Homélie des ordinations de juin 2018 : « Le prêtre, un homme nouveau »

Homélie de Mgr Pierre d’Ornellas pour l’Ordination sacerdotale  de Nicolas Esnault et Joseph Huang Dinh Luong, en la Cathédrale Saint-Pierre de Rennes le dimanche 24 juin 2018. Solennité de la naissance de saint Jean-Baptiste.

Les textes du jour :

  • Isaïe 49, 1-6
  • Psaume 138, 1-2.3, 13-15
  • Actes des Apôtres 13, 22-26
  • Luc 1, 57-66.80
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Mes amis,

Il n’est pas sans signification qu’une Ordination sacerdotale ait lieu en la fête de saint Jean-Baptiste et singulièrement de sa naissance. Nous pouvons méditer sur l’Évangile que nous venons d’entendre à la lumière de la célébration que nous allons vivre, l’Ordination.

Oui, « le temps est accompli où Élisabeth devait enfanter ». Le temps est accompli où la mère doit enfanter, où la Mère-Église va enfanter. Car en vérité, l’Ordination sacerdotale peut très exactement être comparée à un enfantement. Celui qui devient prêtre est enfanté à une vie nouvelle qui n’est plus la même. L’Évangile continue : « Elle mit au monde un fils. » L’Église met au monde un fils intimement uni au Seigneur Jésus, en communion avec Lui, pour participer de façon tout à fait particulière[1] à son œuvre de salut en étant prêtre.

Le prêtre, un homme nouveau

L’Ordination sacerdotale est un enfantement car il s’agit non seulement d’être un homme nouveau, celui qui est marqué à vie pour être prêtre, mais aussi d’une manière de vivre qui est différente. C’est un enfantement qui fait que l’on quitte tout le passé et que l’on va vers l’avenir. C’est un enfantement marqué par un don de soi qui ne peut pas être relatif étant donnée cette naissance nouvelle au sacerdoce ministériel. Plus d’autre vie que celle d’être prêtre ! Plus d’autres joies que celles qui viennent du sacerdoce ministériel ! Plus d’amour qui ne soit pas un amour pastoral ! Plus de méditation qui ne soit pas celle du dessein de Dieu afin de participer plus intimement à son œuvre de salut.

Ainsi, le passé subit une métamorphose considérable dans laquelle le nouveau prêtre est invité à entrer pour que soit vraiment enfanté un prêtre du Seigneur Jésus. L’Évangile ne nous le dit pas, mais nous savons bien ce qu’a vécu saint Jean-Baptiste, lui qui a vécu de façon virginale pour le Royaume. Voilà aussi une lumière assez étonnante pour dire que, dans l’Église latine, le prêtre est vraiment un homme nouveau lui qui n’est ordonné que parce qu’il a au préalable été appelé par Dieu à vivre dans la virginité pour le Royaume (cf. Matthieu 19,12).

Tout entier ordonné à Jésus

Enfin, on le voit bien, Jean-Baptiste n’existe que parce qu’il est ordonné à Jésus, parce qu’il est ordonné à la « lumière » dont il est le témoin (cf. Jean 1,7). Chez lui, tout est ordonné vers le Seigneur Jésus, lui qui est « la lumière qui brille dans le monde ». Jean-Baptiste précisera de façon très claire que lui-même, il n’est pas la lumière, il n’est pas le Messie, il n’est pas le grand prophète (cf. Jean 1,20-21). Oui, cette triple négation est la manière que Jean-Baptiste a de se définir. Elles manifestent bien que cette analogie entre la naissance de Jean-Baptiste et l’Ordination sacerdotale exprime quelque chose du prêtre : il est tout entier ordonné à Celui-là seul qui compte, le Seigneur Jésus, lui qui est le « Messie » (Jean 4,25-26), la « lumière du monde » (Jean 8,12) et le « Sauveur du monde » (Jean 4,42).

Par la grâce de Dieu

L’Évangile nous indique encore cette nouveauté considérable du prêtre. Ils voulaient l’appeler Zacharie, du nom de son père. Cela mérite un instant de reconnaissance, d’admiration puisque Zacharie, cette année-là, est le grand prêtre officiant au Temple. Il serait donc bon que ce fils reçoive le même nom, « Zacharie », pour que peut-être lui-aussi assume cette même mission que l’on se transmet dans la famille de père en fils. Et bien non, il aura un autre nom : « Il s’appellera Jean », d’un nom que personne dans sa famille ne porte. Il s’agit d’un nom entièrement nouveau, d’un nom qui est ignoré, qui n’appartient pas au passé ni à l’histoire familiale. Il s’agit d’un nom qui surgit, j’allais dire, de nulle part.

