Mathurin Bonnecamp (1590-avant février 1655)

L’homme au chapeau rouge, portrait possible du peintre ?

Mathurin Bonnecamp est un grand peintre, en tout cas certainement le meilleur de Bretagne en son temps, mais la connexion ne s’est pas bien faite entre les pôles de son activité, Paris, Vitré, Nantes ou Le Mans, si bien qu’il est tombé dans l’oubli. Pour notre part, après avoir reconnu trois œuvres de lui en Ille-et-Vilaine,  nous avons poussé l’enquête à Nantes et autour du Mans. Entre temps, nous avons eu vent d’une œuvre de jeunesse capitale vendue en Angleterre.  Nous risquons ici un début de synthèse, à partir de neuf tableaux, ce qui est déjà une belle aventure. Puisse-t-elle n’être qu’un début !

Mais commençons par rêver : en arrière-plan du tableau de l’Adoration des Rois de Moutiers, sous son chapeau rouge, le visage plein de finesse qui nous regarde en indiquant l’étoile ne serait-il pas son autoportrait ?

Fiche patrimoine du Père Roger Blot, responsable du patrimoine religieux pour le diocèse de Rennes.
> Voir aussi l’article paru dans Église en Ille-et-Vilaine n°293 – Janvier 2018.

Une lignée d’artistes vitréens aisés

D’abord, Mathurin Bonnecamp est bien un authentique Vitréen, second de onze enfants, baptisé à l’église Notre-Dame le 22 juin 1590.

Il grandit dans un milieu d’artistes. Son père, maître André Bonnecamp (+ 1619), était « imagier », c’est-à-dire sculpteur, tout comme son grand-père Jean (+ 1579), qualifié de «maistre  tailleur d’imaiges » en 1542. Sa mère, Jacquine Coullon, était probablement fille de drapier.

Depuis les travaux d’Arthur de la Borderie, on attribue à son père André la magnifique cheminée Renaissance du Musée de Vitré, datée de 1583, qui ornait la demeure de Lucas Royer, un riche négociant en toile, d’ailleurs apparenté.

La cheminée de Lucas Royer, avec en arrière-plan des scènes de chants et de danse

Les scènes de musique, de chant choral ou de danse en arrière-plan révèlent une société raffinée, connue du sculpteur lui-même.

Il y a certainement d’autres œuvres à Vitré ou dans les environs qui pourraient  être attribuées à André Bonnecamp, ainsi les cheminées des châteaux des Nétumières (en Erbrée) et de Champeaux, ou la porte de l’église Notre-Dame (1586), avec saint Jean et saint André qui  prennent plus d’importance que Pierre et Paul (clin d’œil malicieux à son saint patron et à celui de son père ?). Ces œuvres dénotent de la part du père une bonne connaissance de l’Ecole de Fontainebleau.

Dans le climat artistique que connaissait Vitré depuis le XVIe siècle et compte tenu de son ascendance, on peut comprendre que le jeune Mathurin Bonnecamp ait pu avoir la chance, rare en Bretagne, de recevoir une vraie formation à la grande peinture, probablement dans l’orbite parisienne. Il est vrai que les marchands vitréens étaient accoutumés aux voyages, et que Vitré est la ville bretonne la plus proche de la capitale. Un premier tableau va nous permettre de suggérer un environnement prestigieux pour sa formation.

 

La seconde Ecole de Fontainebleau et « le Roi de la paix » (avant 1611)

Le tableau du Bon gouvernement (d’après une photocopie)

Le 29 octobre 2008 a été vendu chez Christie’s pour 7833,06 euros un tableau profane signé en bas à gauche de Mathurin Bonnecamp, en bon état et de belles dimensions (131 X 172cm), sous le titre d’Allégorie du Bon gouvernement. Ce tableau avait été mis sur le marché de l’Art le 6 décembre 2000 à l’Hôtel Drouot. C’est certainement une des premières œuvres de notre Vitréen, car le roi représenté fait évidemment penser à Henri IV (mort en 1610, comme chacun sait). Le choix du sujet, le recours à l’allégorie, les couleurs très vives et les attitudes maniérées nous renvoient à la seconde Ecole de Fontainebleau, qui s’exprime surtout dans les grands chantiers d’Henri IV, au Louvre, à Fontainebleau ou Saint-Germain-en-Laye. Toutes sortes de richesses, présentées par des soldats, affluent vers le souverain, vêtu à l’antique mais dépourvu d’armure. Celui-ci les renvoie aux classes laborieuses, de la paysannerie aux marchands.  A l’arrière,  un chantier rappelle que ce roi fut un grand bâtisseur (ne serait-ce pas le Louvre ?).  Ce tableau politique, voire courtisan, chante les bienfaits de la paix retrouvée et semble promettre partage et prospérité, ce qui était tout à fait l’ambiance en France après 1605.

Pour le thème et la manière, on pense au tableau célèbre de Jacob Bunel, montrant Henri IV victorieux mais abandonnant ses armes pour devenir le roi de la paix universelle.

Henri IV, roi de la paix, par Jacob Bunel, vers 1605

Jacob Bunel (1558-1614) est un des représentants les plus influents de la peinture de cour à la fin du règne d’Henri IV, plus tournée vers les Flandres que vers l’Italie. Comme il a été le maître du Tourangeau Claude Vignon (1593-1670), de trois ans plus jeune que Bonnecamp, on peut aussi imaginer pour celui-ci un encadrement de ce genre, car leurs peintures ont beaucoup de points communs, en particulier l’usage de rehauts pleins de vie.

Le choix d’un tel sujet témoigne aussi de l’ambition du jeune peintre vitréen, prêt à faire carrière dans l’orbite parisienne.

 

Retour à Vitré ?

