Mgr d’Ornellas : La loi créerait une injustice

Interview de Mgr Pierre d’Ornellas par Jeanne Emmanuelle Hutin pour Ouest-France diffusée, le 26 septembre 2019

Que change le projet de loi bioéthique ?

Alors que le droit est là pour protéger les plus faibles et instaurer de justes relations, permettant l’égalité et la fraternité, ce projet demande au droit de satisfaire des désirs. Cela changerait la conception de la loi. Elle loi créerait une disparité entre ceux qui pourraient avoir un père et ceux auxquels elle l’interdirait. Cette entorse à la fraternité créerait une injustice. Elle créerait une disparité entre les femmes : les unes seraient mères parce qu’elles ont accouché. Les autres, pour d’autre raison.

L’ouverture de l’AMP aux femmes seules ou en couple est-elle une question d’égalité ?

Il n’y a aucune inégalité entre un couple de personnes de même sexe et un couple d’homme et de femme, leur situation étant différente au regard de la procréation. Le Conseil constitutionnel l’a reconnu. Mais le projet de loi décrète que tous les modes de filiation sont identiques. Si donc la loi était votée, elle ne saurait être un barrage à la GPA.

Comment répondre à la souffrance des personnes homosexuelles qui espèrent avoir des enfants ?

Beaucoup de personnes souffrent de ne pouvoir avoir un enfant. Je ne suis pas sûr que la solution idéale soit de proposer immédiatement la technique. Il me semble qu’il y a d’autres voies. L’alternative à la PMA, c’est l’adoption. Redonner à un enfant des parents dont il est privé par les accidents de la vie est une très belle action, d’une grande utilité sociale. Je suis étonné que le projet de loi ait supprimé l’obligation du médecin de parler de l’adoption lorsqu’il reçoit les couples demandant une PMA.

Que craignez-vous ?

Je crains qu’il y ait une fascination pour les techniques. Et derrière, qu’un gigantesque marché de la procréation se développe, avec un eugénisme libéral : choisir les caractéristiques des gamètes pour que l’enfant soit le plus performant possible et, donc, éliminer les moins performants !

L’interdiction des chimères protège-t-elle assez l’espèce humaine ?

Le projet de loi interdit d’introduire des cellules d’une autre espèce dans l’embryon humain. Ce respect de l’intégrité de l’être humain est fondamental. Mettre des cellules animales dans un embryon humain toucherait à son intégrité et à celle de l’espèce humaine, ce qui est contraire au Code civil. Rien n’est dit sur la chimère à l’envers : l’introduction de cellules humaines dans l’embryon animal. On pourra donc créer un animal ayant des organes humains, pour les humains qui auraient besoin de greffe. Là, le projet de loi ne protège pas l’espèce humaine, il blesse son intégrité. Il serait raisonnable d’interdire les chimères dans ce sens-là aussi.

Quels principes bioéthiques faut-il, selon vous, appliquer ?

L’extraordinaire principe de dignité. Il stipule que chaque être humain reconnaît l’égale dignité de tous les autres : celle du nouveau-né d’un jour est égale à celle du grand-père de 98 ans, celle du chercheur à celle du patient… Il fonde notre fraternité. Ce principe de dignité induit une conception de l’être humain dans son unité, corps et esprit. Il nous fait voir l’unité de la personne.

Et sur la question de l’origine ?

Elle ne se réduit pas au lien génétique. Celui qui donne ses gamètes donne de lui-même à celui qui naîtra. Ce don ne peut exister que dans une relation d’amour. Connaître ses origines correspond au principe de dignité et au principe de fraternité. Je ne peux pas traiter un autre humain en lui imposant ce que je refuse que l’on m’impose : tu n’auras pas de père, alors que moi j’ai eu un père.

En quoi cette loi risque-t-elle, selon vous, de favoriser la marchandisation de l’humain ?

Du principe de dignité découle le principe de gratuité de l’être humain. Le droit français est construit sur cette division superbe entre l’être humain et les biens. Les biens, on peut les vendre, les acheter. Avec l’être humain, c’est impossible. Or la loi, si elle était votée pour la PMA, exposerait au manque de sperme. L’État risque d’en acheter à l’étranger puisque c’est interdit en France. On aura ouvert la brèche, écorné le principe de gratuité et, du même coup, les principes de dignité et de fraternité. Ce modèle français, salué dans le monde entier, commencera à s’effriter.

Quel message adresseriez-vous aux députés ?

Soyez courageux. Ne vous laissez pas prendre par le lobbying ni par les jugements médiatiques. Répondez à la question « Qu’est-ce qu’une personne humaine ? ». Les Français applaudiraient si les députés affirmaient que la personne n’est pas un bien, en votant, à l’unanimité, que l’on ne peut toucher au principe de gratuité. Ils reprendraient confiance si une loi assurait qu’il n’y aura jamais de GPA, ce que l’on ne cesse de leur affirmer.

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