Les aumôniers hospitaliers ont dû revisiter leur soin des âmes face au Covid-19

Les aumôniers hospitaliers ont dû revisiter leur soin des âmes face au Covid-19.

Un an déjà que la crise désorganise les visites aux patients dans les hôpitaux. Face à un virus qui interroge plus encore qu’avant la peur de la mort, les aumôniers tentent tant bien que mal de préserver du lien social entre malades, familles et soignants. Non sans difficultés tant les restrictions d’accès pèsent sur ce soutien moral et spirituel.

Quel que soit le culte, le Covid-19 a profondément remanié le travail des aumôniers hospitaliers. Ils sont beaucoup plus souvent appelés pour des fins de vie là où d’ordinaire ils interviennent avant tout pour des demandes d’accompagnement. Pour eux aussi, ce coronavirus est nettement plus lourd moralement. (Godong/BSIP)

Compliqué pour les aumôniers hospitaliers d’intervenir auprès des patients par ces temps de Covid-19. Leur travail a été complètement chamboulé à la faveur de la crise sanitaire qui secoue depuis un an maintenant les établissements de santé et, à ce titre, des fluctuations dans les possibilités ou non d’accès laissées aux familles et par mimétisme aux intervenants extérieurs. Ce soin des âmes a dû se réinventer. « D’habitude, nous voyons les malades de visu. Ce n’est pas du tout les mêmes conséquences quand on ne peut interagir avec eux que par mail ou téléphone, témoigne Anne Drieu Larochelle, aumônier catholique au CHU de Rennes (Ille-et-Vilaine). Par ailleurs, nous sommes beaucoup plus souvent appelés pour des fins de vie là où d’ordinaire nous intervenons avant tout pour des demandes d’accompagnement. C’est donc nettement plus lourd moralement. Et c’est encore plus renforcé car il n’y a pas ce moment de partage avec le malade. On est un peu là comme des prestataires de fin de service, pour les derniers sacrements et c’est particulièrement pesant. »

Des familles désemparées

Difficile donc d’accéder aux malades, d’autant plus quand la famille a déjà pris le créneau quotidien réservé d’une heure mais aussi parfois de parvenir à solliciter un rendez-vous avec le cadre de santé, abondent Céline Clopin et Ihsen Chikh Saad pour l’aumônerie musulmane du CHU : « On arrive dans un contexte compliqué… » Pourtant, les souffrances sont grandes et les besoins prégnants. Face aux complications parfois extrêmement rapides et à l’intubation, « les proches n’arrivent plus à gérer : ils sont désemparés« . Malgré le coma pourtant, certains patients peuvent parfois avoir « des instants de conscience« . Ihsen Chikh Saad se rappelle par exemple être restée au chevet d’un malade en réanimation. « Je lui parlais, lui lisais le Coran et le patient réagissait en clignant des yeux… malgré le coma. C’est très important pour la famille. Elle voit en nous une assistance, quelqu’un qui les guide. Cette portée pastorale, ça met les proches beaucoup plus en paix. »
Je lui parlais, lui lisais le Coran et le patient réagissait en clignant des yeux… malgré le coma. C’est très important pour la famille. Elle voit en nous une assistance, quelqu’un qui les guide. Cette portée pastorale, ça met les proches beaucoup plus en paix.
Ihsen Chikh Saad, aumônier au CHU de Rennes

Dans l’ensemble, il s’agit de continuer à « créer du lien social » et de « confiner sans isoler« , militent ces ministres du culte. Comme le relate Anne Drieu Larochelle, « les gens vivent dans une inquiétude bien plus permanente qu’avant. À 40 ans d’ordinaire, on ne pense pas à sa fin de vie. Or, là, ces patients y pensent davantage et demandent à voir un prêtre, à être soutenu. On voit donc des patients de tout âge qui s’interrogent sur leur propre mort et expriment des questionnements existentiels. » Au CHU de Rennes, le responsable relation usager-partenariat patient, Hugo Martin-Giroux, ne cache pas que les aumôniers servent réellement d' »alliés » aux soignants « pour faire passer des messages » et « débloquer des situations de soins« . Comment traiter les corps ? Comment expliquer une mise en bière immédiate ? Devenues nettement plus strictes, les procédures deviennent « difficilement compréhensibles » (lire ici et nos articles).