La ville de Vitré

Que s’est-il passé entre la mort d’Henri IV et les années 1620 où nous trouvons Bonnecamp en activité autour de Vitré, à Moutiers et à Fougères ? A-t-il fait le voyage d’Italie comme tant d’autres ? Est-il resté dans l’orbite parisienne ? Nous n’avons aucun document sur les années 1610, sinon celui de l’enterrement de son père à Vitré en 1616, mais nous pouvons au moins assurer qu’il s’est marié, car nous entendrons parler plus tard de trois enfants ayant survécu d’un premier mariage, Nicolas, Marie et Gilette. Hélas, aucune trace de leur baptême dans l’une ou l’autre des églises de Vitré. On sait toutefois que jusqu’à la fin de sa vie, il conserva à Vitré une maison léguée par ses parents, « sous le bout des halles ».

 

Le tableau du Rosaire de Moutiers (vers 1620)

Vers 1620, soit plus de 10 ans après le tableau précédent, il fait un de nos plus anciens tableaux du Rosaire, dans la chapelle nord de Moutiers. Comme à Rannée, celui-ci est moins haut que large (130  X 151cm). L’attribution à Bonnecamp, qui n’a jamais été faite jusqu’ici,  est liée à ses points communs avec l’Adoration des Rois de Moutiers et la Descente de croix de Vitré, bien attestée.

Pour illustrer ces rapprochements nous pouvons comparer les têtes de Saint Dominique et de  Saint Jean à Vitré, l’attitude un peu mutine de Jésus ou les fleurs de lys des deux tableaux de  Moutiers. Si les rapprochements n’ont pas « sauté aux yeux », c’est surtout à cause de vernis différents. Rappelons qu’en 1620, Bonnecamp a tout juste trente ans, qu’il est maître de son art et qu’il n’a pas vraiment de rivaux autour de Vitré, où il habite alors vraisemblablement.

Saint Dominique et le lys (Rosaire)

Jean (Descente de Croix)

Lys (Adoration des Rois)

Jésus (Rosaire)

Jésus (Adoration des Rois)

Nous avons montré l’intérêt historique, voire théologique, de ce tableau du Rosaire, un des plus anciens, sinon le plus ancien, conservé en Bretagne (voir Moutiers/ Retables). C’est en tout cas le seul  à aligner, pour représenter le pouvoir temporel de l’Eglise catholique, d’abord l’empereur romain-germanique, puis le jeune roi de France et le roi d’Espagne, assez reconnaissables pour confirmer la datation de 1620. Il est étonnant qu’il n’ait pas fait l’objet de classement.

 

Le tableau de l’autel Saint-Georges ?

Quant au tableau presque carré de l’autel Saint-Georges à Moutiers (149 X 145cm), il serait  logique qu’à l’origine il ait été commandé à Mathurin Bonnecamp, s’il a fait celui du Rosaire. Le tableau actuel de la Descente de croix parait de loin (mais pas de près) une simple esquisse. Il ne peut être de lui, mais n’est-il pas troublant qu’il s’inspire de la même gravure qui a servi au tableau de Vitré dont nous allons bientôt parler ?  Cela donne à penser qu’avant même ce tableau de Vitré, Bonnecamp aurait pu faire celui de Moutiers, détérioré par la suite et remplacé par un autre du même modèle.

Gravure de Vorsterman (1620)

Tableau de l’autel Saint-Georges à Moutiers

Le Saint Georges à côté de cette scène, très délavé hélas, mérite d’être observé de près. La préciosité de son casque et du pommeau d’épée renvoient bien au temps de Louis XIII. De même l’inscription sur la petite banderole au-dessus du drapeau (« SANCTUS… »). A quel stade du tableau appartient-il ? Il est difficile de se prononcer, mais nous ne pouvons pas exclure l’idée qu’il serait le reste d’un tableau de Bonnecamp, avec une Descente de Croix inspirée de la gravure de Rubens.

 

Le retable de maître-autel de Saint-Léonard de Fougères (1622-1623, disparu)

La ville de Fougères et l’église Saint-Léonard

Quelque temps après le retable du Rosaire de Moutiers, Bonnecamp est invité à prendre en charge, pour la somme de 750 livres,  l’ « enrichissement du grand autel » de l’église Sant-Léonard de Fougères, selon le dessin qu’il a fourni. Il s’en occupera « tant pour l’architecture que estofe [décor] ». Il fournira « le tableau et tous les matériaux requis ».

Ses quittances sont datées du  8 novembre 1622 au 21 octobre 1623. Aux 750 livres s’ajouteront  « 7 grands écus de vin aux compagnons et  serviteurs» (archives de Saint-Léonard de Fougères, ADIV, 2 G 120/37).

Ce premier tableau connu de maître-autel devait être intégré dans un retable assez modeste au-dessous de la maîtresse-vitre car le grand autel fut refait de 1687 à 1691.

Registres des dépenses de Saint-Léonard,1623. 9678

Ce retable et le tableau ont disparu, mais le document nous apprend plusieurs choses sur notre peintre. D’abord il se fait appeler « sieur de Bonnecampt, maître en l’art de peinture », d’autre part, c’est lui qui gère l’ensemble du travail, enfin il a « des compagnons et serviteurs ». C’est donc un vrai chef d’entreprise, qui a conscience de son importance. Pour le maître-autel de Notre-Dame de Vitré, qui sera un marché de 3000 livres, Bonnecamp sera aussi chargé de l’intégralité de la commande. Du coup, on peut imaginer qu’il en a été de même pour le retable du Rosaire de Moutiers, et que c’est lui qui est allé chercher les frères Angeneau pour la réalisation du retable. Nous pouvons en conclure que notre Bonnecamp est l’introducteur des retabliers lavallois en Bretagne, avec les Angeneau à Moutiers et Martinet à Vitré…

 

L’établissement au Mans

Un acte du 23 septembre 1623 nous apprend que le peintre habite au Mans et qu’il se débarrasse au profit d’un cousin d’un jardin dans le val de Cantache, au pied du château de Vitré.

