Homélie pour le 350e anniversaire de la naissance de St Louis-Marie Grignion de Montfort

Homélie pour le 350e anniversaire de la naissance de saint Louis-Marie Grignion de Montfort, prononcée par Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, le dimanche 29 janvier 2023 à Montfort-sur-Meu.

Première Lecture : Actes 1, 6-14
Psaume 22 (21)
Deuxième Lecture : 1 Corinthiens 1, 17-25
Évangile : Matthieu 28, 16-20

Mes amis,

Qu’est-ce que l’amour ? Pourquoi y-a-t-il l’amour ? Qu’est-ce que l’amour sinon l’amour qui aime pour l’unique raison qu’il aime. Qu’est-ce que l’amour sinon, comme le dit la Tradition de l’Église, le bien qui se diffuse de lui-même pour l’unique raison qu’il est le bien.

Cet amour est toujours là, en train de grandir dans le cœur d’une maman ou d’un papa, quand un nouvel enfant arrive. Cet amour grandit aussi dans le cœur d’un grand-père ou d’une grand-mère quand un nouveau petit-fils ou une nouvelle petite-fille vient. Cet amour, il est toujours là pour assumer avec amour l’épreuve, la difficulté d’un enfant ou d’un petit-fils ou d’une petite-fille.

Comment se fait-il que cet amour dans le cœur humain d’une femme ou d’un homme ne diminue pas en fonction du nombre d’enfants ou de petits-enfants ? Comment se fait-il que cet amour s’agrandisse toujours, et se porte tout entier autant vers l’un que vers l’autre qui est le fils, la fille, le petit-fils, la petite-fille ? Tout simplement parce que c’est de l’amour !

L’amour de Dieu en sortie

Voilà le mystère de l’amour ! Nous pouvons le contempler en Dieu qui est Amour (cf. 1 Jean 4,8). Comment se fait-il que Dieu soit sorti de lui-même, comme le dit Jésus : « Je suis sorti » (Marc 1,38) ? Pourquoi Dieu est-il sorti de lui-même en envoyant son Fils et en envoyant l’Esprit Saint ? Tout simplement parce qu’il est Amour pour l’ensemble de ses enfants que constituent chaque homme, chaque femme, chaque vieillard, chaque nouveau-né, chaque enfant conçu dans le sein de sa mère.

Cet Amour de Dieu pour chacun ne diminue pas en fonction du nombre d’enfants dans son humanité. En cette humanité qu’il a créée par amour[1], voilà que l’Amour de Dieu – j’oserais dire – s’amplifie pour chacun de ses enfants qui vient sur terre. Plus que cela, cet Amour assume la difficulté de chacun de ses enfants : leurs péchés et le fait qu’ils soient pécheurs.

Voilà que cet Amour se diffuse de lui-même et ne se laisse pas arrêter par ce qui lui est contraire, le péché. Voilà le grand mystère de l’Amour qui vient de Dieu et qui, sans cesse, suscite cette « sortie » pour aller rejoindre chaque homme, chaque femme, chaque enfant, chaque vieillard. Voilà la « sortie » du Bon Berger qui va vers la brebis malade, abîmée, perdue ; il la prend sur ses épaules et la ramène au bercail (cf. Ézéchiel 34,12-16). Cet Amour est lié à la joie d’avoir retrouvé la brebis perdue (cf. Luc 15,5-7).

Le pur amour et l’évangélisation

Cet amour, il est pur ! Le « pur amour », nous entendons saint Louis-Marie nous en parler. Tout d’abord, le Père de Montfort reconnaît dans le Traité de la vraie dévotion que celui qui est « infiniment pur », c’est Jésus. Pourquoi Jésus va-t-il jusque sur la croix ? Pourquoi part-il jusqu’au bout chercher le pécheur, l’embrasser et faire la fête avec lui quand il a été retrouvé, purifié et pardonné (cf. Luc 15,11-24) ? Tout simplement parce que « Notre Seigneur est infiniment pur[2] ». Voilà l’amour, l’amour infiniment pur qui est seul à pouvoir rejoindre le pécheur et le sanctifier !