Des équipes d’aumôneries réduites

Un interprète avec les familles, une aide à la médiation quand certains actes créent des situations de refus de soins… Cet appui administratif des aumôniers hospitaliers se renforce plus encore par temps de Covid-19. « Quand un patient bascule en réanimation, la famille a toujours dans l’espoir qu’il se réveille du coma. Or du jour au lendemain voire d’une heure à l’autre, son état de santé peut brutalement se dégrader et il décède… Face à cela, les gens pensent souvent qu’on va faire moins bien qu’avant. Il faut donc les rassurer même s’il faut se contenter d’ablutions sèches pour ne pas contaminer le vivant« , glissent Céline Clopin et Ihsen Chikh Saad. Seule une certification de non-contagion leur permet d’effectuer un lavage traditionnel à l’eau. Et puis d’autres questions immédiatement surgissent : qu’en est-il du rapatriement à l’étranger avec les fermetures de frontières ? Et si c’est impossible, quel cimetière choisir ? Etc.

Ce qui fait le plus peur, c’est la solitude. Ne voir une personne qu’une heure par jour voire rien, c’est difficile humainement… Pour des croyants qui ne peuvent plus pratiquer leur foi, cette situation de détresse spirituelle a pu poser question.
Victoire de Fontclare, aumônier à l’AP-HP

Par ailleurs, passé le premier confinement, le redémarrage des aumôneries s’est fait en douceur. Dans certains hôpitaux, comme Ambroise-Paré à l’Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), l’équipe, d’ordinaire constituée d’une dizaine de bénévoles, est restée amputée de la plupart de ses membres : ceux âgés de plus de 65 ans demeurent en arrêt en tant que personnes à risque. « On est plus opérationnel qu’à deux en semaine et deux le week-end, note Victoire de Fontclare, aumônier catholique au sein de cet établissement de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine). On a perdu nos équipes comme peau de chagrin. » Et si dans cet hôpital comme au CHU de Rennes les visites ont pu depuis globalement continuer en accord avec les chefs de service et cadres de santé, ce n’est pas le cas dans tous les établissements de santé. Parfois, l’interdiction reste encore la norme. Sans compter qu’au moindre cas de Covid-19 voire cluster, une interdiction temporaire a tôt fait de ressurgir. « C’est donc parfois compliqué d’y voir clair, admet l’intéressée. Les gens sont perdus sur ce qui est autorisé ou pas. D’où l’importance d’avoir une bonne information et d’être relais auprès des soignants. »

Un ressourcement pour les soignants

Quoi qu’il en soit, « les familles ont beaucoup souffert » depuis un an. « C’est très anxiogène cette maladie. Ne pas pouvoir accompagner ses proches, c’est très mal vécu« , ajoute Victoire de Fontclare. Au final, « ce n’est pas tant la mort qui inquiète, d’autant plus chez des personnes âgées dont la plupart sont souvent prêtes. Certaines cependant, même en étant dans la foi, ont peur d’en parler et ont besoin d’être rassurées, réconfortées… Ce qui fait le plus peur, c’est la solitude. Ne voir une personne qu’une heure par jour voire rien, c’est difficile humainement… Pour des croyants qui ne peuvent plus pratiquer leur foi et donc accéder à la communion quotidienne, cette situation de détresse spirituelle a pu poser question. » Par conséquent, pouvoir donner les derniers sacrements, délivrer l’extrême-onction quand la famille ne peut être présente, c’est important. « Chez des patients intubés, c’est sûr qu’il y a peu de dialogue, souligne l’intéressée. Mais dire ensuite aux proches qu’on était là, qu’on pouvait intervenir, c’est important pour eux de le savoir. Ça les aide dans leur peine. »

Les hospitaliers ne sont pas en reste. Bien qu’opérant dans des lieux soumis à un strict devoir de réserve, laïcité oblige, ils ont pu à leur demande bénéficier de-ci de-là d’un soutien psychologique, moral et spirituel auprès de l’aumônier de leur établissement. À Ambroise-Paré, Victoire de Fontclare se souvient d’une soignante, « qui craquait et pleurait tout le temps. Ensemble, on a pu faire une relecture de cette période, un travail d’écoute, d’accompagnement… » Face à la crise du quotidien qui n’en finit plus de s’éterniser, l’aumônerie devient alors en quelque sorte un « lieu de ressourcement« .

Cet article est  paru sur le site hospimedia.fr, le 04/03/21 – 15h26