L’église de Gourdaine était au pied des remparts du Mans

Nous ne savons rien des raisons qui l’ont amené dans la grande ville du Maine, mais ce choix n’a rien d’étonnant car cette cité peut passer pour plus propice au travail que Vitré ou même Rennes.  Dès le début du XVIIe siècle, la cathédrale (la seule de la province alors que la Bretagne en compte neuf) s’est dotée d’un jubé très moderne. Des sculpteurs de terre cuite  sont renommés. Le principal est Gervais Delabarre, bientôt supplanté par Charles Hoyau.

Aucune œuvre de Bonnecamp ne subsiste dans les églises du Mans, dont plus de la moitié ont d’ailleurs été détruites avec la Révolution. On peut au moins être sûr qu’il avait reçu une commande importante à l’église de Notre-Dame de Gourdaine et qu’il avait collaboré avec Charles Hoyau, car il fait l’objet d’un compliment dans un Noël (sans date) composé pour cette paroisse.

Le sieur de Bonnechamps s’autorise /            ou plutôt :
De dire que Dieu favorise
Notre humanité fragile
Et qu’il veut en l’art de peincture
Et le sieur Oyau par sculpture
Crayonner son humanité

Le sieur de Bonnechamps s’autorise
De dire que Dieu favorise
Notre faible capacité
Et qu’il veut en l’art de peincture
Et le sieur Oyau par sculpture
Crayonner son humanité.

Ce texte est rapporté par l’érudit manceau Robert Triger,  et recopié plusieurs fois tel quel. Mais il est évident qu’il est erroné car le rythme d’octosyllabes et la rime ne sont pas respectés dans le troisième vers. Nous proposons à côté une version plus logique, sans aucune certitude. Le fait qu’il s’agisse d’un Noël laisse supposer que le tableau disparu de Bonnecamp traitait de la Nativité, qui sera un de ses thèmes favoris, comme nous allons le voir à travers deux tableaux, l’un à l’est et l’autre à l’ouest du Mans

 

Une première Adoration des Rois au Breil-sur-Mérize (vers 1623 ?)

Grâce aux photos des Editions Flohic, « Le patrimoine des communes de la Sarthe », tomes 1et 2, nous nous sommes lancés dans un début d’enquête à travers les églises du Haut-Maine.

La première peinture à voir était celle du Breil-sur-Mérize, à l’est du Mans, tant elle ressemblait à celle de Moutiers.

Le tableau du Breil (Flohic)

Le tableau de Moutiers

Ce tableau peint sur bois est actuellement suspendu dans la nef de l’église, mais il vient  de la chapelle du château de Pescheray. Sa mise en place dans l’église en 1997 s’est accompagnée d’une restauration qui n’a pu lui rendre toute sa fraicheur. Le vernis trop épais est victime de la brillance due à la fenêtre en face. Malgré cela, c’est une œuvre capitale car elle inaugure un cycle d’au moins trois Adorations des Rois.

Le Breil

Moutiers

Nantes

Ce tableau a une particularité qui va nous aider à le dater : le visage de Marie, qui nous regarde, n’a rien de « marial ». C’est certainement le portrait de la commanditaire, Marie de Raynier de Droué, qui a fait placer son blason au bas du tableau. Celle-ci avait des raisons de prendre cette place puisqu’elle s’appelait Marie, comme la mère de Jésus.

Marie de Raynier

Blasons d’Etienne de Vallée (le mari) et d’Isaac de Raynier (le père)

Mariée en 1618 ou 1619 avec Etienne de Vallée, seigneur de Pescheray, elle eut rapidement deux enfants, Isaac et Louise, mais le 12 septembre 1622 (selon les registres de la paroisse) elle apprenait la mort de son mari. Celui-ci, qui était capitaine de 100 hommes de pied,  était  lieutenant de Royan pour le roi depuis la prise de cette ville sur les Protestants en mai 1622. Il semble qu’il fut égorgé lors d’un soulèvement. C’est pourquoi le blason est entouré de la cordelette des veuves.

Le château de Droué

Ruines de la chapelle…

… et le château de Pescheray

Marie de Raynier était la fille d’Isaac de Raynier de Droué, qui achevait à Droué un magnifique château de style Louis XIII. On peut supposer que la chapelle dont on voit les ruines très pures fut faite sans tarder dans le même style pour recevoir le tombeau d’Etienne. Cette chapelle restait  tournée vers le levant selon la tradition mais les temps avaient changé : l’autel n’était plus dominé par une maîtresse-vitre mais par un retable avec notre tableau. Comme Marie de Raynier se remaria en 1632, on est sûr que le tableau fut fait avant cette date, mais il est probable qu’il fut commandé dès 1623 ou 1624.

Le Breil-sur-Mérize

Moutiers

Les comparaisons avec le tableau de Moutiers sont multiples, surtout du côté gauche où les positions de Marie, Joseph, l’Enfant et les rois Melchior et Gaspard sont les mêmes.

Le roi Balthazar

La principale différence vient du traitement du roi Balthazar. Avec quel bonheur tendre il se prépare à encenser l’Enfant, tandis que son page ranime la braise, dans un effet de clair-obscur avant-coureur de Georges de la Tour (mais sans doute hérité de l’Adoration des Rois de Rubens au Prado)…

Le fond du tableau avec la scène bien enlevée de la cavalcade et la position de l’étoile sont aussi à comparer. Mais également ce personnage au doigt levé qui a l’air d’avoir quelque chose à nous dire et qui pourrait bien être « le sieur de Bonnecampt » lui-même, comme à Moutiers…

Nous pouvons remarquer que la plupart des tableaux de Bonnecamp se passeront dans cette ambiance de demi-nuit qui permet au peintre de développer des paysages bleutés très pittoresques, à la mode en son temps.