Dans l’Évangile, nous voyons les Apôtres qui sont envoyés en mission (cf. Matthieu 28,19-20). De fait, ils sont pris dans cet amour infiniment pur qui va à la recherche de tout homme et de toute femme. Pourquoi l’Église est-elle missionnaire ? Pourquoi le concile Vatican II enseigne-t-il que l’Église est missionnaire[3] ? Elle n’existe que « pour évangéliser[4] » parce qu’elle est habitée par l’Esprit Saint, c’est-à-dire par l’Amour que diffuse l’Esprit (cf. Romains 5,5).

Ainsi, ceux qui participent à cette mission d’évangélisation – saint Louis-Marie pensait surtout aux prêtres de sa Compagnie naissante – c’est-à-dire tous les baptisés, « seront, écrit saint Louis-Marie, des apôtres véritables des derniers temps, à qui le Seigneur des vertus donnera la parole et la force… Ils auront les ailes argentées de la colombe, pour aller avec la pure intention de la gloire de Dieu et du salut des âmes, où le Saint-Esprit les appellera, ils ne laisseront après eux, dans les lieux où ils auront prêché, que l’or de la charité qui est l’accomplissement de toute la loi[5]. »

Ainsi, en célébrant le 350ème anniversaire de la naissance de saint Louis-Marie, nous comprenons que nous sommes tous envoyés et qu’il nous faut demander à Dieu la grâce de cette « pure intention de la gloire de Dieu et du salut des âmes ». La pure intention de la gloire de Dieu dans le soin du plus fragile, du plus pauvre, du plus exclu ! La pure intention du salut des âmes, c’est l’amour qui ne prononce aucun jugement ni aucun mot médisant sur le pécheur qui, certes, a commis le mal. Car de quoi s’agit-il ? De son âme et de son salut !

Voici que la « pure intention » de l’Apôtre qui s’inscrit dans la « sortie » de l’« infiniment pur » qu’est Jésus, c’est le salut de l’âme. Pourquoi ? Parce que l’âme a toujours un lieu virginal qui n’est pas touché par le péché, où Dieu habite. Ainsi, l’évangélisation n’est vraie que si elle habitée par cette « pure intention » du salut, c’est-à-dire de l’expansion de la lumière de Dieu dans l’âme.

Où trouver la pureté ?

Saint Louis-Marie suggère alors que « nous mourrions à nous-même », au sens où nous avons à mourir à nos péchés, à « notre amour propre », à « notre volonté propre », à toutes nos justices qui, d’une certaine manière, sont toutes souillées, comme le dit l’Écriture (cf. Psaume 129,3-4). Ainsi, il s’agit d’une mort à soi-même comme le grain qui est tombé à terre et qui meurt (cf. Jean 12,24). Mort à soi-même, l’apôtre pourra alors se présenter avec « une étincelle du pur amour[6] ».

En ce 350ème anniversaire, nous sommes invités par l’enseignement de saint Louis-Marie à demander cette « étincelle du pur amour ». En ce pur amour, il n’y a plus trace de retours sur soi. Il est alors inutile de chercher à trouver de la joie dans l’amour que nous donnons. C’est un amour gratuit qui a pour surcroît la joie non recherchée.

Mais où trouver cette pureté ? En effet, saint Louis-Marie s’interroge : « Notre pureté est-elle assez grande pour nous unir directement à Lui », à l’infiniment pur, pour participer à sa mission, car en vérité, le seul évangélisateur, c’est Jésus qui est l’Évangile lui-même[7]. « N’est-il pas Dieu en toutes choses, égal à son Père, et par conséquent le Saint des Saints, aussi digne de respect que son Père[8] ? » Jésus, le Saint des Saints ! Formule magnifique ! Nous l’avons chantée dans le Gloire à Dieu : « Toi seul es saint. »

Saint Louis-Marie continue à s’interroger : « Si par sa charité infinie, il s’est fait notre caution et notre médiateur auprès de Dieu son Père, pour l’apaiser et lui payer ce que nous lui devions, faut-il pour cela que nous ayons moins de respect et de crainte pour sa Majesté et sa Sainteté ? » Comment donc pouvons-nous être purs devant Dieu ? Est-il possible d’être habité par ce « pur amour » pour « sortir » annoncer l’Évangile ?

