul VI. Une pensée qui n’a jamais disparu de l’enseignement des Papes et que Jean-Paul II (Redemptor Hominis, Laborem Exercens etc.), ou Benoît XVI (L’Amour dans la Vérité) ont régulièrement développée. De ce point de vue, il y a une véritable continuité du discours papal sur le développement, depuis Rerum Novarum et l’émergence d’une doctrine sociale de l’Église, en 1891.