 

La Nativité d’Amné-en-Champagne (à partir de 1623)

La notice accompagnant l’Adoration des Rois du Breil attribuait cette œuvre au « maître d’Amné ».  Amné est un village à l’ouest du Mans. Nous ne tardons pas à nous y rendre, et nous souhaitons ce bonheur à beaucoup, car c’est l’œuvre la plus délicieuse de notre peintre.

Vue d’ensemble

Le tableau nous attend dans la nef, suspendu en hauteur, mais son format tout en largeur nous laisse supposer qu’il servit de prédelle à un autel. Il était alors à hauteur de regard, ce qui s’imposerait, tant il est riche de détails. Comme celui du Breil, il est peint sur bois. Il semble aussi de même époque, quand on compare les rois David et Salomon avec Balthazar, ainsi que les deux visages possibles de Bonnecamp.

La partie centrale

C’est d’abord une Nativité pleine de fraicheur, avec les acteurs habituels, Marie en adoration, Joseph et son bâton et trois bergers. L’originalité, c’est que ce sont deux Anges qui s’occupent de langer le bébé. Parmi les bergers, on croit reconnaître à nouveau Mathurin en joueur de cornemuse…

L’Annonce aux bergers

Les Rois et l’étoile

En arrière-plan nous avons deux scènes nocturnes, d’un côté les Bergers qui reçoivent le message de l’Ange et de l’autre les Rois qui regardent l’Etoile. Derrière eux, la cavalcade avec ses chameaux et chevaux que nous trouvons dans les trois Adorations des Rois.

Mais c’est aussi toute une méditation sur le mystère de Noël, soutenue par six puissants personnages de la Bible, brandissant sur des tables des citations de la Vulgate, texte latin qui servait à la liturgie (on verra qu’il y a une exception). Le Moyen-Age nous a laissé beaucoup de représentations de ce genre, chargée de montrer que la venue de Jésus accomplit les prophéties, mais c’est beaucoup plus exceptionnel au XVIIe siècle.

Les trois personnages de gauche : Salomon, Isaïe, Moïse

On a ainsi, du côté gauche :

  • Pour Salomon, un extrait du Cantique  « VENIAT DILECTUS MEUD [IN] HORTUUM TUUM : Qu’il vienne, mon bien aimé, en son jardin ! »  (Cantique, 5,1).
  • Pour Isaïe, la fameuse prophétie : « ECCE VIRGO CONCIPIET ET PARIET FILIUM : Voici que la vierge concevra et enfantera un fils. » (Isaïe7, 14) ;
  • Dans la bouche  de Moïse, ce passage du Deutéronome : « PROPHETAM DE GENTE TUA ET DE FRATRIBUS TUI SICUT ME SUSCITABIT TIBI DOMINUS TUUS : Le Seigneur ton Dieu suscitera pour toi un prophète comme moi, issu de ton peuple et pris parmi tes frères » (Deutéronome, 18, 15).

David

Jérémie

Daniel

Du côté droit, l’interprétation est moins évidente

  • On a d’abord une promesse de Dieu à David : « DE FRUCTU VENTRIS TUI PONAM SUPER SEDEM TUAM : Le fruit de tes entrailles,  je le placerai sur ton trône » (Psaume 131,11).
  • Une nouvelle énigmatique révélée à Jérémie : « DOMINUS NOVUM SUPER TERRAM : FEMINA CIRCUMDABIT VIRUM : Le Seigneur a créé du nouveau sur la terre : une femme entourera un homme » (Jérémie, 31, 22). L’expression a été très tôt appliquée à la Vierge et Bossuet lui-même donne cette traduction «  Le Seigneur a créé une nouveauté sur la terre : une femme concevra un homme ».
  • Enfin un texte raccordé à Daniel 9,24, mais qui n’est pas dans la Vulgare : « CUM VENERIT SANCTUS SANCTEY [= sanctorum] VESTRA, CESSABIT UNCTIO VE[S]TRA : Quand viendra votre Saint des saints, votre onction cessera ». Ce verset, certainement mal recopié, est connu par un sermon contre les juifs d’un certain Quodvultdeus, évêque de Carthage contemporain de saint Augustin.  Il eut un grand succès au Moyen Age, signifiant aux Juifs que la venue du Messie ferait cesser leur royauté.
Pierre de Gabriel Pierre votive :

CY.GIST. LE. CORPS. DE.
NOBLE. ET. DISCRET. MISSIRE.
PIERRE.DE.GABRIEL.PRESTRE.
PRIEUR.ET.CURE.D’ICY.
DECEDE.LE.1.JUILLET.1653.

En bas à gauche, le donateur en prière, avec ses habits de chœur, a sans doute eu un rôle dans la mise en place d’une composition aussi riche. C’est le premier que nous rencontrons, en attendant ses confrères Mathurin Cornu à Poillé-sur-Vègre  et Renaud de la Hellandière à Moutiers. Il a sur eux l’avantage de porter au bras gauche l’aumusse des chanoines. Il s’agit de « noble homme Pierre Gabriel, prieur et curé d‘Amné » qui signe ainsi bien des actes dans les années 1613 à 1653. Il fait l’objet d’une inscription funéraire à l’entrée du chœur qui confirme que son prédécesseur est décédé le 9 septembre 1613 et lui le 1ierjuillet 1653. Bonnecamp, qui excelle dans l’art du portrait, a surement contribué à lancer cette mode très répandue dans les retables du Haut-Maine.

