Lettre de Mgr d’Ornellas : La foi et les personnes migrantes

Ce mardi 19 septembre 2023, Mgr Pierre d’Ornellas a adressé une lettre aux catholiques d’Ille-et-Vilaine, en lien avec la 109e Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié et la venue du pape François aux Rencontres Méditerranéennes de Marseille.

 

Chers amis,

➤ Ce dimanche 24 septembre 2023 est la 109e Journée Mondiale du Migrant et du Réfugié.

En Ille-et-Vilaine, beaucoup de catholiques, avec d’ autres, accompagnent des personnes migrantes. Merci à eux  ! À l’ occasion de cette Journée, chacun est invité à relire son engagement à la lumière de l’ Évangile du Christ : « Celui qui a de quoi vivre en ce monde, s’ il voit son frère dans le besoin sans faire preuve de compassion, comment l’ amour de Dieu pourrait-il demeurer en lui  ? Petits enfants, n’ aimons pas en paroles ni par des discours, mais par des actes et en vérité. » (1 Jean 3,17-18).

Plus largement, cette Journée nous invite tous à réfléchir à la question migratoire. Elle est complexe. Les médias nous informent des drames de la migration, en particulier en Méditerranée. Ils nous relaient divers propos, parfois tranchés et contradictoires. L’ afflux des migrants à Lampedusa fait la une de l’ actualité. Que penser de tout cela  ? Nous avons besoin de sérénité pour échanger entre nous afin de mieux comprendre ce que Dieu nous demande vis-à-vis de nos frères et sœurs migrants. Aucune pensée simpliste n’ est adaptée à ce difficile débat.

➤ Ce dimanche 24 septembre 2023 est aussi le jour où s’ achèveront les Rencontres Méditerranéennes de Marseille. Le pape François y participe à cause de l’ urgence de la « question migratoire ». Il nous aidera à discerner. Nous serons attentifs à sa parole qui s’ inscrit dans l’ enseignement des Papes, notamment depuis Pie XII.

Il y a 60 ans, saint Paul VI déclara que « l’ émigration est aujourd’ hui l’ un des phénomènes les plus importants et les plus graves de la vie du monde ».

Benoît XVI rappela que les migrations sont un « signe des temps » : « Pour l’ Église, cette réalité constitue un signe éloquent de notre époque, qui souligne de façon encore plus évidente la vocation de l’ humanité à former une seule famille et, dans le même temps, les difficultés qui, au lieu de l’ unir, la divisent et la déchirent. » (2011).

L’enseignement de la Bible

Pour cette Journée Mondiale du 24 septembre 2023, le pape François a rédigé un Message dans lequel il médite sur deux passages des Évangiles.

➤ Premièrement : « Lève-toi, prends avec toi l’ enfant et sa mère, et fuis en Égypte ; et restes-y jusqu’ à ce que je te dise. Car Hérode va rechercher l’ enfant pour le faire périr. » (Matthieu 2,13). Le Seigneur Jésus fut un migrant. Ainsi le Verbe fait chair, dès son entrée dans notre histoire humaine, se fait migrant pour dévoiler à nos yeux non seulement l’ importance du phénomène migratoire dans la vie du monde, mais aussi sa Présence au cœur des personnes migrantes.

Benoît XVI commenta ce verset évangélique : « Dans le drame de la Famille de Nazareth, obligée de se réfugier en Égypte, nous entrevoyons la douloureuse condition de tous les migrants, en particulier des réfugiés, des exilés, des dispersés, des déplacés internes et des persécutés. Nous entrevoyons les difficultés de chaque famille de migrants, les privations, les humiliations, les restrictions et la fragilité de millions et de millions de migrants, de déplacés internes et de réfugiés. » (2007). Il ajouta que « la Famille de Nazareth reflète l’ image de Dieu conservée dans le cœur de chaque famille humaine, bien que défigurée et affaiblie par l’ émigration ».

