La conception de l’exposition

Cette exposition est le fruit d’un long travail rassemblant historiens, scénographe, muséographe et archivistes. Elle fait plonger le visiteur au cœur de la Seconde Guerre mondiale à Rennes d’abord, meurtrie par de violents bombardements, en Allemagne ensuite, dans le camp du Service de Travail Obligatoire de Zella-Mehlis, et, enfin, dans l’abominable camp de concentration de Mauthausen. Rencontre avec trois protagonistes de cette exposition : Marc Bergère et Samuel Gicquel, historiens, et Éric Morin, scénographe.

Pourquoi avoir choisi de re-situer Marcel Callo au cœur de l’Histoire ?

Pour la simple et bonne raison que sa vie, son message et le sens même de son engagement chrétien y prennent tout leur sens. Sans parler de la complexité de la période concernée qui requérait l’éclairage de la science historique. C’est, précisément, à travers l’objectivité même des faits et la singularité des événements uniques qui ont marqué son existence temporelle qu’un saint nous parle du Seigneur, qu’il nous montre l’œuvre de ce Dieu qui s’est fait chair et qui, loin de l’indifférence des divinités païennes, est venu en Personne habiter la tourmente de toutes les guerres, de toutes les déportations et de toutes les exterminations pour y faire sourdre miraculeusement l’inextinguible mélodie de la Lumière éternelle.

Thomas Gueydier, Postulateur de la cause, coordinateur du Centenaire
Marc Bergère Professeur en histoire contemporaine, Université Rennes 2 / Tempora

La posture
d’une « résistance spirituelle »
de Marcel Callo

Quelles sont les caractéristiques de cette époque des années 40, celle de la Seconde Guerre mondiale ?

La question est très vaste. Si l’on parle du poids de la guerre sur le quotidien des rennais, on peut néanmoins dégager quelques faits marquants. D’abord, l’afflux massif des réfugiés en mai-juin 1940 qui fait doubler la population de la ville de Rennes et révèle, aux yeux des habitants, l’ampleur de la défaite. Avec l’occupation qui s’installe, c’est ensuite la présence allemande qui est particulièrement visible dans les villes bretonnes et sur le littoral. Une omniprésence qui pèse sur les conditions de vie matérielles des populations avec son lot d’interdits, de pillages et de réquisitions. Nul doute que le ravitaillement et les pénuries constituent alors une des préoccupations majeures des citadins, notamment dans les milieux populaires. Enfin, la capitale bretonne est particulièrement touchée par des bombardements meurtriers et destructeurs, en 1940 d’abord puis surtout en 1943-1944. Face à cette menace, près de 20 000 rennais évacuent la ville début juin 1944.

Comment Marcel Callo se situe-t-il dans cette époque ?

Jeune ouvrier typographe au début de la guerre, Marcel Callo voit sa vie sociale et personnelle bouleversée par le conflit. Outre la poursuite de ses engagements militants à la tête de la section JOC Saint-Aubin, la période est marquée par sa rencontre avec sa fiancée, Marguerite, en 1941. Tout s’accélère pour lui en mars 1943 lorsqu’à quelques jours d’intervalle, il perd sa sœur Marie-Madeleine dans le bombardement du 8 mars puis fait le choix de partir au STO (Service du Travail Obligatoire) le 19 mars. Une double rupture dont on sait, aujourd’hui, qu’elle va sceller son destin.

Sortie familiale des employés de l'imprimerie Provinciale de Rennes où le Bx Marcel Callo travaillait comme apprenti typographe
Affiche du STO (Service du Travail Obligatoire)

D’un point de vue historique, quelle est l’originalité du parcours de Marcel Callo ?

Sur le plan historique stricto sensu, le parcours de Marcel Callo est intéressant à plus d’un titre. Son départ au STO témoigne d’une expérience sociale largement partagée puisque 650 000 requis français sont envoyés en Allemagne durant le conflit. Ce faisant, malgré ces départs massifs, la réquisition de main d’œuvre est immédiatement et largement rejetée. La question du choix entre obéir à la réquisition ou s’y soustraire focalise donc l’attention.
À cet égard, l’attitude de la hiérarchie catholique vis-à-vis du STO a fait l’objet de débats, d’autant que Vichy souhaitait faire de l’Église un pilier et relais de son régime. Par sa volonté de partir comme « missionnaire », Marcel Callo témoigne également d’une conscience ouvrière qui n’est pas sans faire écho aux préoccupations affichées par l’abbé Godin en 1943 dans son livre La France pays de mission ?
On sait aujourd’hui que cette Action catholique auprès de ses camarades français du STO a constitué le seul motif de son arrestation (19 avril 1944), puis de sa déportation en camp de concentration (Mauthausen, 25 octobre 1944). Réalité assez peu connue, le sort de Marcel Callo est commun à près de 7 000 français arrêtés par mesure de répression sur le territoire du Reich alors qu’ils y étaient arrivés comme travailleurs civils ou prisonniers de guerre. Il s’inscrit surtout dans une vague de répression qui frappe au même moment plusieurs dizaines de militants de l’Action catholique, comme lui, avec pour horizon la déportation pour tous.
Dès lors, la nature profonde de son engagement et de celui de ses camarades permet également aux historiens de questionner la notion de « résistance spirituelle ».

