Homélie Ascension 2018

Ascension 2018, année B

« Galiléens, pourquoi restez-vous là à regarder vers le ciel… ? ». On comprend souvent cette phrase comme un reproche adressé par les anges aux Apôtres le jour de l’Ascension. Le jour de l’Ascension, en effet, les apôtres, voyant Jésus monter et disparaître dans le ciel, restent les bras ballants à regarder le ciel, alors qu’ils doivent se mettre au travail : partir en mission annoncer l’Evangile à toutes les nations, être des témoins du Christ ressuscité jusqu’aux extrémités de la terre. Ce reproche, on l’applique habituellement aussi à l’Ascension aux chrétiens : être chrétien, nous dit-on, ce n’est pas regarder le Ciel mais regarder la terre, ce n’est pas regarder le Ciel, comme si le salut allait tomber du ciel, c’est regarder la terre et tout ce qu’il faut faire pour sauver les hommes, voir tous leurs besoins, et y répondre pour améliorer la terre et la changer en Royaume de Dieu.

Oui, le jour de l’Ascension, on a tendance à reprocher aux chrétiens de ne pas être assez actifs dans le monde, pas assez engagés, pas assez militants, pas assez responsables ! C’est vrai, c’est toujours une bonne question à se poser. Mais je crois que le sens de l’Ascension peut prendre aussi le contre-pied de cette interprétation et dire non pas : « Chrétiens, pourquoi restez-vous là à regarder le Ciel ? » mais « Chrétiens pourquoi regardez-vous si peu le ciel ? Pourquoi regardez-vous autant la terre et si peu le ciel ? »Je crois que, dans le contexte de notre monde aujourd’hui, on a autant besoin de regarder le Ciel que de regarder la terre.

Que voit-on sur la terre ? Il suffit de regarder la télévision ou les journaux pour voir chaque jour des images et des nouvelles plus horribles les unes que les autres qui nous font désespérer de l’humanité. Tous nous regardons peut-être trop ces images qui nous démoralisent : images de tortures, de crimes, de vengeance… images de violence gratuite dans nos villages ou les quartiers de nos villes ; actes de vandalisme qui ne se comptent plus… Oui, nous regardons sans doute trop tout ce qui est signe d’une dégradation évidente des valeurs, des mœurs, des institutions de notre société.Bien sûr il ne s’agit pas de nous boucher les yeux. Mais, dans le contexte d’aujourd’hui, l’Ascension nous invite à regarder le ciel autant que la terre.

Si Jésus est monté au ciel le jour de l’Ascension, c’est pour nous montrer que là est le sens à chercher à nos problèmes, là se trouve le seul Salut, là se trouve la seule possibilité d’espérer contre toute espérance : en Dieu ! S’il n’y a pas aujourd’hui un réel retour à Dieu, alors notre société risque de se perdre, osons le dire. Alors pour nous chrétiens, fêter l’Ascension, c’est réapprendre à regarder le ciel au lieu de ne regarder que le monde et la terre. C’est réapprendre la véritable contemplation. C’est remplacer la sur-information par la contemplation. C’est choisir l’élévation à la place de la dégradation.La contemplation, c’est choisir de s’élever, c’est regarder le ciel en regardant la nature, en admirant la création de Dieu…

Au cœur de cet émerveillement, c’est regarder le ciel pour dire : « Seigneur, c’est toi qui a créé cette si grande beauté : merci ! »La contemplation, c’est choisir de regarder le ciel, c’est choisir de s’élever en se dépassant aussi bien dans l’effort physique et sportif, qu’intellectuel ou spirituel. C’est regarder le ciel pour dire : « Merci mon Dieu de m’avoir aidé à arriver à ces résultats, à ces sensations, à cette plénitude ressentie quand on donne le meilleur de soi-même ». La contemplation, c’est regarder le ciel, c’est choisir de s’élever en ouvrant son cœur par des actes de générosité qui poussent à donner, à aider, à être responsable, bref à voir la vie autrement en aimant. C’est goûter la joie du don de soi qui pousse à regarder le ciel pour dire à Dieu : « Merci Seigneur pour cet amour vécu qui élargit notre cœur aux dimensions du tien ».

La contemplation, c’est regarder le ciel, c’est choisir de s’élever en voyant dans le visible l’invisible, en voyant dans la vie plus que la vie : des signes de Dieu, des signes par milliers, des traces par milliers de Dieu dans notre histoire. Voilà le sommet de la contemplation : au lieu de regarder la dégradation du monde dans l’information quotidienne, nous apprenons à voir Dieu dans les évènements de la vie, vie personnelle et collective, vie locale et vie internationale. Le sommet de la contemplation, c’est voir Dieu sur la terre. Le Dieu monté au ciel reste vivant et présent sur la terre, dans la vie de tous, dans ma propre vie, dans la vie du monde.

Le sommet de la contemplation, c’est regarder le ciel, c’est voir Dieu partout comme présence, comme force, force d’amour ou force d’indignation, force de construction ou force de révolte et de refus ; c’est voir Dieu partout comme Lumière présente ou Lumière à faire apparaître, comme Espérance donnée ou Espérance à trouver. C’est voir Dieu apparaître même dans la dégradation comme le seul Salut possible, comme le seul capable de faire prendre conscience aux hommes d’aujourd’hui que, sans lui, nous ne pouvons rien faire, et donc qu’il est temps de revenir à lui.

Voilà l’Ascension que nous pouvons nous souhaiter : remplacer l’information par la contemplation, la dégradation par l’élévation, la disparition du Christ au ciel par son apparition sur la terre en tous et en tout. Vivre l’Ascension avec les apôtres, ce n’est pas voir disparaître le Christ au ciel, c’est le voir apparaître et le faire apparaître sur la terre. Alors, regardons le ciel, non pas pour rester les yeux fixés au ciel, mais pour voir le ciel sur la terre, pour voir le Christ vivant en tous les hommes et en toute chose.