Homélie 23 février 2020 – 7ème Semaine du Temps Ordinaire – Année A

Père Bernard Heudré

Associé au service pastoral de la paroisse Saint-Jean XXIII de Rennes (35)
Délégué épiscopal aux archives historiques du diocèse de Rennes

Évangile : «Aimez vos ennemis» (Mt 5, 38-48)

Aujourd’hui, la question de l’éducation est au centre des préoccupations de la société comme des familles. Jamais il n’y a eu autant de livres à paraître sur l’éducation, ce qu’elle est fondamentalement et, peut-être plus que tout, sur la manière concrète de l’exercer. Au fond, on aimerait trouver les recettes idéales que ce soit pour la famille ou pour l’école.

Plus je lis l’Évangile, plus je pense que le maître par excellence en éducation n’est autre que Jésus lui-même et cela pour deux raisons : d’abord le regard patient qu’il pose sur chaque personne humaine avec toujours une confiance indéfectible dans les possibilités de chacun, ensuite la référence permanente à son Père. Le créateur est quand même le mieux placé pour comprendre et aimer sa création, le mieux placé pour connaître le cœur de l’homme, certes riche de l’amour qu’il cherche et qu’il vit, mais aussi, ainsi que le dit le prophète, compliqué et malade.

En ce dimanche, les textes de la Parole de Dieu que nous venons d’accueillir mettent décidément la barre très haut et ne rejoignent pas spontanément la tendance à l’arrangement, à l’accommodement souvent prônée pour satisfaire tout le monde. Non, aujourd’hui nous disent ces textes, nous sommes invités à dépasser nos horizons habituels.

Deux paroles nous l’ont rappelé avec force. D’abord celle que Dieu lui-même a confiée à Moïse : «Soyez saints, car moi, le Seigneur votre Dieu, je suis saint». Ensuite celle de Jésus en conclusion de tout le sermon sur la montagne : «Vous donc, vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait». Et tout cela pour nous demander ce qui nous semble être souvent l’impossible : «Aimez vos ennemis».

Parole inaudible pour des esprits bien-pensants qui jugent selon la sagesse de ce monde, mais aussi déconcertante pour nous disciples du Christ, d’autant plus que ce n’est pas un conseil que Jésus nous donne, c’est un commandement vraiment nouveau et qui est la propriété exclusive du christianisme.

Martin Luther King, apôtre de la non-violence, a bien sûr accueilli cette parole de Jésus, mais elle l’a aussi bousculé. Ce qui l’a amené à chercher à la comprendre d’une manière audible. Je le cite : «Pour ma part, je suis heureux que Jésus n’ait pas dit : «Ayez de la sympathie pour vos ennemis» parce qu’il y a des personnes pour lesquelles j’ai du mal à avoir de la sympathie. La sympathie est un sentiment d’affection, et il m’est impossible d’avoir un sentiment d’affection pour quelqu’un qui bombarde mon foyer. Il m’est impossible d’avoir de la sympathie pour quelqu’un qui m’exploite… Aucune sympathie n’est possible pour quelqu’un qui, jour et nuit menace de me tuer. Mais Jésus me rappelle que l’amour est plus grand que la sympathie, que l’amour est une bonne volonté compréhensive… envers tout les hommes» (La force d’aimer)

Jésus, en maître en éducation, met à la base de tout le fait que l’homme est créature de Dieu, capable de Dieu, a priori d’être demeure de Dieu. Enseignement que Saint Paul a su reprendre et expliciter, notamment pour sa communauté de Corinthe qui lui pose bien des problèmes à cause de ses divisions internes et du manque d’attention à l’ensemble des frères. C’est la raison pour laquelle il lui rappelle : «Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ?   Et Paul ajoute que détruire le sanctuaire de Dieu qu’est l’homme, c’est se détruire soi-même.

A juste titre, nous sommes blessés et nous pouvons à bon droit nous insurger lorsqu’une église est profanée. Mais avons-nous la même capacité d’insurrection lorsque c’est le sanctuaire qu’est tout homme qui est ignoré, blessé, détruit. Les paroles du pape François concernant les migrants peuvent déranger, même des chrétiens, mais il ne fait que rappeler l’Évangile. Certes, l’accueil doit être réfléchi, mais il n’est plus temps de réfléchir lorsque quelqu’un est en train de se noyer. La seule attitude humaine, avant d’être chrétienne, est de savoir lui tendre la main.

Sur cette parole de Paul, «l’homme sanctuaire», il y a un fait que j’aime citer car il me touche profondément. Il concerne le grand philosophe Emmanuel Mounier qui a mis en honneur ce qu’il a appelé le personnalisme et qui, de plus, avait des responsabilités dans la société française de l’après-guerre. L’une de ses petites filles, après un vaccin reçu dans sa toute petite enfance, était devenue profondément handicapée, constamment alitée et sans communication perceptible. Chaque soir, en rentrant chez lui, après une journée souvent harassante, il allait s’agenouiller près du berceau de son enfant, disant que c’était pour lui son adoration du Saint Sacrement. Y a-t-il plus belle manière de dire que tout homme est tabernacle de Dieu car sorti des mains de Dieu, même l’ennemi ?

Certains jours, on peut penser : «Mais je n’ai pas d’ennemi !» Cet ennemi à aimer, n’est-ce pas celui qui me dérange, qui me blesse par sa seule différence, celui qui pense et agit différemment de moi, celui que je ressens comme une menace à un moment donné de notre relation ?

L’amour dont nous parle Jésus n’est pas seulement un sentiment. Il doit se comprendre dans le sens du verbe aimer en hébreu que le pape François nous a explicité : «C’est faire le bien». Quel magnifique programme car il n’est jamais terminé !

Amen