Ce nom vient de Dieu et lui est donné : « Jean ». Ce qui signifie « Dieu fait grâce ». On pourrait traduire de façon encore plus nette, caricaturale, par « le gracié ». N’est-il pas vrai que l’Ordination sacerdotale est singulièrement le don d’une grâce particulière[2] qui marque celui qui la reçoit de telle sorte qu’un sceau[3] s’imprime en lui et qu’il devienne autre, nouveau, c’est-à-dire prêtre du Seigneur Jésus ?

Bénir Dieu pour le sacerdoce

Allons un peu plus loin dans cet Évangile. Nous voyons que Zacharie se détermine lui-même, c’est lui qui fait appeler une tablette et il y inscrit : « Jean est son nom. » Zacharie nous représente tous. Il est celui qui est habité par la foi d’Israël, il est grand prêtre au Temple, il est la fine fleur de la foi d’Israël. Bref, il représente le peuple des croyants à qui Dieu a parlé. Il nous représente tous. Et voici que tous, par la bouche de Zacharie, nous sommes invités à reconnaitre le don inouï du sacerdoce ministériel. Nous sommes invités à confesser dans la foi que c’est un don de grâce particulier.

Comme disait le curé d’Ars : « Si on comprenait le sacerdoce, on en mourrait. Ce n’est qu’au Ciel qu’on comprendra. » Il me semble qu’aujourd’hui, Zacharie est muet : il n’a donc pas la capacité de reconnaitre la grandeur du sacerdoce ministériel, il est comme aveuglé, il est peut-être trop pris dans ses pensées mondaines, comme dirait le pape François. Voici qu’en nommant le fils né du beau nom de « Jean », il reconnaît la bénédiction de Dieu qu’est le don inouï du sacerdoce ministériel. Il est alors capable de parler et de bénir Dieu à cause de ce don. Puissent les chrétiens du Diocèse de Rennes, qui sont ici dans la Cathédrale ou unis à nous par RCF Alpha, être comme Zacharie en rendant grâce à Dieu pour le don magnifique du sacerdoce ministériel : grâce à ce don, le prêtre qui est enfanté agit « au nom du Christ tête[4] ».

In persona Christi capitis

Il n’y a rien à faire, ce n’est pas pareil de célébrer l’Eucharistie et de ne pas pouvoir la célébrer. Il y a comme un abîme entre les deux. Aucune graduation pour pouvoir célébrer l’Eucharistie ! Car la parole prononcée « ceci est mon corps livré pour vous » (cf. Matthieu 26,26) est celle que le Christ ressuscité prononce actuellement par les lèvres du prêtre. Voilà qui permet de prendre conscience de la grandeur inouïe du don ! Peut-être aussi que ce don du sacerdoce ministériel apparaît dans toute sa grandeur dans le sacrement de réconciliation. Qui est-il cet homme pour oser dire à un pécheur « Je te pardonne tous tes péchés » (Matthieu 9,2) ? Qui est-il sinon un prêtre qui a sur les lèvres la parole même du Seigneur Jésus. Non pas la parole du Seigneur Jésus qu’il répète et qui viendrait de 2000 ans, mais la parole actuelle du Seigneur Jésus qui, sacramentellement, est entièrement présent, ressuscité, et dit aujourd’hui, devant le pénitent pécheur qui reconnait humblement son péché, par la bouche du prêtre : « Je te pardonne tous tes péchés. »

Oui, nous voyons que Zacharie au moment où il comprend si bien ce don inouï du sacerdoce est capable d’avoir une langue déliée pour parler et bénir Dieu. Et alors, cette bénédiction qui monte du cœur et des lèvres de Zacharie est impressionnante car la suite de l’Évangile est belle : « La crainte saisie alors tous les gens du voisinage et dans toute la région montagneuse de Judée on racontait tous ces évènements. » La « crainte » dans la Bible n’est pas la peur, c’est tout simplement la prise de conscience que Dieu fait quelque chose, que Dieu agit et Il agit de façon souveraine, comme Lui seul peut agir. C’est cela qui suscite la révérence vis-à-vis de Dieu, révérence pleine de reconnaissance et de joie. Elle s’appelle dans la Bible « crainte ». Qu’il est beau d’être habités tous ensemble par la crainte révérencielle, joyeuse et paisible, parce que nous avons vu l’œuvre de Dieu. Et cette œuvre de Dieu, aujourd’hui, c’est un enfantement : Dieu permet à son Église d’enfanter deux prêtres.

Alors, la question peut venir immédiatement chez tous ceux qui perçoivent plus ou moins que Dieu fait quelque chose en suscitant cette nouvelle naissance par la puissance de l’Esprit Saint : « que sera donc cet enfant ? » La réponse est immédiate : « La main du Seigneur était sur lui. » Voilà que le prêtre est celui qui, d’une certaine manière, est ici qualifié grâce à l’analogie que j’essaie de faire avec l’Évangile de la naissance de saint Jean-Baptiste. Le prêtre est qualifié par cette « main de Dieu [qui] est sur lui » et qui est symbolisée par l’imposition des mains du Rite de l’Ordination. Cette « main du Seigneur » qui est sur le prêtre, c’est le symbole de la grâce de Dieu sans laquelle il ne peut pas avancer comme prêtre.

