Homélie de la messe chrismale 2020

Mercredi 8 avril 2020, Mgr Pierre d’Ornellas, présidait la messe chrismale dans le contexte de la crise sanitaire du coronavirus.

Mes amis,

« Aujourd’hui, cette Parole de l’Écriture s’accomplit. » (Lc 4,21) « Aujourd’hui » que nous vivons. « Aujourd’hui » dans cette épidémie qui nous bouleverse, qui change nos habitudes. « Aujourd’hui », dans les confinements que nous vivons. « Aujourd’hui », dans l’encouragement que nous vivons pour tous les soignants. « Aujourd’hui », quelle que soit notre manière de vivre dans cette période difficile, nous entendons Jésus qui dit à chacun de nous, à chaque famille, à chaque prêtre, à chaque diacre, à chaque homme, à chaque femme, à chaque enfant, à chaque vieillard : « aujourd’hui cette Parole de l’Écriture s’accomplit ».

Et quelle est cette Parole ? C’est une parole de « consolation ». Nous l’avons entendu dans la Première lecture ou dans l’Évangile : il s’agit d’une parole de « consolation » vers tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, éprouvent une peine, sont dans l’épreuve. Voilà que le Seigneur nous dit cette parole de « consolation » aujourd’hui !

L’Esprit et la consolation de la charité

Cette parole de consolation est accompagnée bien sûr d’une information, d’un enseignement pour que nous puissions être réveillés dans notre foi. Cet enseignement vient d’être lu dans le prophète Isaïe : « L’Esprit du Seigneur est sur moi. » (Is 61,1) Chacun d’entre nous, nous pouvons méditer sur cette parole : « l’Esprit Saint est sur moi. » Oui, l’Esprit Saint est sur ma famille, l’Esprit Saint est sur ma communauté, l’Esprit Saint est sur le groupe auquel j’appartiens, l’Esprit Saint est sur la communauté chrétienne, l’Esprit Saint est sur l’Église.

Voilà Celui que nous appelons dans la grande tradition chrétienne le « Consolateur », ou encore le « Père des pauvres ». Voilà que c’est Lui, l’Esprit, l’Esprit de Dieu, qui nous est envoyé et c’est Lui qui sans cesse apporte la consolation. Pourquoi ? Parce qu’il répand dans nos cœurs la charité (cf. Romains 5,5).

Dieu sait si aujourd’hui nous voyons de multiples actes d’attention, de fraternité, d’amour. Comme nous avons pu le lire de Magda Lafon qui parlait dans le journal d’aujourd’hui de la « contagion de l’amour ». Voilà la consolation de l’Esprit ! C’est cette « contagion de l’amour ». Oui, c’est l’amour qui console, c’est l’amour qui donne la paix, c’est l’amour qui donne confiance, c’est l’amour qui crée les vrais liens. Avec l’Esprit Saint, il n’y a pas de distanciation. Avec l’Esprit Saint, il n’y a pas de confinement. Avec l’Esprit Saint, nous sommes en relation les uns avec les autres. Je le sais, pour les croyants, pour les chrétiens, cette relation s’exprime beaucoup par la prière où nous prions les uns pour les autres. Cette prière accompagne les gestes que nous faisons, les attitudes que nous avons pour exprimer notre attention, pour exprimer de l’amour.

L’Esprit par les saintes Huiles

Je vais bénir l’Huile des malades, puis l’Huile des catéchumènes. Cette Huile des malades nous dit l’action du Seigneur Jésus qui donne l’Esprit Saint dans le sacrement de l’Onction pour nos frères et sœurs malades. Prions beaucoup pour nos frères et sœurs malades.

Nous pensons aussi à nos frères et sœurs catéchumènes qui sont déçus de ne pas pouvoir être baptisés à Pâques, mais qui le seront bientôt, dès que cela sera possible. Et bien par cette Huile des catéchumènes, c’est le Seigneur Jésus qui vient et qui donne son Esprit pour que chaque catéchumène puisse avancer dans la conversion et s’approcher de plus en plus par l’illumination de la grâce de Dieu afin de pouvoir recevoir le saint Baptême.

