PMA : «Aucun sondage ne peut créer la valeur éthique»

Mgr Pierre d’Ornellas, à Rennes le 6 mai 2019, lors de la soirée bioéthique avec le député Xavier Breton

Mgr Pierre d’Ornellas, Archevêque de Rennes, Dol et Saint-Malo, et responsable du groupe de travail sur la bioéthique de la Conférence des évêques de France, appelle le législateur à la «prudence». Il redoute «une société construite sur l’arbitraire des désirs et sur la domination des forts».

Interview de Jean-Marie Guénois et Agnès Leclair publiée dans Le Figaro du mercredi 8 mai 2019
Les catholiques opposés à la PMA pour toutes doivent-ils redescendre dans la rue comme au moment de la loi Taubira en 2012 et 2013 ?

Mgr Pierre d’ORNELLAS – Je n’ai jamais donné de consignes aux catholiques. Ils sont assez grands pour choisir les moyens de se faire entendre. Beaucoup se font proches des plus fragiles. Ils sont des citoyens prenant part à la vie démocratique. Didier Sicard, dans vos colonnes, s’est exprimé contre leur « diabolisation ». Catholiques, nous souhaitons apporter au débat une lumière sur la condition humaine marquée par la complexité et la vulnérabilité. Cette lumière est formulée par la raison et partagée par d’autres. Elle contribue à plus de justice pour tous et au respect de chacun.

65 % des Français se disent favorables à une loi sur la PMA pour toutes. La société se montre aujourd’hui compréhensive face à ce désir d’enfant de femmes seules ou de lesbiennes en couple. Pourquoi ne pas y répondre ?

Bien sûr, la société ne veut pas de discriminations. Mais, quand on interroge les Français sur la légitimation légale d’enfants sans père, 82% sont actuellement contre selon l’Ifop, ce qui confirme des sondages de 2017 et 2018. En fait, ils ne veulent pas cette injustice-là. L’important, c’est la valeur éthique. Aucun sondage ne peut la créer !

Le projet de faire un enfant « sans père » serait-il au cœur de l’opposition de l’Église à cette future loi ?

Il ne faut pas isoler ce point, il fait partie d’un système. Plus généralement, si le droit n’encadre pas les manipulations génétiques ni les techniques de procréation, alors l’eugénisme, qui est déjà à notre porte, sera notre loi. Il brisera notre égalité, au nom de la norme ou de la performance choisie et imposée à l’enfant. Prenons au sérieux la « considération primordiale » de « l’intérêt supérieur de l’enfant » ! La France s’y est engagée en ratifiant la Convention de l’ONU sur les droits de l’enfant. Légiférer en bioéthique ne consiste pas à « équilibrer » désirs d’adultes et besoins d’enfants, mais à élaborer un projet de société. Quels liens familiaux et sociaux voulons-nous instituer ? Quelle hospitalité souhaitons-nous pour chaque être humain, avec ses vulnérabilités ? Le soin des plus fragiles est indissociable de l’attention aux pauvres et à la planète. Écologie et bioéthique sont à réfléchir ensemble, comme y invite le pape François.

La médecine intervient déjà dans la procréation pour les couples hétérosexuels qui ont besoin d’aide pour faire un enfant. Pourquoi ne pourrait-elle pas aider les couples de femmes ?

Il s’agit d’une loi. Quel bien commun met-elle en œuvre ? Quelle signification humaine et sociale de la différence sexuelle porte-t-elle ? Quelle vision de l’homme assume-t-elle ? Je me souviens du Conseil d’État qui trouvait « excessif de donner à une personne la puissance extrême d’imposer à une autre l’amputation de la moitié de son ascendance ». L’attrait pour les tests génétiques montre bien le besoin d’être enraciné dans une généalogie complète. Soyons donc prudents en bioéthique, ce que nous n’avons pas été pour la planète. Sinon, nous risquons d’aller vers une société construite sur l’arbitraire des désirs et sur la domination des forts, ce qui ruinerait notre fraternité. Face à la séduction des techniques, soyons libres en discernant les renoncements que nous devons adopter pour prendre soin des autres et de la planète.

Les opposants à la PMA pour toutes craignent que cette loi entraîne la légalisation de la gestation pour autrui (GPA). Partagez-vous cette crainte ?

L’éthique de la seule non-discrimination est faible. Pourquoi dire oui à un couple de femmes en raison de la non-discrimination avec le couple homme-femme et refuser cet argument pour un couple d’hommes ? Légiférer est un défi ! Quelle ambition éthique oriente la loi ? Il s’agit de penser un usage des techniques qui garantisse le respect intégral de tout être humain et sa vocation à la fraternité. Cela nécessite la gratuité des éléments et produits du corps humain. Or le marché de la procréation est florissant dans le monde. Mais en France, allons-nous réaffirmer qu’un être humain n’a pas de prix ?

Les partisans de la PMA pour toutes jugent que l’Église n’est pas audible sur ce sujet après les scandales des affaires de pédophilie. Que leur répondez-vous ?

J’ai honte de ces actes commis par des prêtres. L’écoute des victimes et de leur souffrance m’a bouleversé. Je comprends la méfiance vis-à-vis de l’Église, mais l’Église témoigne d’une présence et d’un message qui jugent ses membres. Ces actes condamnables n’invalident pas son message d’amour et de justice pour tous. Une conviction m’habite : Dieu veut notre bonheur à tous, dans la fraternité.

Vous avez organisé, ce lundi à Rennes, un débat avec le député Xavier Breton, président de la mission d’information parlementaire sur la révision de la loi de bioéthique, est-ce pour aider l’Église à revenir dans un débat où elle n’a pas été entendue ?

J’ai toujours désiré le dialogue. S’écouter mutuellement et chercher ensemble le plus juste sont nécessaires, car la bioéthique « n’est pas simple », comme l’a souligné le président Macron au Collège des Bernardins. J’ai donc proposé un dialogue en Ille-et-Vilaine, là où je suis évêque, à ceux qui souhaitent réfléchir.

L’Église de France ne s’est pas exprimée sur la décision du Conseil d’État en faveur de l’arrêt des soins de Vincent Lambert. Pourquoi ce silence ?

Pourquoi une parole à chaque cas ? C’est aux médecins d’exercer leur responsabilité, de façon collégiale et dans l’échange avec les spécialistes qui se sont exprimés sur ce cas. Deux questions demeurent. D’abord, comment la loi du 2 février 2016 sur la fin de vie s’applique-t-elle à Vincent Lambert ? En effet, il n’est pas en fin de vie et il a besoin de soins appropriés. Par ailleurs, ne questionne-t-il pas notre volonté collective d’accompagner jusqu’au bout les plus fragiles ? Le philosophe Claude Bruaire dit que les médecins « gardent le seuil d’humanité ». De fait, nous leur remettons nos proches les plus vulnérables pour qu’ils en prennent soin en raison de leur humanité.

L’Église est contre l’euthanasie, mais elle est aussi contre l’acharnement thérapeutique : quelle différence ?

La différence est de taille. La volonté de donner la mort à un être humain et sa mise en œuvre sont absolument contraires à la dignité humaine. Par contre, refuser l’acharnement thérapeutique, c’est accompagner le malade le mieux possible avec des soins palliatifs en sachant qu’aucun traitement n’empêchera sa mort à brève échéance et en ne la faisant pas advenir. Voilà ce qui honore la fraternité ! L’euthanasie, elle, la blesse.

 

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