Les comptes de la fabrique d’Amné sont généralement conservés pour le XVIIe siècle, sauf entre 1616 et 1629… Nous n’en saurons donc pas plus pour ce tableau exceptionnel. Au moins peut-on être sûr qu’il est de Mathurin Bonnecamp, au regard des autres tableaux attestés. A noter que pendant longtemps Bonnecamp fut ignoré dans la Sarthe, car les chercheurs ne connaissaient de lui aucune œuvre de référence. Anetta Polenka-Cohin, ayant remarqué les affinités entre les tableaux des quatre églises du Breil-sur-Mérize, d’Amné-en-Campagne, de Poillé-sur-Vègre et de Courcelles-la-Forêt, baptisa cet auteur anonyme du nom de « maître d’Amné ». Ce n’était autre que Bonnecamp.

 

La Résurrection de Lazare de Poillé-sur-Vègre (1625)

Le choeur de Poillé-sur-Vègre

Date au bas du tableau

Nous restons dans l’orbite du Mans pour une œuvre qui porte la date de 1625. C’est dans l’antique église de Poillé-sur-Vègre, au sud-ouest du Mans. On la connaît aussi comme une œuvre du « maître d’Amné ». Elle est d’ailleurs sensiblement de même format que la Nativité d’Amné et servit elle aussi de prédelle à un autel. Elle est aujourd’hui en mauvais état et haut perchée au-dessus de l’arcade du bas de l’église. Une restauration et une meilleure situation la révéleront certainement comme un des plus beaux tableaux du grand Ouest sur un thème peu répandu.

Vue d’ensemble

Il s’agit de la Résurrection de Lazare, un des plus grands miracles du Christ, associé par saint Jean à sa Passion. La scène est très vivante avec un Lazare blême dont on achève d’ôter le suaire et qui va se lever, Marie Madeleine qui se tourne vers lui en posant comme au matin de Pâques et Jésus qui est resté dans son geste de résurrection. A gauche le groupe des apôtres. Derrière Jésus, Marthe avec des femmes et à droite le groupe hostile des Juifs. Un homme embarrassé  par leurs propos se tourne vers nous pour nous prendre à témoin.

Marie-Madeleine  Lazare

Les Juifs

Pour sa composition, Bonnecamp a certainement pris comme point de départ un tableu antérieur, connu par une gravure inversée. Ce tableau disparu mais plusieurs fois copié passe pour être d’Ambrosius Francken l’Ancien ((1544-1618).

D’après Francken l’Ancien

Le curé représenté en bas à gauche est probablement Mathurin Cornu, dont nous savons qu’il était en poste en 1618. Le peintre a su rendre son intelligence et sa bienveillance.

Le curé Mathurin Cornu

 

La Descente de croix de Notre-Dame de Vitré (entre 1624 et 1627)

Alors qu’il a bien commencé sa carrière au Mans, voici qu’on rappelle  Bonnecamp dans sa ville natale : il a été choisi pour être le maître d’œuvre du retable de l’autel majeur de Notre-Dame, l’église de son baptême.

Le 3 juillet 1624 c’est lui qui prend la responsabilité du chantier du grand-autel, marchandé « à 1000 escus, faisant 3000 livres ». Celui-ci sera réalisé sous sa conduite par le Lavallois Jean Martinet de 1624 à 1626. Le dernier paiement sera versé à Bonnecamp le 11 mars 1627 (registres de la paroisse).

L’entreprise était hardie, car c’était la première fois chez nous qu’on se lançait à dresser un retable de maître-autel de tuffeau et marbre. Notre peintre  en a fait le tableau, pièce maitresse d’un retable à cette époque, et pour  être sûr du succès, il s’est appuyé sur un modèle prestigieux, qu’avaient pu lui faire connaître ses relations parisiennes, ou les marchands vitréens. Depuis 1619 en effet, par privilège royal, les gravures de l’œuvre de Rubens étaient entrées sur le marché français.

Descente de Croix de Rubens à Anvers (1612)

Gravure de Vorsterman (1620)

Le retable a disparu mais le tableau a été conservé dans le chœur des moines de l’église Notre-Dame, légèrement rogné sur les bords au XIXe siècle (mesures actuelles, environ 320 X 230cm). Comme le retable sud de Moutiers, il s’inspire de la Descente de croix de Rubens, créée en 1612 pour la cathédrale d’Anvers, et diffusée par une gravure inversée datée de 1620 du Flamand Lucas Vorsterman (1595-1675), un jeune disciple de Rubens. C’est d’ailleurs une interprétation fastueuse, propre à éblouir les marchands vitréens.

Bonnecamp est en fait un des tout premiers en France à  reproduire sur les autels le maître d’Anvers, comme le confirme Alexis Merle du Bourg dans son livre « Peter Paul Rubens et la France ».

La Descente de croix de Mathurin Bonnecamp à Vitré (1626)

On remarque que Bonnecamp est assez fidèle à la gravure pour le dessin général, à défaut de l’être pour les couleurs qu’il ne connait pas. Il ne se trompe pas pour le rouge symbolique de Jean et pour le reste donne libre-cours à son goût pour les belles étoffes qui sont depuis longtemps une passion  vitréenne.

Comme son contemporain Vignon, il accentue volontiers le caractère oriental de la scène par un turban chamarré.

En même temps, sa peinture est très « française ». Ainsi le visage de Marie-Madeleine est beaucoup plus proche de celui de Sainte Cécile de Charles Hoyau à la cathédrale du Mans (1633) que du modèle de Rubens.

Lucas Vorsterma

Charles Hoyau

Mathurin Bonnecamp

D’autre part, Bonnecamp se  permet  des libertés par rapport à la composition qui sont le fruit de sa réflexion, en lien sans doute avec les commanditaires, sourcilleux par rapport à l’Evangile, dans une cité où la Réforme a été très active.