Quel sacrement extraordinaire, le saint Baptême que beaucoup d’entre nous ont reçu ! Et bien aujourd’hui, en cette Messe Chrismale, nous pouvons nous souvenir de notre Baptême, de notre Confirmation et nous pouvons renouer, si je peux dire, ce lien avec l’Esprit Saint. Cet Esprit Saint que le Seigneur ressuscité veut nous envoyer pour nous donner la « consolation » et pour que nous soyons des artisans du Royaume, des artisans de l’amour.

Je vais consacrer le Saint Chrême. C’est précisément le Saint Chrême dont est oint chaque nouveau baptisé. Ce sont aussi les mains des nouveaux prêtres qui sont ointes par ce Saint Chrême. Consacrer le Chrême aujourd’hui, c’est évidemment prier pour les prêtres qui ont leurs mains consacrées pour célébrer l’Eucharistie, pour donner le pardon de Dieu, et pour rompre le pain de la Parole de Dieu.

Vous allez entendre les Promesses sacerdotales que les prêtres sont invités à renouveler aujourd’hui. Nous pouvons nous souvenir de la Lettre magnifique que le pape François a écrite à tous les prêtres du monde, le 4 août dernier en la fête du saint curé d’Ars.

Le prêtre tourné vers le Père

Le pape François rappelle ceci à tous les prêtres : « La prière du pasteur est une prière habitée tant par l’Esprit qui crie « Abba ! », c’est-à-dire : « Père ! » que par le peuple qui lui a été confié. »

Mes amis, n’oubliez jamais que quand le prêtre célèbre l’Eucharistie et prie la Liturgie des Heures, ce qui monte du plus profond de son cœur, dans son union avec Jésus, c’est le mot « Père ». Vous l’entendrez tout à l’heure au cours de la Prière eucharistique, tout est tourné vers le Père.

Qui est le prêtre ? C’est celui qui vit une amitié particulière à cause d’un appel particulier et d’une consécration particulière. Cette amitié est une union avec Jésus le fils unique. Ainsi, avec Jésus, par Jésus et en Jésus, le prêtre se tourne vers le Père. Et quand il se tourne vers le Père, que fait-il ? Il a les mains remplies du Peuple de Dieu, il a le cœur rempli des visages de son Peuple. Sa patène sur l’autel n’est jamais vide, elle est remplie de l’humanité.

Et que fait le prêtre ? Ce que fait Jésus. Ce n’est pas en vérité le prêtre qui le fait, il le fait sacramentellement en Jésus qui, lui, vous offre avec un amour infini à Notre Père du ciel. C’est pour cela qu’il est beau, mes amis, de dire ensemble le Notre Père. Qu’il est beau dans une famille confinée de se réunir le matin (ou le soir) et de dire ensemble le Notre Père !

Et bien sachez que le prêtre, quand il prie avec le Seigneur Jésus, uni à Lui notre Unique Grand Prêtre, il vous offre en Jésus le Christ ressuscité. Il vous offre au Père du ciel parce que tous, vous êtes ses enfants bien-aimés.

Le prêtre et l’amitié de Jésus

Le pape François continue : « Pour maintenir courageux le cœur du pasteur. » – Je pense à cette phrase de Jésus à ses Apôtres « Courage, courage » – « il est nécessaire de ne pas négliger ces deux liens constitutifs de notre identité de prêtre : le premier avec Jésus. Chaque fois que nous nous séparons de Jésus ou que nous négligeons la relation avec lui, peu à peu notre réserve s’assèche et notre lampe à court d’huile n’est plus capable d’illuminer la vie. (cf. Matthieu 25,1-13) »

Le lien entre le prêtre et Jésus est une amitié tout à fait particulière. C’est une amitié que parfois me partagent certains prêtres. Comme me le disait un prête âgé qui est maintenant sans ministère et qui rend quelques services selon que sa santé le lui permet ; alors qu’il était dans sa dernière année de curé, je l’entendais me confier de façon magnifique et très simple, très humble : « J’ai de plus en plus de joie à être dans mon oratoire comme un bûche auprès de Jésus dans le tabernacle. » Cette image est très belle. Qu’est-ce qu’une bûche ? C’est une bûche qui brule, qui brule du feu de l’Esprit, qui brule du feu de l’amour.