Eh bien, nous n’avons pas d’autres solutions que de faire comme les Apôtres. Ils sont tous de pauvres pécheurs, comme l’atteste la figure de Pierre qui a renié Jésus. Dans les onze Apôtres qui sont mentionnés dans la première Lecture, nous ne voyons qu’une seule chose, des pécheurs qui sont des « envoyés » (cf. Jean 20,21). Mais voici qu’au milieu d’eux, à Jérusalem, sur la colline de Sion, se tient « Marie, la Mère de Jésus » (cf. Actes 1,12-14), qui est la toute pure, l’Immaculée. Celle qui est toute pure peut intercéder avec les Apôtres. Ceux-ci savent que leur intercession est portée par la pureté de Marie et rejoint « l’infiniment pur » qui est Jésus.

La pureté de Marie, la Mère

Voilà que les missionnaires qui sont appelés « apôtres », c’est-à-dire « envoyés » tout en étant de pauvres pécheurs, trouvent leur raison d’être dans la pureté de Marie, parce qu’ils se savent pauvres pécheurs. « En la voyant, écrit saint Louis-Marie, nous voyons notre pure nature[9] », non pas notre péché, mais notre pure nature sortie des mains de Dieu. En Marie, nous voyons notre pure nature qui est habitée par le pur amour.

Saint Louis-Marie nous en donne une description magnifique qui nous invite à avoir de l’audace, de l’assurance, de la confiance et de la paix, quand nous sommes « en sortie », d’une manière ou d’une autre, quelle que soit notre mission, dans la catéchèse, dans l’accompagnement des adultes, dans le souci des plus fragiles, … ou plus simplement quand nous sommes pères ou mères auprès de notre famille, de nos enfants, de nos petits-enfants. Quand nous sommes « en sortie » pour évangéliser, nous savons bien que nous sommes de « pauvres pécheurs ». Mais voilà que nous mettons Marie au milieu de nous avec son pur amour et sa pureté.

Écoutons saint Louis-Marie : « Elle n’est pas le soleil, qui, par la vivacité de ses rayons, pourrait nous éblouir à cause de notre faiblesse ; mais elle est belle et douce comme la lune, qui reçoit la lumière du soleil et la tempère pour la rendre conforme à notre petite portée. Elle est si charitable qu’elle ne rebute personne de ceux qui demandent son intercession, quelque pécheur qu’ils soient ; car, comme disent les saints, il n’a jamais été ouï dire, depuis que le monde est monde, qu’aucun ait eu recours à la Sainte Vierge avec confiance et persévérance, et en ait été rebuté. Elle est si puissante que jamais elle n’a été refusée dans ses demandes ; elle n’a qu’à se montrer devant son Fils pour le prier : aussitôt il accorde, aussitôt il reçoit ; il est toujours amoureusement vaincu par […] les prières de sa très chère Mère[10]. »

Ainsi, nous qui désirons porter l’Évangile d’une manière ou d’une autre par l’amour pour les plus pauvres, par l’amour de tous, en leur annonçant l’Évangile du Seigneur Jésus, demandons la grâce de savoir mettre avec nous, de « prendre chez nous », comme dit saint Jean (cf. Jean 19,27) Marie, la toute pure. Si nous la prenons chez nous dans notre prière, elle nous purifiera. La toute pure est purifiante parce qu’elle est « mère » vis-à-vis de ses enfants (cf. Jean 19,27). Ainsi, nous recevons comme le dit saint Louis-Marie, « l’onction du pur amour[11] ». « Il faut remarquer, écrit-il, que nos bonnes œuvres passant par les mains de Marie reçoivent une augmentation de pureté[12]. »

En écho à saint Louis-Marie, en cette année du 350ème anniversaire de sa naissance, nous entendons la question que se pose sans arrêt la patronne des missions, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : « Le pur amour est-il bien dans mon cœur ? » Elle le contemple en Marie[13].

