Un chic scout au Paradis

Il est des moments, même brefs, qui marquent toute une vie, l’infléchissent pour toujours. On peut supposer sans risque qu’il en est ainsi du bienheureux Marcel Callo (1921-1945). Son passage chez les Scouts de France, à la troupe Jacques-Cartier
de la Ve Rennes, fut en effet rapide : à peine plus de deux ans, de Noël 1933 au début de 1936. Cependant, il y a eu un avant et un après. Bien que subtil, difficile à remarquer tant sa trajectoire vers le Ciel fut « fluide, sans accroc », comme le souligne Mgr Pierre d’Ornellas (1), archevêque de Rennes, un changement s’est néanmoins profondément imprimé en son âme.
Quand Marcel intègre la troupe, à la veille de ses 12 ans, « en apparence, il ne se distingue pas beaucoup des jeunes de son âge, remarque le postulateur de sa cause, Thomas Gueydier. Il a une enfance profondément chrétienne, telle que la Bretagne sait en produire à cette époque ». Une famille pieuse et nombreuse neuf enfants, trois garçons et six filles, dont l’une meurent à l’âge de 7 mois , c’est encore un modèle courant. Tout juste peut-on voir dans cette famille un caractère assez moderne, avec l’inscription des enfants dans différents mouvements naissants : la Croisade eucharistique, ancêtre du Mouvement eucharistique des jeunes ; le scoutisme d’inspiration catholique ; la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), qui sera le grand lieu d’engagement de Marcel. Le dimanche, la mère se rend tôt à la messe, pour avoir le temps de cuisiner ; ensuite, le père va à la grand-messe de 11 heures pour chanter ; et les enfants, eux, y assistent avec leurs mouvements respectifs.À y regarder de plus près, on peut cependant voir dans le « cul de pat’ », le benjamin de la patrouille de l’Hermine, de belles qualités que l’on pressent irriguées par une vie spirituelle déjà profonde et vivante. Son regard notamment, même s’il disparaît souvent dans un pli rieur, est frappant. L’aumônier scout décrit Marcel ainsi : « Il ne s’extériorisait pas autant qu’on l’eût souhaité, mais droiture du regard, discrétion et simplicité permettaient de supposer la richesse de sa vie intérieure. [...] Il avait du caractère et ne se laissait pas manœuvrer. C’était un garçon très équilibré. »

« Il payait d’exemple »

Marcel a l’art de commander comme talent naturel. Leader né, il entraîne les autres à sa suite de manière irrésistible. Après sa promesse, qu’il prononce le 18 juin 1934, et un temps comme second de l’Hermine, Marcel devient naturellement très vite chef de patrouille (CP) de la Panthère. « Ce premier exercice lui donne le goût, non du pouvoir, mais du service, explique le Père Nicolas Guillou, actuel curé de Notre-Dame de Bonne-Nouvelle, la paroisse de la famille de Marcel Callo. Il était meneur, mais au service des autres, pas pour récolter la gloire ou la gloriole. » Le jeune CP s’attache à être exemplaire, sans quasiment rien montrer de ses combats intérieurs, ni des peines que cet ultrasensible peut ressentir lorsque « les gars ne sont pas chics » (son expression favorite). « Comme chef, il s’imposait de l’intérieur. On ne discutait pas son autorité, car il payait d’exemple », se souvient un scout de sa troupe.À la Croisade eucharistique, Marcel Callo avait fait sienne la devise du mouvement : « Prie, communie, sacrifie-toi, sois apôtre. » Il assiste à la messe et la sert tous les jours, l’Eucharistie est le carburant de ses journées. Il apprend très jeune à « faire de la messe sa vie, et de sa vie une messe », où lui-même devient une offrande nourrissante pour les autres.Comment, concrètement ? Chez les scouts, il découvre ce moyen tout simple de
la BA (bonne action) quotidienne, sans gloriole là non plus. Un de ses chefs observe : « Derrière ses lunettes, son regard malicieux en disait long sur les bons tours qu’il savait jouer à ses frères scouts (je veux parler de ses BA cachées). » Enfin, le scoutisme lui apprend par-dessus tout l’engagement, fondé sur le roc du Christ. Son chef de groupe Raymond Selleret témoigne : « Je ne me souviens pas avoir jamais fait un reproche à Marcel. Je ne sais pas s’il avait le pressentiment de ce qui devait lui arriver, mais ce dont j’étais sûr, c’est qu’il ne faillirait jamais. »