➤ Deuxièmement : « J’ étais un étranger et vous m’ avez accueilli. » (Matthieu 25,35). Le Seigneur Jésus s’ est assimilé aux migrants. En tant que fils du Peuple juif, il se souvient que son Peuple fut aussi exilé en Égypte. Cela l’ oblige à une attitude particulière vis-à-vis de l’ étranger, comme le rappelle ce précepte : « L’ étranger qui réside avec vous sera pour vous comme un compatriote et tu l’ aimeras comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’ Égypte. » (Lévitique 19,34).

Le pape François en tire une conclusion : pour nous chrétiens, « tout immigré qui frappe à notre porte est une occasion de rencontre avec Jésus Christ, qui s’ identifie à l’ étranger de toute époque accueilli ou rejeté » (2018).

Le choix libre de rester ou de migrer

Pourquoi Jésus, dès sa naissance, fut emporté en Égypte par Joseph avec Marie  ? Parce qu’ ils furent contraints de fuir la persécution qui fit rage à Bethléem.

François le constate : « La fuite de la sainte Famille en Égypte n’ a pas été le résultat d’ un choix libre, tout comme de nombreuses migrations qui ont marqué l’ histoire du peuple d’ Israël ». À la suite de Benoît XVI qui développa la même idée (2013), il donne une règle : « Migrer devrait toujours être un choix libre. » Hélas, « en fait, dans de nombreux cas, même aujourd’ hui, ce n’ est pas le cas ». C’ est en effet fréquent que « les migrants fuient la pauvreté, la peur, le désespoir ».

Il est donc nécessaire d’ agir pour que chaque personne (et chaque famille) puisse décider librement de rester sur sa terre, ou de migrer. Pour cela, « nous devons, insiste François, nous efforcer de mettre fin à la course aux armements, au colonialisme économique, au pillage des ressources des autres, à la dévastation de notre maison commune. […] Nous devons nous efforcer d’ assurer à chacun une part équitable du bien commun, le respect des droits fondamentaux et l’ accès à un développement humain intégral. C’ est le seul moyen d’ offrir à chacun la possibilité de vivre dignement et de se réaliser personnellement et en tant que famille. »

« Nous devons… » Ce premier devoir s’ impose à tous, comme le souligne François : « Nous avons besoin de l’ engagement commun de tous, chacun selon ses responsabilités. » Ici, il s’ agit d’ un engagement politique, en tant que citoyens habités par la lumière de la foi. Chrétiens, nous nous devons de participer aux débats de notre société, et d’ agir, à la mesure de nos responsabilités, pour que nos lois soient davantage justes. François indique avec précision les visées qu’ il faut atteindre. Cela prendra certes du temps mais cela n’ empêche pas d’ agir avec espérance.

Chez nous en France, un projet de loi sur l’ asile et l’ immigration sera prochainement en débat. Cela ne suffira pas à résoudre la « question migratoire » si cette loi ne s’ intègre pas dans un ensemble de décisions politiques et économiques qui manifestent notre effort collectif pour atteindre les buts indiqués par le Pape.

Nombreux sont en Ille-et-Vilaine ceux qui, selon leurs moyens, agissent par des micro-réalisations humanitaires et caritatives contribuant à favoriser le développement, le soin ou l’ éducation dans des pays lointains, ce qui favorise la possibilité d’ un choix vraiment libre de rester sur sa terre avec les siens, ou de migrer.

Parmi les personnes migrantes qui sont en Europe, certaines sont venues en raison de passeurs qui les ont exploitées. « Il faut, précise François, veiller à ce que ce choix soit éclairé et réfléchi, pour éviter que tant d’ hommes, de femmes et d’ enfants ne soient victimes d’ illusions hasardeuses ou de trafiquants sans scrupules. » La fermeté contre les passeurs devrait être non seulement plus déterminée, mais aussi commune entre les États, notamment ceux du pourtour méditerranéen. Le cynisme et l’ absence de scrupules de ces passeurs suscitent la juste colère quand on voit comment, à cause d’ eux, des personnes et des familles – voire des mineurs – arrivent ici, démunies de tout, violentées, épuisées et moralement abandonnées.