C’est ainsi que le prêtre, uni à Jésus, comme le dit le pape François, vit « un ministère en faisant la volonté du Père et en laissant le cœur battre. » Dieu sait si le cœur du prêtre bat ! Parfois en souffrant de la souffrance de son peuple, parfois de lassitude devant l’indifférence de l’humanité vis-à-vis de Dieu, et parfois de la joie quand il voit l’Évangile qui se répand. Le pape François précise : « laisser le cœur battre avec « les dispositions qui sont dans le Christ Jésus » (cf. Philippiens 2,5) ».

Le prêtre « en sortie » dans le Peuple de Dieu

Le pape François invite à voir l’autre lien constitutif du prêtre. Je lis simplement cet extrait de sa Lettre aux prêtres, du 4 août dernier. « L’autre lien constitutif : faire croître et alimenter le lien avec votre peuple. » Chers frères prêtres, n’hésitez jamais à faire croître le lien avec votre peuple. C’est évidemment un lien d’amour. Et le Pape commente : « Ne pas s’isoler des gens et des prêtres ou des communautés. Encore moins se cloîtrer dans des groupes fermés et élitistes. Ceci, dans le fond, asphyxie et envenime l’âme. »

Mais voilà que le pape François continue : « Un ministre – c’est-à-dire un prêtre – aimé est un ministre toujours en sortie. » Selon une expression du pape François, le « flair » du Peuple de Dieu qui aime son pasteur, c’est le Peuple qui reconnait que son pasteur est toujours « en sortie », c’est celui qui a toujours le souci de ses brebis. « Un ministre aimé – un pasteur aimé – est un ministre toujours en sortie. « Être en sortie » nous conduit à marcher parfois devant, parfois au milieu, parfois derrière. Devant, pour guider la communauté, au milieu pour mieux la comprendre, l’encourager et la soutenir ; derrière pour la maintenir unie et qu’elle n’aille jamais trop en arrière. »

Voilà ce pasteur qui a ce lien avec Jésus et son lien avec son peuple ! Voilà que ces deux liens sont constitutifs de notre identité de prêtres, nous qui offrons le sacrifice du Christ à l’Eucharistie, nous qui partageons la Parole de Dieu. Nous qui sommes tout à la fois des priants et des hommes « en sortie ». Que c’est beau d’être prêtre !

Remerciez Dieu pour les prêtres. Priez pour les vocations de prêtres. Que c’est beau d’être prêtre dans un diocèse au service du Peuple de Dieu et plongé au milieu de ce peuple !

Le pape François termine : « Jésus même est le modèle de cette option évangélisatrice qui nous introduit dans le cœur du peuple. Que cela nous fait du bien de le voir au milieu de tous ! » Que cela nous fait du bien à nous, prêtres, de le voir, ce Jésus que nous aimons, au milieu de tous !

Éternelle est sa miséricorde !

Juste avant ce Triduum Pascal et le Vendredi Saint que nous allons vivre, le pape François continue : « La passion de Jésus sur la croix n’est rien de plus que l’aboutissement de ce style évangélisateur qui caractérise toute son existence. » Oui, nous prêtres, nous sommes invités à être au cœur du Peuple de Dieu pour le porter avec toutes ses douleurs, avec toutes ses inquiétudes, avec toutes ses peurs, avec toutes ses désespérances, à porter ce peuple pour le nourrir de l’Évangile de telle sorte que ce peuple soit de plus en plus, comme le dit le pape François, habité par « la nouveauté du Royaume ». Qu’il est beau ce Peuple qui devient « un Royaume de pécheurs pardonnés invités à témoigner de la toujours plus vive et actuelle compassion du Seigneur », un peuple qui, sans que ce soit une insulte à ceux qui souffrent, chante : « éternelle est sa miséricorde » (cf. Psaume 135).

Mes amis, que c’est beau d’être Peuple de Dieu, avec nos frères prêtres, nos frères diacres, et avec les consacrés, pour être témoins de la « consolation » de Dieu et permettre que tout homme, toute femme, tout vieillard, tout enfant, soient touchés par la tendresse de Dieu, par la miséricorde de Dieu. Rendons grâce au Seigneur pour sa miséricorde !

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