Ordinations Diaconales 2024 : homélie de Mgr Pierre d’Ornellas

Homélie de Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, pour les Ordinations Diaconales le Samedi 6 avril 2024 à la Cathédrale Saint-Pierre de Rennes.

Actes des Apôtres 4,13-21 ; Psaume 117 ; Évangile selon saint Marc 16,9-15

Miniature homélie Mgr Pierre d'Ornellas

Mes amis,

L’évangile que nous avons entendu vient de Saint-Marc. Cet évangéliste n’a pas l’habitude de nous expliquer grand-chose. Il nous met devant les faits et c’est à nous de comprendre. Comme vous l’avons entendu, des personnes ont vu le Ressuscité et viennent le dire aux « Onze » disciples. Or, ceux-ci « refusèrent de croire », ils ont le coeur dur. Finalement, Jésus se manifesta à eux : « Il leur reprocha leur manque de foi et la dureté de leurs coeurs. » Pourtant immédiatement, Jésus leur dit : « Allez dans le monde entier » ; il leur donne une mission.

Le moment où Jésus leur reproche la dureté de leur coeur et leur manque de foi, et le moment où il les envoie en mission sont deux moments distincts. Saint Marc ne se préoccupe pas d’expliquer ce qui s’est passé entre ces deux moments. Pourtant, il s’est nécessairement passé quelque chose. Comment est-il possible en effet de passer de « la dureté du coeur » à la mission « dans le monde entier » pour y « proclamer l’Évangile » ?

Le coeur dur, au sens biblique du terme, est un coeur fermé à la Parole de Dieu car il préfère sa propre parole qu’il déguise en pensant qu’elle vient de Dieu ; le coeur dur prend ses propres idées pour des paroles de Dieu. Voilà le coeur dur, le coeur fermé qui n’écoute pas Dieu qui parle ! Comment donc peut-on passer de ce coeur fermé, dur, au coeur qui annonce en vérité la Parole de Dieu, l’Évangile ? Quel est donc ce passage ?

L’assurance de Pierre et Jean

Cette Pâques, cette transformation, ce passage à vivre, nous l’entendons dans la Première Lecture. Nous sommes placés devant les plus hautes autorités religieuses qui existent à Jérusalem, à savoir « les Chefs du peuple, les anciens et les scribes ». Ce sont les autorités religieuses du Peuple à qui Dieu a parlé en premier, descendant d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, recueillant l’héritage de Moïse, assumant les proclamations des prophètes, bref… Voici ces autorités religieuses ! Elles reconnaissent une chose étonnante : Pierre et Jean sont certes « des hommes sans culture », mais ils ont de « l’assurance ».

Ces hautes autorités religieuses qui ont de l’expérience, qui sont burinées dans l’étude des Écritures d’Israël et dans l’écoute de la Tradition orale d’Israël, constatent que Pierre et Jean sont habités d’une belle « assurance ». Devant cette « assurance », ces autorités sont comme bouche bée. Elles sont devant un paradoxe et ont du mal à comprendre. Avec leur discernement, elles sont bien obligées de reconnaître cette « assurance » et pourtant elles se demandent d’où elle vient chez ces hommes « sans culture ».

L’assurance qui vient de l’amour

S’agit-il d’une assurance fanatique ? S’agit-il de l’assurance de celui qui est persuadé d’avoir raison envers et contre tous ? Ce n’est en tout cas pas l’assurance de celui qui prétendrait posséder la vérité et qui viendrait la dire à ceux qui ne la connaissent pas, en estimant être eux-mêmes dans la vérité alors que les autres sont dans l’erreur. Cette assurance n’est pas non plus une force qui les habiterait et qui, de la hauteur de leur force, leur permettrait de s’abaisser vers les faibles dans une sorte de paternalisme qu’on appelle aujourd’hui « cléricalisme ».

En fin de compte, cette « assurance », d’où vient-elle ? Elle correspond au mot qu’emploie souvent le pape François : la « parrêsia » en grec. Elle est la force de l’apôtre Paul dans sa proclamation de « l’Évangile de Dieu ». Il évoque sa « parrêsia ». Cette « parrêsia » est voisine de la paix tout en étant une audace pour parler, elle va aussi avec la « douceur » grâce à laquelle la parole a sa propre force en elle-même. Au début de la Messe, nous avons prié Dieu pour que nos frères Alexandre et Michel, qui vont devenir diacres, exercent leur ministère en étant « pleins de douceur ». Quand il n’y a pas de douceur, ce n’est pas l’« assurance » au sens biblique du terme, car alors le prédicateur essaye de persuader par la force de sa manière de parler. La douceur atteste la confiance en la force de la Parole elle-même qui est Parole de Dieu.