Demandons les uns pour les autres la grâce d’aimer. Demandons à saint Louis-Marie et à sainte Thérèse qu’ils nous obtiennent la grâce d’aimer toujours plus, car il n’y a que l’amour qui compte. Surtout, confions-nous les uns les autres à la maternelle intercession et à la maternelle présence de celle qui est toute pure, Marie, l’Immaculée Conception, afin que nous n’ayons pas crainte de nos péchés qui ternissent notre amour. Qu’elle nous rende confiants et audacieux pour que nous osions, avec notre amour, aimer toujours davantage parce que nous prenons chez nous Marie qui rend notre amour un peu plus pur, un peu plus désintéressé, un peu plus conforme à l’amour évangélique, un peu plus humble, un peu moins orgueilleux. Qu’ainsi, avec cet amour, nous puissions donner notre vie par amour. Que nous devenions des apôtres habités par « la pure intention de la gloire de Dieu et du salut des âmes ».

Qu’il est beau de désirer cette pureté intérieure ! Nous pouvons le désirez que parce que nous recevons Marie pour Mère, parce que nous la prenons chez nous. Ainsi, sans crainte, nous pouvons aller de l’avant pour aimer à la manière de Jésus, lui qui est l’« infiniment pur », notre Sauveur. Amen.


[1] Cf. concile Vatican II, constitution sur l’Église dans le monde de ce temps, Gaudium et spes, 7 décembre 1965, n. 18 : « Si l’homme existe, c’est que Dieu l’a créé par amour et, par amour, ne cesse de lui donner l’être ; et l’homme ne vit pleinement selon la vérité que s’il reconnaît librement cet amour et s’abandonne à son Créateur. »

[2] Saint-Louis-Marie Grignion de Montfort, Traité de la vraie dévotion, n. 78.

[3] Cf. concile Vatican II, Constitution sur l’Église, Lumen gentium, 21 novembre 1964, n. 17.

[4] Cf. Paul VI, exhortation Evangelii nuntiandi, 8 décembre 1975, n. 14 : « Évangéliser est, en effet, la grâce et la vocation propre de l’Église, son identité la plus profonde. Elle existe pour évangéliser. »

[5] Traité de la vraie dévotion, n. 58. En évoquant « les ailes argentées de la colombe », saint Louis-Marie fait allusion au Psaume 67,14 où, selon la tradition des Rabbins, la « colombe » représente Israël. En gardant cette tradition, nous pouvons aussi y voir l’Église, et ses « ailes argentées » peuvent être interprétées comme le trésor de la foi, de l’espérance et de la charité, grâce auxquelles nous nous envolons vers Dieu.

[6] Le traité de la vraie dévotion, n. 81.

[7] Cf. Paul VI, exhortation Evangelii nuntiandi, n. 7 : « Bien souvent au cours du Synode, les Évêques ont rappelé cette vérité : Jésus lui-même, Évangile de Dieu (cf. Marc 1,1 ; Romains 1,1-3), a été le tout premier et le plus grand évangélisateur. Il l’a été jusqu’au bout : jusqu’à la perfection, jusqu’au sacrifice de sa vie terrestre. » Cité par François, La joie de l’Évangile, n. 12.

[8] Le traité de la vraie dévotion, n. 85.

[9] Traité de la vraie dévotion, n. 85.

[10] Traité de la vraie dévotion, n. 85.

[11] Cf. Traité de la vraie dévotion, n. 154.

[12] Traité de la vraie dévotion, n. 172.

[13] Cf. sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, Poésie Pourquoi je t’aime, ô Marie !, mai 1897, strophe 5 : « Le trésor de la mère appartient à l’enfant/ Et je suis ton enfant, ô ma Mère chérie/ Tes vertus, ton amour, ne sont-ils pas à moi ? »