Face aux prédateurs de toute sorte qui, sans vergogne, exploitent personnes et terres avec violence et mépris des droits fondamentaux, monte à nos lèvres un cri vers le Seigneur : « Vite  ! Que ta pitié vienne au-devant de nous » (Psaume 79,8).

Regarder un frère, une sœur

De fait, les personnes migrantes, parfois des familles, sont là.

François nous invite au juste regard : « Il s’ agit alors de voir et d’ aider ensuite les autres à voir dans le migrant et dans le réfugié non pas seulement un problème à affronter, mais un frère et une sœur à accueillir, à respecter et à aimer, une occasion que la Providence nous offre pour contribuer à la construction d’ une société plus juste, une démocratie plus accomplie, un pays plus solidaire, un monde plus fraternel et une communauté chrétienne plus ouverte, selon l’ Évangile. » (2014)

Ce « frère », cette « sœur » appellent nos soins attentifs dans toutes les dimensions de leur être, y compris spirituelle. Ils seront reconnaissants, d’ autant plus que nous leur apportons, en respectant leur conscience, le témoignage de notre foi au Seigneur Jésus.

Mission de la paroisse

En 1999, à propos des migrants, Jean-Paul II a écrit : « La paroisse, dont l’ étymologie désigne une habitation dans laquelle l’ hôte est à son aise, accueille chacun et ne discrimine personne, car personne ne lui est étranger. Elle allie la stabilité et la sécurité de celui qui se trouve chez lui avec le caractère provisoire de celui qui est de passage, car prévaut la conscience de l’ appartenance commune à Dieu, unique Père. »

Le Pape fait cette remarque : « La catholicité ne se manifeste pas seulement dans la communion fraternelle des baptisés, mais s’ exprime également dans l’ hospitalité assurée à l’ étranger, quelle que soit son appartenance religieuse. »

Jean-Paul II évoque « l’ importance que la paroisse a dans l’ accueil de l’ étranger ». Celle-ci devient un signe dans la société, un signe de l’ Évangile, un signe de la tendresse de Dieu  !

* * *

Qu’ il est beau de voir les Diaconies paroissiales s’ organiser pour accueillir des personnes migrantes en difficulté, qu’ elles soient seules ou en famille  ! Qu’ il est beau de voir ces migrants qui ont traversé tant d’ épreuves, se remettre debout, reprendre confiance en eux et retrouver l’ espoir auprès d’ une communauté qui rayonne l’ amour de Dieu  ! Qu’ il est beau de voir des enfants et des jeunes migrants retrouver le sourire grâce à l’ école qui les accueille et les accompagne, donnant confiance à leurs parents  !

Chaque fois qu’ une personne ou une famille migrante est accueillie par une paroisse, cela crée un dynamisme nouveau : la communauté se fédère autour de cet « étranger » qui est visage du Christ. Accueillir un « frère » n’ est pas une charge ni simplement une nécessité vitale, c’ est surtout une joie et une force en recevant « leur trésor de vie, de sagesse et, s’ il croit en Dieu, de leur foi » (Afin que vous débordiez d’espérance). Agir pour le bien de l’ « étranger » s’ impose à la conscience ; le recevoir comme un don est une expérience de foi et d’ amour. Cet « étranger » nous pousse à élargir l’ espace de notre tente, à enrichir notre regard sur notre commune humanité, et à grandir dans la foi en Dieu, le Père de tous les hommes. Quelle source de joie  !

Merci au Secours Catholique dont les équipes sont mobilisées au quotidien  ! Merci au Service de la Pastorale des Migrants et aux Diaconies paroissiales, quels que soient leur forme et leur nom  ! Merci à la Diaconie Brétilienne qui les soutient. Le partage d’ expériences, l’ écoute de la Parole de Dieu, l’ Eucharistie et la prière dynamisent les Diaconies. Souvenons-nous de l’ enseignement de Benoît XVI qui invitait à « l’ espérance, le courage, l’ amour et l’ imagination de la charité » (2006).

Que l’ Esprit Saint éclaire vos choix, fortifie vos engagements et remplisse vos cœurs de l’ amour « en actes et en vérité ». Merci de tout cœur  !