Homélie de Mgr d’Ornellas pour la messe d’ordination diaconale de Vincent Hallaire

Homélie de Monseigneur Pierre d’Ornellas pour l’ordination diaconale de Vincent Hallaire, à la Cathédrale Saint-Pierre de Rennes, le dimanche 17 novembre 2013. Vincent Hallaire est devenu le 38e diacre permanent du diocèse de Rennes.

Première lecture : Isaïe 50, 4-9
Psaume 97, 5-10
Seconde lecture : Deuxième Lettre de saint Paul aux Thessaloniciens 3, 7-12
Évangile de saint Luc 21, 5-19

Jésus insiste : « Mettez-vous dans la tête … » (Luc 21, 14). Cette phrase dans l’Évangile est unique. Elle mérite d’être relevée. Il y a une insistance tout à fait particulière quand Jésus dit : « Mettez-vous dans la tête … ». Dans l’Évangile de saint Jean, on entend plusieurs fois : « en vérité, en vérité, je vous le dis ». Ici, dans cet Évangile que nous entendons, tiré de saint Luc, c’est la seule fois où se trouve cette expression : « Mettez-vous dans la tête … ». C’est donc une insistance sur laquelle nous devons méditer un instant.

Jésus, notre défenseur

Qu’est-ce que nous devons nous mettre dans la tête ? « Mettez-vous dans la tête que vous n’avez pas à vous soucier de votre défense. » Voilà l’affirmation du Seigneur Jésus. Elle exprime tout simplement que c’est Lui notre défenseur. Effectivement, il poursuit : « Moi-même, je vous inspirerai un langage et une sagesse à laquelle tous vos adversaires ne pourront opposer ni résistance ni contradiction. » (Luc 21, 15)

Voilà que dans les tumultes de l’histoire dont nous sommes quotidiennement les témoins, les nations se dressent contre les nations (cf. Luc 21, 10), des familles voient leurs membres se dresser les uns contre les autres, le « témoignage » de la justice, de la paix, de la réconciliation, bref du vivre ensemble « à cause de » Jésus, conduit certains à être « jetés en prison » – qui deviennent aujourd’hui des otages – à « comparaître devant des lois et des gouverneurs ».

Nous connaissons cette litanie depuis 2000 ans et bien plus. Comme si cela était une fatalité ! Dans ce tumulte plus ou moins visible, c’est-à-dire plus ou moins médiatisé – mais tumulte toujours réel, tumulte de douleurs et de souffrances, tumulte qu’a connu le Peuple d’Israël – voici que nous entendons le Seigneur Jésus nous dire : « Mettez-vous dans la tête que vous n’avez pas à vous soucier de votre défense. » Dans ce tumulte, il y a donc un langage et une sagesse auxquels il est impossible de résister, d’apporter une contradiction.

Oui, il y a quelque part un langage et une sagesse qui se frayent un chemin dans ce tumulte. Ou plutôt qui reçoit ce tumulte pour le transformer en paix, qui reçoit l’injustice pour la transformer en justice, qui reçoit la haine de la division pour la transformer en consolation (ou réconfort) de la réconciliation. Ce langage et cette sagesse ont un nom, celui qu’a inventé la première communauté chrétienne en découvrant qui est Dieu, révélé pleinement dans le Mystère de Jésus, et singulièrement de Jésus lavant les pieds de ses disciples (cf. Jean 13, 1-15), de Jésus dans le Mystère de sa Passion. Ce langage et cette sagesse ont un nom éternel qui est « charité ».

La charité

Il n’y a que cela qui compte, la charité ! C’est-à-dire cette manière d’aimer qui est propre à Dieu : un amour qui ne juge jamais, qui aime pour la seule raison qu’il aime, un amour gratuit, totalement gratuit, infiniment gratuit. Il n’est pas un amour qui aime parce que la réalité à aimer est bonne. La bonté de la réalité ne justifie pas l’amour de Dieu.

Son amour est purement gratuit. Il reçoit pour nous, au Ier siècle quand les chrétiens ont composé les Évangiles, un nom nouveau. Ils sont passés de ce mot amour courant qui se dit en grec philein, à ce mot tout à fait original qui se dit agapein. Voilà que la charité, qui est celle de Dieu manifesté dans le Christ, qui est celle du Christ, est ce langage et cette sagesse auxquels il ne peut pas y avoir de contradiction, ni de résistance.

Cette charité du Christ, nous la reconnaissons quand il est à genoux en lavant les pieds de ses disciples ! Cette charité du Christ, nous la contemplons dans le visage du Crucifié sur la Croix, dans son silence ! Cette charité est invincible parce qu’elle ne cherche pas à vaincre. Cette charité ne peut pas recevoir d’opposition car elle n’oppose aucune opposition. Cette charité ne peut pas recevoir de résistance car elle ne prétend résister à rien. Elle n’est pas là pour s’affirmer dans ses droits. Elle n’est pas là pour se justifier. Elle n’est pas là pour présenter des prérogatives. Elle n’est là que pour « réconforter » (ou consoler). Elle n’est là que pour aimer gratuitement.