Un zèle missionnaire extraordinaire

L’adolescent s’épanouit donc à la troupe et y goûte la bonne ambiance de jeu, de joie, de fraternité et de simplicité qui y règne. Grâce à sa vivacité d’esprit, il obtient le titre de champion de sémaphore. On l’imagine très bien chanter à plein poumons, s’engager corps et âme dans les jeux, entraîner sa petite équipe à l’aventure et prier avec et pour elle. Cela lui fait aussi du bien parce qu’il connaît, à cette époque, un important changement qui le déstabilise. Pas encore âgé de 13 ans, le certificat d’études en poche, il entre comme apprenti chez un imprimeur. Le changement est rude : « Le milieu du livre est en partie déchristianisé à cette époque, explique Thomas Gueydier. Il souffre beaucoup des impiétés et des obscénités qu’il entend à l’atelier. » D’autant plus que ces « bouffeurs de curé » ont tôt fait de remarquer la grande piété et la pureté du nouveau venu, et s’appliquent donc à le « déniaiser » à leur façon.Retrouver la troupe scoute et ses bons gars est une bouffée d’air pur après de dures journées à l’atelier. Cependant, Madame Callo trouve que le scoutisme l’éloigne de sa famille. Elle appuie donc le vicaire de la paroisse lorsqu’il demande à Marcel de quitter la troupe pour la JOC. Le mouvement, créé sept ans auparavant en France, n’a rien à voir avec la JOC marxiste d’après-guerre. Il s’agit alors d’apporter le Christ dans le monde ouvrier. « Le slogan de la JOC, qui lui avait été donné par son fondateur, Joseph Cardijn, était : «Un jeune travailleur vaut plus que tout l’or du monde, car il est fils de Dieu» », explique le Père Guillou. Cela emporte l’adhésion de Marcel, même si c’est un véritable arrachement, car il aimait beaucoup la patrouille dont il était CP. Et puis, il est accueilli plutôt fraîchement par les ouvriers. Un ami lui demande :
« Eh bien, Marcel ! Que préfères-tu maintenant ? La JOC ou le scoutisme ? » Sa réponse est nette : « J’ai beaucoup aimé le scoutisme et je l’aime toujours, mais je préfère la JOC, car elle me demande plus de sacrifices. » Grâce à son frère aîné Jean, il trouve un moyen positif de vivre ce passage : ce sera son engagement de routier.
Le jeune homme s’engage donc dans la JOC, comme il s’était engagé dans le scoutisme : totalement. Il y déploie un zèle missionnaire extraordinaire. Très vite, à 17 ans seulement, il devient responsable de sa section. Nous sommes en 1938. Bientôt, la guerre gronde et les nuages s’amoncellent à l’horizon. Marcel ne faiblit pas et exhorte ses camarades à maintenir ferme leur espérance dans le Christ. On conserve de lui des discours magnifiques. Le 8 septembre 1940 (19 ans) : « Unis, nous pouvons tout. C’est l’heure difficile, pénible, dure, accablante. C’est donc l’heure des forts, des courageux, des persévérants, c’est notre heure à nous ! Ne soyons pas des timides, ne craignons pas d’aller de l’avant. Pour être victorieux, soyons donc des audacieux. »De l’audace, du courage, Marcel devra en montrer. Quelques jours après un bombardement allié à Rennes, le 8 mars 1943, qui tue plus de quatre cents personnes, dont Marie-Madeleine, sa chère petite sœur, il reçoit l’ordre de rejoindre le Service du travail obligatoire (STO) en Allemagne. Que faire ? Partir ? Rejoindre le maquis ? Cette dernière option est impossible. Sa famille pourrait subir de fortes représailles, et notamment Jean, son frère, qui risque de ne pas recevoir la prêtrise. Alors, comme il l’a toujours fait, Marcel se sacrifie pour les autres : il part, « le cœur brisé ». Il quitte sa famille, sa « petite fiancée » Marguerite qu’il adore et qu’il devait épouser, sa section jociste. Toutefois, avec sa « résilience spirituelle » extra-
ordinaire, note le Père Guillou, il retourne la situation : « Ce n’est pas comme travailleur que je pars, mais comme missionnaire », proclame le jeune homme. Avec, bien en vue, son écusson de la JOC une grande croix rouge enlacée par un épi de blé , le jeune homme quitte Rennes le 19 mars 1943, pour être présent auprès de ses camarades jocistes et de tous ceux qui ne connaissent pas encore le Christ. Il l’ignore encore, mais il ne reverra jamais les siens.

arrêté pour « action catholique »

Après un an de labeur forcé, d’où nous sont parvenues des dizaines de lettres émouvantes (2) montrant son travail d’apôtre avec « l’Ami qui ne le quitte pas un seul instant », le 19 avril 1944, Marcel est arrêté pour « action catholique ». Enfermé dans la prison de Gotha avec onze autres jocistes, séminaristes ou prêtres, il vit auprès d’eux comme une grande retraite spirituelle avant la Pentecôte sanglante du martyre. Le 25 octobre, il est envoyé au camp de concentration de Mauthausen, dans l’enfer du commando de Gusen II. Marcel tient bon quelques mois, encourageant ses camarades, partageant sa maigre ration, mais finit par y mourir de faim et de maladie le 19 mars 1945, à 23 ans. Un prisonnier, le colonel Albert Tibodo, est présent lors de ses derniers instants : « Je suis allé voir Marcel Callo [...] ; mais il n’avait plus qu’un regard qui «voyait autre chose». [...] Le garçon avait un regard de saint. »Il a été béatifié par le pape Jean-Paul II en 1987, en présence de scouts de toutes branches de France, d’Europe, Europa et Scouts unitaires de France. Des dizaines
de groupes portent aujourd’hui son nom, comme aimantés par ce scout apôtre accompli, qui s’est « fait tout à tous, pour en sauver à tout prix quelques-uns » (1 Cor 9, 22).