Les quatre femmes autour de Jésus

Ainsi l’ajout d’une femme à gauche peut venir du souci d’être plus  conforme aux récits évangéliques où Matthieu cite trois femmes en dehors de Marie, mère de Jésus, alors que Rubens n’en a mis que deux. Comme cette troisième femme a pris la place du récipient avec la couronne d’épine et le titulus, ce dernier est remis en haut de la croix. On peut aussi imaginer que Bonnecamp a relu la Descente de croix d’Anvers en la confrontant à celle de Lille (vers 1617) puisque nous trouvons également dans celle-ci la troisième femme, le titulus en haut de la croix et l’homme au turban…

Descente de croix de Lille

Autre ajout propre à Bonnecamp : il contourne la tête de la Vierge d’une fine auréole. C’est un détail important car nous retrouverons exactement le même dans La Montée au calvaire de Courcelles-la-Forêt et dans l’Adoration des Rois à Moutiers.

L’auréole de Marie à Vitré…

… à Courcelles-la-Forêt

… à Moutiers

Le fait que le tableau de Vitré ait été longtemps la seule œuvre connue de Bonnecamp en Ille-et-Vilaine l’a desservi, car on y a vu un simple imitateur de Rubens, donc sans originalité. Le dossier mérite aujourd’hui d’être repris. A cette époque, la copie d’une œuvre célèbre a pu faire partie du marché avec le clergé.

 

Le portement de croix de Courcelles-la-Forêt (vers 1628)

Vue générale

Dans notre essai de chronologie, nous tenons compte, sans certitude, d’un évènement heureux dans la vie de Bonnecamp. Le 8 juin 1628, il se remarie en l’église Notre-Dame de Gourdaine avec « honneste fille Jeanne Bernier » (et non Françoise comme on le répète depuis Robert Triger). Nous ne serions pas étonnés qu’il ait fait poser sa jeune femme pour Véronique. C’est encore un tableau d’une grande générosité, qui mérite une longue contemplation.

Le groupe central

Plusieurs groupes se partagent l’espace, mais la partie centrale est occupée par  Jésus et sa croix,  Il nous regarde intensément, mais comme si cela ne suffisait pas,  Véronique  dédouble sa face. Son visage esquisse un étonnant sourire de Joconde, en signe de réconfort.  Derrière, deux bourreaux brandissent un fouet de cordes et une massue pour faire se relever le condamné. Des femmes pleurent. Joseph d’Arimathie attend et médite.

Autour de Marie

Vers le Golgotha

A gauche, la Mère effondrée est entourée de Jean et des trois Marie. Des hommes suivent sur leurs chevaux. Comme dans La Descente de Croix de Vitré et L’Adoration des Rois de Moutiers, Marie est la seule à être marquée d’une auréole, très fine.

En avant du Christ, les deux larrons sont précédés par une longue foule armée qui gravit la colline, où s’affairent quelques silhouettes à creuser les trous des croix. La nuit va tomber sur un paysage romanesque comme Bonnecamp en a le secret.

Les blasons

Ce tableau en « cinémascope » est marqué du blason d’un couple, un Froulay de Tessé et son épouse, à chercher dans la décennie 1620. Nous ignorons s’il vient d’une chapelle à l’extérieur ou à l’intérieur de l’église. Le curé du temps s’appelait Marin Bidaine (1602-1645).

 

L’Adoration des Rois de Moutiers (à partir de 1627)

La comparaison avec les tableaux de Breil-sur-Mérize et de Vitré nous permettent d’attribuer facilement à Bonnecamp celui du maître-autel de Moutier. Le premier a manifestement servi de modèle et dans le second nous trouvons de grandes affinités de style, en particulier la façon de l’auréole de la Vierge.

Il est postérieur de quelques années à celui de Vitré puisque  le recteur Renaud de la Hellandière qui l’a commandé n’entre en fonction qu’en 1627. Ce prêtre riche et cultivé n’a pu manquer d’admirer le tableau de Vitré et son retable. Il sait par ailleurs que Bonnecamp a déjà fait pour Moutiers le tableau extraordinaire du Rosaire.  Il n’a pas dû tarder à le contacter pour mettre au goût du jour l’église où il va finir sa vie.

L’Adoration des Rois de Moutiers (vers 1630)

Cette Adoration des Rois est donc aussi un tableau de maître-autel précoce, assez imposant (230 X 180cm). Il a la chance d’être resté en place, même si le retable a été complètement refait un siècle plus tard. On y trouve la même générosité qu’à Vitré pour  bien remplir la toile, le faste des étoffes, la rutilance des couleurs, la vigueur des rehauts, et en fin de compte la capacité à donner une vraie seconde vie, très personnelle, et bien française,  à ses sources

Bonnecamp s’inspire nettement de son tableau du Breil-sur-Mérize, mais avec une plus grande maturité. On retrouve en particulier, en avant-plan de la cavalcade des chameaux et des chevaux, le groupe d’hommes en train d’échanger. Il y a toujours à droite ce personnage qui nous regarde et pourrait bien être Bonnecamp. Face à lui les trois hommes pourraient évoquer l’Europe, l’Asie et l‘Afrique, actualisant la symbolique des Mages.

La Sainte famille et les rois Melchior et Gaspard sont groupés comme au Breil. On note une ressemblance de Marie avec la Véronique de Courcelles, qui pourrait venir du même modèle, Jeanne Bernier. Quant à Joseph, son attitude pensive et comme détachée n’est pas sans rappeler l’Adoration des Rois  de 1628 de Philippe de Champaigne (musée Tessé au Mans), inspirée elle aussi de Rubens. Son visage est très réaliste.

Mais Bonnecamp enrichit son œuvre antérieure de deux références prestigieuses.

  • C’est d’abord un emprunt très net au Roi Balthazar et ses deux pages du tableau de Rubens au maître-autel de Saint-Jean de Malines (1617), et cette fois la gravure n’est pas inversée comme à Vitré. Bonnecamp a peut-être été frappé des connivences de son premier tableau avec celui de Rubens et il les accentue ici.