Écouter la Parole

Nous entendons le Prophète Isaïe, dans la Première lecture, nous parler du serviteur. Le serviteur qui est comme chanté ou que chante le Prophète. En Isaïe, nous avons ce que l’on appelle les quatre chants du serviteur. C’est tout autant le serviteur qui chante que le prophète qui chante lui-même la beauté du serviteur. Et qui est ce serviteur ? Celui « qui se laisse instruire » (cf. Isaïe 50, 4) : « La Parole me réveille chaque matin, chaque matin elle me réveille pour que j’écoute comme celui qui se laisse instruire. » En effet, « Dieu, mon Seigneur, m’a donné le langage d’un homme qui se laisse instruire ». (Isaïe 50, 4)

Ce qui est admirable dans ce serviteur, c’est son attitude qui est passive : il n’est pas là pour prendre du savoir, il est là pour le recevoir. Il « se laisse instruire » ! Et il se laisse instruire par la Parole, parce que Dieu parle. Non, Dieu n’est pas muet, Dieu n’est pas absent, Dieu n’est pas dans la non existence. Il parle, et personne ne peut mettre la main sur sa Parole. Nous ne pouvons pas la prendre et la mettre à l’aune de nos idées. Nous ne pouvons pas la capter pour en faire un pouvoir. Nous ne pouvons pas la dominer pour qu’elle devienne notre prérogative.

Cette Parole s’offre à celui qui « écoute ». Le Peuple d’Israël découvrira quand il relira sa vie que sa grande attitude est celle de l’écoute : « Écoute Israël, le Seigneur ton Dieu est Unique. » (Deutéronome 6, 4) Écouter la Parole. Nous entendons le Seigneur Jésus qui parle à sa famille en jetant son regard sur ses disciples, c’est-à-dire à la famille de ses Disciples : « Heureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu. » (Luc 8, 21) Écouter, voilà le Serviteur ! Voilà Jésus qui est tout entier écoute de la Parole.

Une Parole toujours neuve

Certes, ce n’est pas facile d’écouter. C’est pour cela que le Prophète Isaïe répète deux fois : « La Parole me réveille chaque matin, chaque matin, elle me réveille. » Comme s’il fallait toujours recommencer à écouter la Parole. On n’a jamais fini d’avoir un cœur qui écoute. C’est comme s’il fallait à chaque fois recommencer à se mettre dans cette attitude nouvelle, toujours nouvelle, pour enfin écouter un peu. Hélas, malheureux celui qui croit qu’il a acquis l’habitude d’écouter. Non, il faut se remettre en attitude d’écoute « chaque matin ». À chaque fois, c’est comme un recommencement.

Cette écoute est tout à fait remarquable parce que, quand la Parole rentre en nous, elle purifie. Quand la Parole vient, elle est là dans sa nouveauté. Quand la Parole est reçue, les idées volent en éclats. C’est bien cela que nous dit le Prophète Isaïe : « Le Seigneur m’a ouvert l’oreille et moi, je ne me suis pas révolté. Je ne me suis pas dérobé. » (Isaïe 50, 5) Oui, la grande tentation, c’est de nous dérober à la Parole de Dieu, à sa nouveauté, en mettant en face de cette Parole une résistance, une opposition, celle de nos certitudes et de nos idées, celle de nos savoirs et de nos évidences. Cette Parole – qui vient de Dieu – est toujours en train de nous convertir, de nous faire avancer, sans jamais nous juger.

Une Parole pour Aimer

Nous pouvons dire que, d’une certaine manière, un serviteur de l’Église a magnifiquement écouté cette parole divine : saint Ignace de Loyola. Quand saint Ignace de Loyola donne à l’Église ce qu’il a reçu lui-même, les Exercices spirituelles pour entrer dans le discernement selon le rythme des quatre semaines, il nous indique le point ultime vers lequel tous ses exercices spirituels convergent : la contemplatio ad amorem, la contemplation dans un mouvement vers l’Amour. Nous n’avons jamais fini de recevoir l’Amour.

Ce serviteur, chanté par le prophète, nous fait entrer dans une dynamique tout à fait extraordinaire : celui qui écoute découvre l’Amour et cet Amour lui donne soif, si bien qu’il se remet à écouter pour redécouvrir à nouveau un peu plus l’Amour, et qui lui donne à nouveau soif, soif d’écouter encore davantage, comme un cercle vertueux de l’écoute à l’Amour, de l’Amour qui renvoie à l’écoute. Plus l’Amour grandit, plus le serviteur a soif d’écouter pour aimer.

Un cœur qui voit

Mes amis, dans le serviteur qui écoute, dans le serviteur en qui grandit la charité du Christ, s’ouvre un regard nouveau. Que voit-il ? Qu’est-ce qui s’ouvre à son regard ? Qu’est-ce qui apparait à son regard ? Le prophète Isaïe le dit : « Il est proche celui qui me justifie. Quelqu’un peut-il plaider contre moi ? Comparaissons ensemble. Quelqu’un a-t-il une accusation à porter contre moi ? Qu’il s’avance. Voici le Seigneur Dieu qui vient prendre ma défense. Qui donc me condamnera ? » (Isaïe 50, 8-9)

Voilà que le serviteur qui écoute et qui reçoit la Parole, qui laisse graver en son cœur la charité du Christ, devient serviteur vis-à-vis de tous les pauvres du monde. Pauvres qui d’une manière ou d’une autre sont accusés, sans défense, condamnés en étant enfermés dans des étiquettes infernales. Pauvres qui, sous des fausses paroles luttant contre le racisme, sont des migrants que l’on est incapable d’accueillir vraiment.

Oui, face à tous ces pauvres qui ne sont pas accueillis et qui sont d’une certaine manière mis sous des accusations diverses et variées, le serviteur voit la beauté inaltérable de leur dignité humaine. Habité par la charité du Christ, il se fait frère de ces pauvres, il les accueille et les reconnait dans leur dignité. Comme Jésus, « il n’a pas honte de les appeler ses frères » (Hébreux 2, 11).

Rendons grâce pour Jésus, le Serviteur, qui nous reconnait tous comme ses frères et sœurs. Rendons grâce pour Vincent qui a répondu « oui » à l’Appel de l’Église pour devenir, à la suite de Jésus, un diacre par le sacrement de l’Ordre, c’est-à-dire un serviteur au nom de l’Église.