Vers la sainteté sacerdotale

Cher Nicolas et cher Joseph, en étant ordonné prêtre, vous le savez bien, vous devenez un homme nouveau, vous recevez quelque chose que vous n’avez jamais pu faire par vous-mêmes dans votre existence, quelque chose qui est radicalement autre. Voici que, comme Jean-Baptiste, vous livrez votre vie au Seigneur Jésus. Selon le propos admirable de saint Jean-Paul II, l’Ordination sacerdotale vous appelle tous les deux, comme tous les prêtres et moi-même avec vous, à vivre selon un « ethos sacerdotal[5] ». Il n’est plus possible de vivre comme avant. Voici que vous êtes invités tous les deux à vivre selon la sainteté du sacrement que vous avez reçu pour avancer sur le chemin de la sainteté sacerdotale. Le pape François vient de nous rappeler que nous étions tous appelés à la sainteté. Pour vous, c’est une sainteté sacerdotale, une sainteté pastorale.

Et pour finir, étant donnée la grandeur de ce que vous devenez comme prêtre, il est impossible pour moi ne de pas vous rappeler ce qu’est devenu saint Jean-Baptiste quand il a désigné Jésus : « Voici l’agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. » (Jean 1,29) Cette phrase, que vous direz tous les jours quand vous célébrerez l’Eucharistie, vous rappellera saint Jean-Baptiste. C’est en raison de cette phrase que Jean-Baptiste a prononcée qu’il a pu dire au terme de son parcours, lui qui est mort comme martyr : « Lui, il faut qu’il grandisse ; et moi, que je diminue. » (Jean 3,30)

Cher Joseph, cher Nicolas, chers frères prêtres, pour nous, avancer avec la « main du Seigneur sur nous », « grandir et se fortifier », selon ce qui est écrit dans l’Évangile de la naissance de Jean-Baptiste, ce n’est pas autre chose que « diminuer », c’est-à-dire s’enfoncer dans l’humilité. Oui, le sacerdoce ministériel est si grand qu’il ne peut pas ne pas susciter en nous cette humilité vive de celui qui est en présence de Dieu et qui comprend qu’il n’est rien puisque le Seigneur Jésus est tout.

Cher Joseph, cher Nicolas, que cette humilité de saint Jean-Baptiste soit la vôtre pour votre plus grande joie de voir le Seigneur Jésus grandir dans les cœurs des fidèles vers lesquels vous serez envoyés. Que votre joie soit la croissance du saint Peuple de Dieu dont vous êtes les serviteurs comme prêtres. Que votre joie soit celle de voir la sainteté fleurir dans le cœur des fidèles vers lesquels vous êtes envoyés. Alors vous pourrez dire, comme Jean-Baptiste : « Telle est ma joie : elle est parfaite. Lui, il faut qu’il grandisse ; et moi, que je diminue. » (Jean 3,29-30)


[1] Cf. Vatican II, constitution sur l’Église, Lumen gentium, 21 novembre 1964, n. 19 et 28.

[2] Voir Vatican II, Décret sur le ministère et la vie des prêtres, Presbyterorum ordinis, 7 décembre 1965, n. 12 : « Dès lors qu’il tient à sa manière la place du Christ lui-même, tout prêtre est, de ce fait, doté d’une grâce particulière ; cette grâce le rend plus capable de tendre, par le service des hommes qui lui sont confiés et du Peuple de Dieu tout entier, vers la perfection de Celui qu’il représente ; c’est encore au moyen de cette grâce que sa faiblesse d’homme charnel se trouve guérie par la sainteté de Celui qui s’est fait pour nous le Grand Prêtre « saint, innocent, immaculé, séparé des pécheurs » (He 7, 26). »

[3] Ibid., n. 2 : « C’est pourquoi le sacerdoce des prêtres, s’il repose sur les sacrements de l’initiation chrétienne, est cependant conféré au moyen du sacrement particulier qui, par l’onction du Saint- Esprit, les marque d’un caractère spécial, et les configure ainsi au Christ Prêtre pour les rendre capables d’agir au nom du Christ Tête en personne. »

[4] Ce qui traduit « in persona Christi capitis ». Cf. Vatican II, constitution sur l’Église, Lumen gentium, 21 novembre 2014, n. 10 et 28 ; Décret sur le ministère et la vie des prêtres, Presbyterorum ordinis, 7 décembre 1965, n. 2. Voir Catéchisme de l’Église Catholique, 11 octobre 1992, n. 796, 1563.

[5] Exhortation Pastores dabo vobis, 25 mars 1992, n. 24.