 

Adoration des Rois de Rubens (Maline)

  • A l’avant-plan à gauche, il introduit un thème symbolique, avec des Anges offrant des fleurs christiques, empruntés à la Sainte Famille du maniériste Hans Von Aachen (1552-1615).

De l’autre côté le portrait très impliqué du commanditaire, Renaud de la Hellandière paraît très plaqué, mais cela ne choquait pas à l’époque. Il regarde sa communauté, l’invitant à méditer l’évènement. On comprend mieux ici, grâce à la croix du tabernacle, la position du curé.

Tel quel, c’est un tableau très achevé (voir Moutiers / Retables), et toujours en place, qui fait honneur à Mathurin Bonnecamp et Renaud de la Hellandière. Il mérite d’être regardé longuement, ne serait-ce que pour se rendre compte de la fumée qui s’échappe de l’encensoir de Balthazar…

St Joseph

L’homme au chapeau rouge

Renaud de la Hellandière

L’encensoir de Balthazar

 

 

L’Adoration des Rois de la cathédrale de Nantes (vers 1635)

Mais il y a mieux encore. Bonnecamp est également appelé à la Nantes pour une commande prestigieuse. Rien de moins qu’une troisième Adoration des Mages ! Et même, il en revendique cette fois la composition. On croit déchiffrer en effet tout en bas « Bonnecamp / pinci  in[v]ento, qui peut se comprendre « Je l’ai peint sans modèle »).

L’Adoration des Rois de Nantes (vers 1635)

Très grande (395 x 265cm), cette toile orne aujourd’hui la salle capitulaire de la cathédrale. On sait qu’au XIXe siècle elle se trouvait dans la chapelle Saint-Jean-Baptiste en haut du bas-côté nord, mais la grandeur et le thème très central de ce tableau, qui n’a rien à voir avec le Baptiste, donnent à rêver. S’il ne vient pas de l’ancien maître-autel de la cathédrale de Nantes, confié à Charles Errard, on peut imaginer qu’il fut commandé pour l’autel de la Vierge dans le transept, beaucoup plus accessible pour le commun des mortels. Commande prestigieuse pour notre Vitréen, qui se serait obligé à ne pas copier.

L’image est traversée par un grand faisceau lumineux venu de l’étoile, supposée assez loin du tableau. Celui-ci met en valeur la Vierge et l’Enfant, ainsi que le vieux Roi et le Roi noir, d’ailleurs très proches de ceux du Breil et de Moutiers. Mais faute de connexion entre les deux Régions de Bretagne et des Pays de Loire, le rapprochement des trois Adorations des Rois n’a jamais été montré.

Le Breil-sur-Mérize

Le tableau de Moutiers (vers 1630)

Le tableau de Nantes (vers 1635)

On retrouve aussi, dans le ciel cette fois, le thème des Anges avec des lys et autres fleurs symboliques, avec en plus un Ange qui offre à l’Enfant la couronne du Roi des Rois. On voit que d’année en annéesle peintre cherche à avancer, à trouver des idées nouvelles. En tout cas, il ne se répète jamais.

Tableau de Moutiers

Tableau de Nantes

Ce tableau bien placé a sans doute assuré la notoriété de Bonnecamp. Le maire de cette ville de 1634 à 1636, André Dubot, lui commande en effet deux portraits, pour lui et sa femme, aujourd’hui disparus. Il y fait aussi le portrait du peintre Gérard Melier, disparu également.

Cet emplacement très visible expliquerait aussi que l’Angevin Nicolas Lagouz ait pu reprendre dès 1636 l’idée très originale du faisceau lumineux pour son Adoration des Rois à Beaufort-en-Vallée.

Le tableau de Beaufort-en-Vallée

Il faut reconnaître que dans son état actuel, l’œuvre de Nantes est moins rutilante que le tableau de Moutiers (elle est aussi desservie par la brillance due aux fenêtres en face). Sur la droite, le traitement de Balthazar, si présent dans les tableaux du Breil et de Moutiers,  est très  suspect : celui-ci ne montre qu’un bras et n’a pas de page derrière lui. Surtout, il n’a même pas d’encensoir ! Son vêtement est d’un blanc très lumineux qui lutte sans raison avec le faisceau de lumière. On a l’impression que l’œuvre a été rognée des deux côtés, mais surtout sur la droite, probablement pour l’introduire dans la chapelle Saint-Jean-Baptiste. C’est ce qui aurait obligé à mutiler le deuxième Roi et à le reprendre maladroitement. Par ailleurs, la signature semble avoir été recopiée bizarrement. Il faudrait une étude plus poussée, et surtout une bonne restauration.

Ces réserves n’empêchent pas ce grand tableau d’être promis à devenir le plus connu de Mathurin Bonnecamp, et comme un couronnement de toute sa démarche… en attendant d’en trouver d’autres.

 

Une fin de carrière mystérieuse (1635-1655 ?)

A partir de cette œuvre qui aurait dû assurer sa renommée, Mathurin Bonnecamp nous échappe…  Au moins avons-nous une idée de la date de sa mort.

Deux actes signés au Mans le 20 février et le 9 mars 1655 sont en effet rapportés dans le Dictionnaire des artistes et artisans manceaux (1899). Ils concernent la succession  de Mathurin Bonnequant. Les protagonistes en sont les deux enfants survivants de son premier mariage, ainsi que le fils d’un troisième. Il s’agit de Nicolas « bourgeois de la ville d’Angers, y demeurant paroisse Saint-Pierre » ; de Marie, femme de maître Jacques Duval, sieur de la Rivière, avocat au Mans ; enfin de François Juston, marchand à Vitré, le neveu des deux autres, fils de Gilette décédée.

Le 20 février 1655, devant maître Mathurin Bérard, notaire au Mans, a eu lieu un partage entre Nicolas et Marie Bonnecamp, assistée par son mari Jacques Duval, au terme de quoi Nicolas a hérité de la maison conservée par Mathurin Bonnecamp à Vitré, « sous le bout des Halles ».

