Fin de Vie : Mgr Pierre d’Ornellas entendu à l’Assemblée nationale

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Mgr Pierre d’Ornellas, entendu par la Mission d’évaluation de la loi du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie dite « Claeys-Leonetti »

Le jeudi 2 février, la mission parlementaire d’évaluation de la loi Claeys-Leonetti sur la fin de vie a reçu des représentants des cultes monothéistes à l’Assemblée. L’archevêque de Rennes Mgr d’Ornellas, responsable du groupe de travail bioéthique à la CEF était présent, et a insisté sur la nécessité de regarder cette question à la lumière de la fraternité.

Voir le reportage de KTOTV :

Lire l’intervention de Mgr Pierre d’Ornellas :

Intervention de Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, devant la mission parlementaire d’évaluation de la loi Clayes-Leonetti du 2 février 2016

 

 

Intervention de Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes,
devant la mission parlementaire
d’évaluation de la loi Clayes-Leonetti du 2 février 2016

Paris, le 2 février 2023

 

  1. La fraternité.

Je voudrais évoquer le sujet de la fin de vie en l’abordant sous la lumière de la fraternité. Cela nous engage à prendre soin de la personne la plus vulnérable. La vulnérabilité est comme l’écrin qui manifeste le mieux la perle précieuse qu’est la dignité humaine. En effet, quand l’être humain va bien et peut mettre en œuvre tous ses talents et toutes ses qualités, allant de performances en performances, on risque de se tromper en mesurant la dignité humaine à l’aune de ces talents et qualités, voire à confondre dignité et performance accomplie. Par contre, quand il n’y a plus la possibilité d’exprimer ces talents et ces qualités et qu’il n’y a plus que la vulnérabilité qui s’offre à nos regards, alors nous sommes invités à voir la dignité du seul fait que cette personne humaine appartient à l’humanité.

La fraternité et la vulnérabilité se conjuguent dans la créativité. La fraternité oblige à chercher et à trouver le meilleur accompagnement qui permette à telle personne vulnérable de ne pas souffrir de ses pathologies corporelles ni de ses fragilités psychiques. Cette recherche est nécessaire car chaque situation de vulnérabilité est originale. Cette recherche atteste la qualité de la fraternité. Elle requiert des moyens pour pouvoir accompagner en vérité chaque personne en ayant besoin.

  1. La culture palliative

Développer la culture palliative est la priorité absolue. Étendre les soins palliatifs sur tout le territoire est une affaire de justice et un devoir de l’État en appliquant la loi du 9 juin 1999, qu’il a promulguée.

Il est urgent de mettre en place une formation consistante sur les soins palliatifs. Il y a une carence de formation sur la loi Clayes-Leonetti. Par exemple des internes à qui des cours sont donnés, ignorent cette loi alors qu’ils sont bac + 8/9. Des médecins en savent l’existence sans en connaître le contenu et la signification. Les soins palliatifs sont « essentiels » à la médecine, comme le souligne le Conseil de l’Europe.

Le Rapport Sicard de décembre 2012, « Penser solidairement la fin de vie », ne doit pas être oublié. Il apporte un élément essentiel dans la débat sur la fin de vie : le palliatif devrait commencer dès que le curatif commence. Les soins palliatifs pour des personnes en maladie chronique invalidante devraient être donnés le plus tôt possible. Cela permet d’accompagner la personne dans le confort au fur et à mesure de l’évolution de la maladie. Cela évite davantage les souffrances qui poussent à demander la mort. L’accès précoce aux soins palliatifs, très en amont dans la maladie, permet d’anticiper certaines problématiques, de rassurer sur la prise en charge en fin de vie, de traiter les symptômes au fur et à mesure qu’ils apparaissent, et enfin et surtout de proposer un soutien psychologique et une approche multidisciplinaire, ce qui est éminemment rassurant pour les patients.

  1. La sédation et l’intention

La Sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès est rare parce qu’elle ne correspond pas aux besoins fréquents des patients. La sédation proportionnée, transitoire, nocturne, qui est toujours réversible, est beaucoup plus utile et fréquente dans les services de soins palliatifs.

La sédation correspond à un soin que la médecine a le pouvoir de prodiguer. Elle correspond à l’intention de soulager la personne de sa souffrance. Il est fondamental de comprendre la nature de l’intention. Tout acte véritablement humain procède d’une intention à réaliser par le choix de moyens cohérents avec cette intention. L’intention qui préside au choix de la sédation est la suppression des souffrances, même si cette sédation peut favoriser le développement de la maladie qui provoque la mort. La sédation n’a jamais pour intention le fait de provoquer la mort.

La procédure collégiale demandée par la loi paraît juste et nécessaire ; elle permet de cerner la situation sous tous ses angles et très souvent de trouver des solutions d’accompagnements adéquats ; dans tous les cas, elle permet de se poser et de ne pas décider dans l’émotion ; elle permet aussi de vérifier la vérité de l’intention. Cette procédure s’élargit souvent à une mise en œuvre d’une réflexion par l’équipe soignante avec toutes ses composantes, de telle sorte que le discernement et la recherche du meilleur accompagnement se fait de façon transdisciplinaire.

De fait, face à l’agonie et la mort, l’émotion risque de prendre le dessus et de commander ce qui n’est pas raisonnable. La complexité de ce sujet exige plus que tout autre que les décisions soient prises avec raison et créativité, donc collégialement, pour trouver le meilleur accompagnement. L’émotion doit faire appel au discernement raisonnable.

