Le christianisme social s’interroge sur sa mutation

Vers le christianisme social, conférence
La table-ronde à Rennes le 9 décembre 2022

Une table-ronde « Vers le christianisme social » a été proposée par Les Amis de La Vie le 9 décembre 2022 à Rennes. Les intervenants ont illustré le riche passé de cette dimension du christianisme puis ont évoqué la question de son avenir dans l’Église.

Propos recueillis par Yann Béguin

Il était particulièrement pertinent de poser cette question en Ille-et-Vilaine ! Notre département s’illustre en effet par une histoire religieuses nourrie de catholicisme social. Qu’on pense à l’importance, dans les campagnes, de la JAC (Jeunesse Agricole Chrétienne) ou à Rennes de la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne), à l’origines de l’engagement de nombreuses personnalités politiques ou syndicales de notre région.

Le christianisme social

Le christianisme social englobe les 3 religions chrétiennes : l’orthodoxie, le protestantisme, le catholicisme. Il naît au 19e siècle en réaction au capitalisme outrancier qui génère beaucoup de misère et éloigne la classe ouvrière de la pratique religieuse. Son socle, pour les chrétiens des 3 confessions, c’est l’Évangile. Le terme de christianisme social correspond plutôt à la branche sociale du protestantisme.

Pour l’Église Catholique, on parle de catholicisme social. Il a pour appui des encycliques, de Rerum Novarum à Fratelli Tutti, bases de la Doctrine sociale de l’Église.

EN SAVOIR PLUS :

https://www.doctrine-sociale-catholique.fr/

Action catholique, patros : le christianisme dans la vie !

Deux témoins de la soirée ont rappelé cette histoire locale. Gaby Bonnand, syndicaliste (ancien permanent national CFDT, ancien président de l’UNEDIC), a découvert dans la JOC – dont il fut aussi le président au niveau national – une action sociale inspirante, « plus concrète » que les rêves « de grand soir révolutionnaire » de certains de ses amis de l’époque. Béatrice Châteaugiron a participé à l’engouement pour « les patros » : dans son village d’Ille-et-Vilaine, un prêtre a développé un club de sport, cinéma, voyages. Jeune participante, à 16 ans elle y prend des responsabilités. Aujourd’hui elle s’y investit toujours et s’engage au CMR (Chrétiens en Monde Rural) et en tant que présidente bénévole d’une ADMR. « C’est le christianisme dans la vie » s’est-elle exclamé ! « La foi m’a permis d’être attentive aux autres, d’aller au-delà de moi-même. »

VOIR PLUS BAS : les interviews sur RCF Alpha des quatre intervenants

Pour Christian Reecht, ancien trésorier national de la JOC et délégué diocésain de la Mission Ouvrière, c’est aussi sa jeunesse dans la JOC qui l’a conduit à continuer son engagement en tant qu’adulte dans l’Eglise et les quartiers populaires de Rennes.  « Sur le Blosne, il s’agit d’abord être présent, par l’écoute et l’accompagnement des jeunes. » Il a cité par exemple l’action « Porteur de la parole » où les membres du mouvement ont réalisé des micros-trottoirs auprès des habitants, ou encore la plantation de « l’arbre de la fraternité » avec les autres religions présentes dans le quartier.

Des nouvelles pistes : écologie, fraternité…

Thierry Soubeyran a expliqué sa vision du chef d’entreprise, porté par sa foi protestante. Membre des EDC (Entrepreneurs et Dirigeants Chrétiens), il préfère dire que « la richesse de l’entreprise ce sont ses salariés » et témoigne du souci quotidien que les décisions soient prises de façon collective. Il conclue : « La prise en compte de l’environnement, c’est l’avenir du christianisme social. »

Effectivement, des nouvelles pistes s’ouvrent désormais au « christianisme social » – même si on ne l’appelle plus comme cela – en s’appuyant sur la Doctrine sociale de l’Eglise et les défis du monde actuel. « L’engagement des chrétiens peut encore interpeller la société, où il y a globalement une perte de sens, mais les moyens sont différents aujourd’hui » suggère le syndicaliste. Outre l’écologie, certains remarquent « un bouillonnement » sur la synodalité, l’attention aux plus petits, la fraternité. « Les jeunes veulent s’engager mais nos modes d’organisation ne correspondent pas forcément à leurs aspirations » constate un intervenant tandis qu’un autre suggère justement de « travailler la responsabilité personnelle en rapport à l’engagement collectif. »

La riche histoire du christianisme social

VOIR PLUS BAS : le diaporama du père Jean-Claude Lemaître, en version courte et longue

La soirée a commencé par rappel historique. Le père Jean-Claude Lemaître, lui-même aumônier de plusieurs mouvements d’Action catholique, a évoqué les précurseurs comme le breton Félicité de Lamennais (1782-1854), à l’époque où le catholicisme était majoritairement fidèle au pouvoir étatique et essentiellement conservateur sur le plan politique. Le tournant sera l’encyclique Rerum novarum du pape Léon XIII en 1891. L’Église s’y place désormais dans une position critique, tant vis-à-vis du socialisme collectiviste que du libéralisme individualiste

L'abbé Trochu, patron de presse

En Ille-et-Vilaine, les « abbés démocrates » s’illustreront par une action apostolique doublée d’œuvres sociales et économiques : l’abbé Louis Bridel, créateur de coopératives ouvrières à Fougères ; l’abbé René Mancel, à la tête du syndicat des cultivateurs-cultivants à Bain-de-Bretagne ; l’abbé Félix Trochu co-fondateur en 1899 à Rennes du quotidien LOuest-Eclair qui deviendra Ouest-France.

 

Le pape Pie XI
Le pape Pie XI

La première moitié du 20e siècle verra la naissance de l’Action catholique, validée en 1931 par le pape Pie XI. Tous les champs sociaux sont investis et un glissement politique se fait progressivement vers la gauche. Les mouvements sont florissants et créatifs. Les premières colonies de vacances sont créées… à Saint-Malo. La bienheureux Marcel Callo engagera son témoignage de foi jusqu’à la mort pendant la guerre 39-45. Cette période se clôt par le Concile Vatican II (1962-65) où l’Église prend acte de la sécularisation des sociétés développées. Naissent alors de nombreuses associations Caritatives comme le Secours Catholique, les Équipes St Vincent de Paul, Emmaüs… mais aussi les Semaines Sociales de France ou encore la Mission de France et les prêtres ouvriers.

Depuis, on assiste à un fort déclin de l’Action catholique et une politisation accentuée vers la gauche. D’autres associations sont créées comme le CCFD, ATD Quart-Monde… Les papes, de saint Jean-Paul II au pape François, approfondissent la dimension sociale de l’Église par plusieurs encycliques. Aujourd’hui, la canonisation récente de Charles de Foucauld ou la béatification de Pauline de Jaricot sont des signes que l’Église se soucie plus que jamais de tous et porte un regard engagé sur la société dans laquelle elle se développe.

La bienheureuse Pauline Jaricot
La bienheureuse Pauline Jaricot

D’autres initiatives semblent ouvrir des nouvelles voies de présence à la société : colocations avec des personnes handicapées ou fragiles, hameau intergénérationnel dans l’esprit « Laudato si »… Bref, les chrétiens continuent de chercher comment rendre indissociable l’attachement au Christ dans la prière et dans l’engagement auprès des frères.

Les ressources de la soirée

Christian Reecht – Témoignage sur RCF Alpha

Béatrice Châteaugiron – Témoignage sur RCF Alpha