L’engagement d’apôtre laïc de Marcel Callo

Comment caractériser la vie religieuse à l’époque de Marcel Callo ?

Dans la Bretagne de la première moitié du XXe siècle, la distribution des sacrements et l’assistance aux offices paroissiaux demeurent au cœur de la vie religieuse. Mais de nouvelles formes d’apostolat émergent à partir de la fin du XIXe siècle. Les œuvres à caractère social et les patronages se multiplient. Puis, dans l’entre-deux-guerres, le développement des mouvements remodèle le paysage religieux. Le scoutisme catholique, par exemple, naît au lendemain de la Première Guerre mondiale et, à Rennes, la première troupe de Scouts de France est créée en 1924. Les années 1920 sont également marquées par la naissance des principaux mouvements d’Action catholique spécialisés : la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) est fondée en 1925 et la Jeunesse agricole catholique (JAC) en 1929.

Samuel Gicquel, Enseignant-chercheur en histoire contemporaine, Université Rennes 2
Drapeau de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne)

Quel est l’engagement religieux de Marcel Callo ?

L’itinéraire personnel de Marcel Callo est profondément lié à ces mouvements. Il a fréquenté la Croisade eucharistique (l’ancêtre du MEJ), a été scout, puis a intégré la JOC quand a débuté son apprentissage comme ouvrier typographe. C’est surtout ce passage par la JOC qui marque son itinéraire. Marcel Callo s’investit sans compter dans la section de Saint-Aubin et en devient le président en 1938, alors qu’il n’a que 17 ans. Au sein de cette section, il organise des cercles d’études et crée des concours de jeux pour ses compagnons, avec l’objectif de travailler au développement de la fraternité dans le monde ouvrier. Et les discours qu’il adresse à ses camarades jocistes portent la trace de l’espoir en un monde meilleur, fondé sur les valeurs évangéliques. « C’est surtout l’amour et la charité qui nous feront voir dans nos compagnons des frères dans le Christ », affirmait-il.

Compte tenu de la spiritualité de l’époque, comment appréhender l’originalité de son statut de laïc ?

Au cours de sa jeunesse, Marcel Callo est amené à s’interroger sur la nature de son engagement : son frère aîné, Jean, a choisi la prêtrise et sa mère lui propose de faire de même, en 1938. D’après son biographe, le RP Jégo, sa réponse fut sans ambiguïté : « Je ne me sens pas appelé au sacerdoce : je crois que je ferai plus de bien dans le monde », lui dit-il. Marcel Callo se considère comme un apôtre laïc, ce qui transparaît de nouveau avec force, quelques années plus tard, lorsque à l’occasion de son départ au STO il affirme partir « comme un missionnaire ». Marcel Callo incarne parfaitement un nouveau type d’apostolat, qui émerge dans la première moitié du XXe siècle : l’évangélisation par les pairs, qui est l’un des piliers de l’Action catholique. De ce fait, au lendemain de sa mort, il est rapidement présenté en exemple à la jeunesse catholique, ce qui participe à son rayonnement posthume.

Affiche du STO (Service du Travail Obligatoire)

L’enjeu de la scénographie
est de mettre en exergue
l’engagement et la foi de Marcel Callo

Quelle méthode avez-vous adoptée pour concevoir la scénographie ?

Le projet scénographique du mémorial dédié à Marcel Callo, a été conçu en articulant les contenus muséographiques et les caractéristiques architecturales des espaces de la basilique Saint Aubin.
À partir du synopsis, rédigé par les historiens Marc Bergère et Samuel Gicquel, nous imaginons un parcours mémoriel jalonné de cinq stations chronologiques. Les deux premières correspondent à la jeunesse de Marcel Callo et à sa vie pendant l’Occupation, elles se situent à Rennes. La troisième section est celle de son départ en Allemagne dans le contexte du STO. La quatrième est celle de sa déportation et de son décès, le 19 mars 1943, à Mauthausen. La cinquième section aborde la postérité de Marcel Callo.
Le parcours muséographique est implanté autour de la nef de la basilique, il est composé de cinq grands mobiliers ou chacune des sections est abordée à partir de textes, de photographies et de dispositifs audiovisuels. Chaque séquence met en parallèle le contexte historique et la biographie de Marcel Callo en proposant différents niveaux de lecture.

Quels sont les partenaires pour ce projet ?

Ce projet a été mené de manière collégiale, sous la direction de Monsieur Thomas Gueydier, en collaboration avec Laurence Chabot, muséographe, et les historiens Marc Bergère et Samuel Gicquel. Yannick Le Cam, de l’agence Rodhamine, nous accompagne en tant que graphiste. L’agence Aura est en charge de la conception de l’éclairage du mémorial.

Panneau Enfance

À titre personnel, compte tenu du personnage et de la thématique, est-ce que ce projet vous a été difficile ? Vous a-t-il apporté quelque chose ?

J’aborde chacun des projets scénographiques sur lesquels je travaille de manière spécifique. À travers celui-ci, nous avons défini un fil conducteur qui consiste à mettre en exergue l’engagement et la foi de Marcel Callo tout au long de sa vie, quel que soit le contexte. Face aux circonstances de sa vie privée ou aux événements tragiques de la guerre, je comprends que c’est toujours le sens de cet engagement qui l’a guidé.