La sédation devient euthanasique si l’intention consiste à provoquer la mort. Il ne s’agit plus alors de médecine ni de soin. La médecine a l’intention de diminuer la souffrance, voire de la supprimer, et non de provoquer la mort.

La mort n’est pas en soi un problème qui relève du médical. Elle est une énigme que tout être humain est appelé à affronter. Par contre, l’accompagnement de la vie durant le temps au cours duquel la maladie conduit à la mort relève de la médecine pour que toute souffrance soit le mieux possible apaisée.

  1. Une alliance thérapeutique à préserver

Préserver l’alliance entre le patient et le personnel soignant est également essentiel à la notion de soin. La loi du 4 mars 2002 qui précise que c’est le patient qui « avec » le personnel soignant prend les décisions concernant sa santé est un progrès considérable. Il faut maintenir ce « avec ». Ensemble, patient et personnel soignant vont lutter contre l’ennemi commun : la souffrance.

Il serait dangereux d’imposer au personnel soignant d’exécuter la demande d’un patient, sous prétexte d’une autonomie revendiquée comme un droit absolu. Le personnel soignant ne serait plus qu’un exécutant et la science médicale perdrait de sa consistance. C’est pourquoi les directives anticipées ne peuvent être opposables, mais seulement contraignantes de telle sorte que le médecin, s’il juge qu’elles sont contraires à l’intérêt du patient, puisse ne pas les appliquer. La rédaction des directives anticipées peut être l’occasion de mettre en œuvre ce « avec » de la loi de 2002. De fait, l’être humain vit toujours dans une autonomie relationnelle qui s’exprime dans une interdépendance, laquelle est une chance quand elle est investie par la fraternité.

  1. Prodiguer un soin et provoquer la mort

Je reviens sur la sédation. Il semble bien que la sédation profonde et continue maintenue jusqu’au décès soit parfois considérée par les familles comme une « alternative à l’euthanasie ». Cette ambiguïté est dommageable ; il est nécessaire de bien expliquer au famille de quoi il s’agit : ou bien on cherche à apaiser la souffrance du patient qui est leur proche ; ou bien on provoque sa mort, ce qui de soi est un acte violent qui engendre d’autres problématiques à assumer par les proches, comme la culpabilité, le remords, l’arrêt brutal de relations. Ce ou bien/ou bien est capital. Il ne s’agit pas de la même réalité, mais de deux actes totalement différents et étrangers l’un à l’autre.

À cet égard, contrairement à ce qu’ose affirmer l’Avis 139 du CCNE, ce n’est pas un acte de fraternité puisque cet acte brise définitivement toute relation, alors que la fraternité construit des relations destinées à se poursuivre et apportant un soutien. La fraternité est du côté de l’accompagnement des personnes fragiles. Une société comme la nôtre qui approuverait le fait de provoquer la mort comme un acte de fraternité verrait le fait de donner la mort comme constitutif de sa devise républicaine ! Ce serait absurde et dangereux.

La très grande majorité des personnes dont les souffrances sont apaisées grâce aux soins palliatifs ne demandent pas la mort. Il reste une infime minorité de personnes qui sont habitées par une philosophie de vie : décider de leur mort quand elles le veulent parce qu’elles estiment qu’elles n’ont plus rien à faire maintenant. Alors, cela ne relève pas de la médecine ! De plus, il est dangereux de faire une loi générale pour une très petite minorité.

Cela aboutirait à une contradiction flagrante : si l’euthanasie ou le suicide assisté était légalisé comme étant des dispositions de soins, le patient entendrait tout à la fois des équipes soignantes leur dire : je t’accompagnerai jusqu’au bout en te promettant de ne pas t’abandonner, et je peux aussi provoquer ta mort ou te venir en aide pour que tu puisses te donner la mort, selon le désir que tu exprimeras, alors même que l’équipe soignante sait parfaitement l’ambivalence des désirs exprimés par le patient. Cela serait une entrave grave à la sérénité de l’accompagnement par les soins palliatifs, voire un empêchement radical à leur mise en œuvre.

De fait, on mélange deux registres de réflexions qui ne sont pas du même ordre ! Comme si avec un chausse pied on voulait forcer un pied à rentrer dans une chaussure totalement inadéquate.

D’un côté, on réfléchit pour améliorer l’accompagnement en augmentant les soins palliatifs, en forgeant une culture palliative, en formant les personnels soignants, en progressant scientifiquement pour que la souffrance puisse être davantage apaisée, en appliquant plus résolument le rapport Sicard, en donnant les moyens d’accompagner les familles, en soutenant les aidant, etc. Cela relève de la médecine et fait faire un progrès suite aux lois des 9 juin 1999, 4 mars 2002, 22 avril 2005 et 2 février 2016.

D’un autre côté, on réfléchit quelles sont les conditions qui autoriseraient un être humain à provoquer la mort de son semblable parce que ce dernier le lui demanderait. Cela ne relève pas de la médecine mais d’une considération d’un problème spécifique. Cette réflexion doit alors prendre à bras le corps le principe civilisateur « tu ne tueras pas », exactement comme la légitime défense a obligé un effort de réflexion éthique considérable pour coexister avec ce principe que la légitime défense ne contredit pas. Ce principe a conduit à l’éradication de la peine de mort. Il se traduit par l’interdiction de nuire à autrui dans de multiples circonstances de la vie. Ne travestissons pas ce principe civilisateur en habillant l’euthanasie ou le suicide assisté du nom d’« aide active à mourir » pour cacher la réalité !

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