Une famille ukrainienne s’insère grâce à son unité

La famille Revina montre sur une carte de Marioupol où ils habitaient avant la guerre

Un an après, c’est une vraie réussite ! Dans la famille Révina, les quatre adultes travaillent, les deux jeunes sont scolarisés et progressent vite en français. Ils habitent une maison prêtée par la mairie à Noyal sur Vilaine… et programment un weekend à Paris pour fêter leur première année en France. Une famille dont la force a été l’unité.

Propos recueillis par Yann Béguin.
Merci à notre traducteur Maksime : ukrainien, arrivé en France en 2008 et membre de l’association Solidarité Bretagne-Ukraine.

La famille Revina participe à la manifestation à Rennes, un an après le déclenchement de la guerre en Ukraine
La famille Revina participe à la manifestation à Rennes, un an après le déclenchement de la guerre en Ukraine

La réussite est belle… mais derrière les sourires, il faut entendre ce qui ne peut s’exprimer. Par pudeur, par peur de ne pas être compris ou en raison de la barrière de la langue. Il y a les images de guerre qui reviennent chaque nuit, l’inquiétude pour ceux qui sont restés au pays, dont parfois on n’a pas de nouvelles… Le traumatisme reste profond, pour tous.

« Il y a un an, en entendant dans le haut-parleur du hall des réfugiés à Varsovie, l’annonce d’un départ imminent pour la France, nous nous sommes précipités. » se rappelle Nina, la mère. « Nous sommes de Marioupol donc nous avons perdu tout ce qui faisait notre vie : nos affaires, nos habitations, nos voitures. » Serguei, le père, complète : « Quand nous sommes arrivés à Rennes, nous avions juste de petits sacs plastiques avec nos téléphones portables, quelques papiers, et quelques affaires d’occasion trouvés en Pologne. J’étais auto-entrepreneur dans le bâtiment et possédait donc mon propre matériel pour faire des travaux, je n’ai plus rien. Ici à Noyal sur Vilaine, j’ai refait toute la maison, aidé de ma famille. L’aide de la Diaconie a été inestimable : les gens nous ont accueillis, nous ont tout fourni, nous ont accompagné dans toutes les démarches. Puis ils ont trouvé cette maison, plus proche de notre travail, et ont cherché les matériaux pour restaurer la maison. »

Symbole de la vie qui continue, le mur du salon est rempli de photos de souvenirs d’Ukraine mélangés aux premiers mois passés en France

Partir a été une décision très difficile à prendre

D’après des images vidéos, ils savent désormais que leur quartier a été totalement rasé par les Russes. « J’étais responsable de la logistique des voies ferrées du complexe industriel Azovstal. Au début de la guerre, nous nous sommes réfugié dans l’appartement de ma grand-mère, près de l’usine, parce que nous pensions qu’elle ne serait pas touchée. » Ils ont vécu un mois dans le froid de l’hiver, sans eau et électricité, terrés dans la cave, avec d’autres habitants. Quand les bombes, larguées des avions, ont commencé à détruire les immeubles voisins et que le feu a failli les faire étouffer dans la cave, rester est devenu plus dangereux que partir. Malgré les tirs incessants et l’incertitude. « Nous avons décidé de partir à pieds, avec un bidon d’eau et quelques affaires, en laissant les anciens qui ne pouvaient pas marcher. Ça a été une décision très difficile à prendre. » raconte Serguei. « Depuis, souffle Nina, on sait que ma grand-mère, 87 ans, est morte sur place et la mère de Serguei, 82 ans, a disparu. Ma propre mère, elle, a été déportée vers la Russie. »

Le journal de Maria : de Marioupol à la Bretagne

La jeune Maria, 20 ans, raconte, jour après jour, la destruction de Marioupol, l’enfer vécue par sa famille pendant un mois dans une cave, et l’évasion vers la Pologne.

Téléchargez son journal de bord en cliquant sur l’image.

Descendus du car de la Diaconie, le 7 avril 2022, ils ont d’abord été accueillis à Breteil, accompagné par un collectif de bénévoles et la paroisse de Montfort-sur-Meu, qui se sont relayés pour leur apprendre les premiers rudiments de français, faire les premières démarches, et recréer des relations d’amitié.

Désormais, les parents travaillent à la chaîne à l’usine Bridor, ainsi que Kyrylo, le fiancé de Maria, la fille aînée. « J’aimais beaucoup mon travail en Ukraine. Ici, c’était très difficile au début. Maintenant nous nous sommes habitués… et nous nous sommes musclés ! » s’amuse Nina. « Quelle chance déjà d’avoir trouvé du travail ! » s’exclame Serguei. « Cela nous permet d’avoir nos propres ressources et même de mettre un peu de côté. » Kyrylo partage aussi sa fierté : « Malgré mes connaissances encore limitée du français, j’ai pris des responsabilités et je remplace parfois des personnes sur des postes de travail qualifié. J’ai pu acheter une voiture pour aller au travail. Nous sommes très reconnaissants de la confiance que nous a fait l’entreprise »

Tellement reconnaissante pour tous ces gens qui m’ont aidé

« Ça faisait 5 ans que j’étais professionnelle de la manucure. » explique Maria, 21 ans. « J’avais mon matériel et mon cabinet dans mon appartement et j’avais beaucoup de clients. Un nouvel ami ici nous a présenté à la directrice d’un institut de manucure à Rennes. J’y travaille depuis septembre mais je préfère désormais devenir indépendante et développer mes propres créations. » Dans le salon, un bureau est déjà aménagé avec des étagères de produits pour les ongles. « J’ai traduit mon compte Instagram en français, j’ai déjà ma propre clientèle et à partir du mois d’avril, je ne travaillerai plus que comme indépendante ici ! Je suis tellement reconnaissante pour tous ces gens qui m’ont aidé. »

Côté jeunes, il a fallu du temps pour que chacun trouve ses marques. Timothée est en Première au lycée de Cesson Sévigné dans une classe spéciale pour élèves étrangers et il a des cours supplémentaires de français à Rennes. Il suit aussi les cours d’Ukraine en ligne. Yvan a changé de collège pour être aussi dans une classe spéciale internationale. C’est plus loin, mais il y a plus d’enseignement de français et il s’y fait des amis. À Noyal, il fait aussi partie du club de foot. Trois fois par semaine, une femme vient apprendre le français aux enfants.

Nous avons appris à profiter de chaque jour de notre vie

Nina conclu : « Nous remercions Dieu que nous sommes tous sauvés, c’est important d’être tous ensemble. Au début nous n’arrivions pas à le croire. Notre famille est très unie, nous passons du temps ensemble. Suite à ce drame, nous sommes devenus plus forts. Nous avons appris à profiter de chaque jour de notre vie. Dans le sous-sol de Marioupol, nous avons pensé ne jamais nous en sortir. » Mais Serguei livre son inquiétude : « Tous les jours nous regardons l’actualité de l’Ukraine, nous sommes très préoccupés pour les militaires, les civils. »

Pour les jeunes, leur vie est désormais ici : « En Ukraine, nous avions tous les deux organisés nos vies, nous avions des rêves, nous devions nous fiancer. » se rappelle Kyrylo. Maria complète : « Souvent, j’ai l’impression que tout ça n’a pas existé, tellement cette nouvelle vie est différente. » Son jeune fiancé conclu : « C’est plus facile quand on vit à côté de la personne qu’on aime et que l’on se supporte l’un et l’autre. Nous avons envie d’avoir notre propre appartement, ça nous motive et ça nous fait oublier la dureté du travail. Nous avons de la chance d’avoir une grande aide autour de nous. »