Le 9 mars suivant, devant  Jean de Labbaye, notaire au Mans, Nicolas  vend cette maison à son neveu François, resté à Vitré, pour 1000 livres. Celui-ci récupère près de la moitié de cette somme auprès de Jacques Duval, l’époux de Marie, en faisant valoir que ses parents ont hébergé celle-ci à Vitré pendant quatre ans et demi, moyennant une pension de 110 livres par an qui n’a jamais été payée.

De ces litiges familiaux, on peut au moins faire quelques suppositions sur Mathurin Bonnequant. En ce début de 1655, il vient vraisemblablement de mourir (mais on ne retrouve son acte de décès dans aucune paroisse du Mans). Il avait conservé une maison à Vitré (mais les registres n’y ont pas non plus enregistré son décès). Ses descendants sont éparpillés entre Angers, le Mans et Vitré, mais ils ne sont pas issus de Jeanne Bernier, sa seconde épouse de 1628 (et qui sera inhumée le 14 mars 1661 au Mans, paroisse de Gourdaine, sous le nom de Jeanne Bernay), car il ne serait pas possible qu’elle ait pu en 1655 avoir un petit-fils en âge d’acheter une maison. On constate aussi qu’aucun n’a suivi sa voie de peintre.

Mais alors, s’il s’écoule presque 20 ans entre les derniers tableaux connus, à Nantes, et sa mort en 1655, qu’a pu faire Bonnecamp pendant tout ce temps ? Pourquoi une carrière bien jalonnée jusqu’ici semble-t-elle s’arrêter ? Est-ce la maladie, un changement de région, quoi encore ? En ces temps incertains où rodent les épidémies, on peut craindre le pire … jusqu’à une prochaine découverte.

 

Les glaces de l’oubli

Comme tant de peintres du XVIIe siècle, Bonnecamp  tombe rapidement dans un long oubli. Un grand livre sur Vitré et son patrimoine en 2010 ne lui consacre pas une ligne. L’Adoration des Rois de la cathédrale de Nantes fait l’objet d’une photo en pleine page dans le livre récent de la Nuée bleue, mais Bonnecamp y passe pour un peintre nantais, car on ne lui connait aucune autre œuvre ailleurs. Quant au Maine, dans les communes possédant de ses œuvres, il passe toujours pour le « maître d’Amné »… De la sorte, le tableau allégorique sur Henri IV ne mobilise personne du grand ouest lorsqu’il est vendu pour moins de 8000 euros et Vitré laisse partir le portrait d’un bourgeois de sa ville des années 1620 sans s’interroger sur son auteur.

Henri VI
roi de paix
131 x 172 cm

Rosaire
de Moutiers
131 x 150 cm

Adoration des Rois
Le Breil-sur-Mérize
Environ 180 x 130 cm

Nativité
Amné-en-Champagne
Environ 140 x 220 cm

Résurrection de Lazare
Poillé-sur-Vègre
Environ  130 x 200 cm

Descente de Croix
de Vitré
320 x 230 cm

Portement de Croix
Courcelles-la-Forêt
Environ 115 x 230 cm

Adoration des Rois
de Moutiers
230 x 180 cm

Adoration des Rois
de Nantes
395 x 265 cm

Notre vœu serait qu’une exposition réunisse ces huit tableaux d’église, les deux de Moutiers et ceux de Vitré, de Nantes et des alentours Mans. Celui d’Henri IV, œuvre ambitieuse de jeunesse, serait aussi vraiment bienvenue.  Cela vaudrait la peine d’attirer l’attention sur ce grand peintre vitréen oublié, car la qualité et l’aisance de sa peinture sont assez uniques chez nous et  il serait bien étonnant qu’il n’y ait pas d’autres œuvres à découvrir, en particulier du côté du Mans, de Nantes ou d’Angers, voire de Paris. Par exemple des portraits comme ceux de Pierre de Gabriel, Mathurin Cornu ou Renaud de la Hellandière, ou même d’autres tableaux d’églises, car ce fut le grand temps des retables.

En tout cas, il aurait mérité de prendre place dans l’exposition « Contemplations » (2017, Saint-Malo). On a pu y admirer huit œuvres remarquables conservées dans des églises d’Ille-et-Vilaine,  mais leurs auteurs étaient tous étrangers, tandis que lui est bien de Bretagne. Le fait qu’après une formation maniériste, il ait adapté à la France quelques œuvres de Rubens ne le disqualifie pas. C’est juste la preuve que lui ou les commanditaires avaient bon goût. Mais par ailleurs on voit qu’il était parfaitement capable d’inventer, et même avec facilité, car jamais il ne se copia vraiment.


 

Sources :

  • Registres de Baptêmes, Mariages, Sépultures de Vitré, du Mans, d’Amné, etc.
  • Fichier Bourde de la Rogerie
  • Paris-Jallobert, Journal de Vitré
  • Dossiers du Musée de Vitré (Arthur de la Borderie, photocopie de 2003 du tableau d’Henri IV …)
  • Maud Hamouri, La peinture religieuse en Bretagne aux XVIIe et XVIIIe siècles
  • La grâce d’une cathédrale, Nantes, éd. La Nuée Bleue
  • Alexis Merle du Bourg : Peter Paul Rubens et la France
  • Voir aussi la fiche de l’église de Moutiers / Retables

Remerciements

  • aux Musées de Vitré et de Tessé au Mans,
  • à toutes les personnes de communes concernées qui ont facilité l’accès aux œuvres,
  • à Maud Hamoury pour la Bretagne, Anetta Palonka-Cohin pour le Maine et Pierre Curie  pour Nantes.
  • à Yann Béguin pour le mise en page sur ce site

Contact

Roger Blot, 02 99 36 07 77 (heures des repas)