D’où vient cette « assurance », sinon de l’amour avec lequel est scellée l’Alliance. Se savoir pris dans cette alliance, suscite l’« assurance ». Par exemple, il est frappant de voir les enfants quand ils sont pris dans une alliance filiale ou paternelle, ils sont enveloppés de l’amour de leur père, de leur mère. Quelle « assurance » alors dans ses enfants ! Ils ne s’en rendent pas compte bien sûr, mais on perçoit leur joie de la vie, leur innocente conviction qu’il est heureux de vivre et que la vie est d’une beauté fantastique, à tel point qu’elle est toujours source de joie, de paroles, et d’amusements aussi. D’où vient leur assurance si ce n’est de cette alliance contractée dans l’amour et qui leur donne de vivre et de parler avec joie et confiance ! Et cette alliance est gratuite. L’enfant n’a jamais décidé de contracter alliance avec ses parents. Il naît et grandit dans cette alliance reçue gratuitement.

Bien sûr, nous pourrions aussi penser à cette « assurance » qui naît et qui grandit peu à peu dans l’alliance de l’amour conjugal. Il y a une sérénité, une force dans cette sérénité qui donne du prix à sa propre vie parce que cette vie trouve une plénitude dans l’alliance de l’amour conjugal, comme un aboutissement mais qui n’a pas fini, bien sûr, de mûrir ni de grandir.

L’amour du Christ en mission dans le monde

Cette image de l’alliance qui est vécue dans l’amour et qui suscite de l’assurance nous explique quelque chose de cette « assurance » des Apôtres. Pierre et Jean ont cette « assurance » parce qu’ils vivent une alliance contractée dans l’amour avec le Christ.

Le Christ ressuscité a scellé une alliance très particulière : l’alliance de l’accomplis-sement de toutes les Écritures d’Israël, de toute la tradition d’Israël. C’est l’accomplis-sement de l’amour avec lequel Pierre et ses compagnons sont comme saisis. Voilà l’« assurance » qui vient de l’amour du Christ ! Ils sont comme enveloppés dans cet amour, immergés dans cet amour. Ils sont suscités dans cet amour, ce qu’exprime le « allez » de l’Évangile. Il ne s’agit pas d’un ordre, mais d’un mouvement qui est celui de l’amour du Christ et dans lequel ils sont irrésistiblement pris et envoyés.

Et cet amour du Christ pour le monde entier – reflet de l’amour du Père – est inépuisable, insondable ! C’est l’amour devant lequel saint Paul « tombe à genoux », lui qui voudrait que notre « être intérieur » se « fortifie » en étant habité par cet amour (cf. Éphésiens 3,14.16). Pris dans le mouvement de cet amour, cela fait 2000 ans que des témoins sont envoyés avec « assurance », c’est-à-dire avec l’audace du témoignage rempli « de respect et de douceur » (cf. 1 Pierre 3,16).

Dès que le témoignage se fait en disant du mal de ceux vers lesquels on va, ce n’est pas l’assurance qui vient du Christ ! Dès qu’on pense que le monde va mal, et c’est pour cela qu’on y va annoncer l’Évangile, ce n’est pas l’assurance qui vient du Christ ! Dès qu’on pense que nous avons raison et que nous allons vers ceux qui ont tort, ça ne vient pas de l’assurance qui découle de l’amour du Christ. La seule raison d’annoncer l’Évangile, la seule raison d’entendre Jésus nous dire « allez », c’est l’amour, c’est son amour qui nous emporte dans son mouvement et qui nous donne d’aimer.

Entre le moment du reproche du manque de foi et de la dureté de leurs coeurs, et le moment du « allez dans le monde entier », il y a l’échange entre Jésus et Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment, plus que ceux-ci ? » (Jean 21,15) Saint Jean nous permet de discerner cela, d’expliquer en quelque sorte ce que n’explique pas Saint Marc. Oui, « Dieu a tant aimé le monde qui lui a donné son Fils » (Jean 3,16) !

Bienheureux les disciples de Jésus qui aiment le monde et qui souffrent des souffrances du monde, pour lequel leur amour devient compassion, miséricorde, tendresse. Plus le monde souffre, plus ce mouvement des apôtres de tous les temps vers ce monde s’exprime en un surcroît d’amour pour lui. Voilà, l’« assurance » dont nous parle la Première Lecture.

L’indispensable prière

Cette assurance qui vient de l’amour s’acquiert peu à peu par la prière.

En cette année 2024, qui est réfléchie par le pape François en anticipation du Jubilé de 2025, est proposée par le Pape comme une année dédiée à la prière. Il nous est bon de nous arrêter un moment à ce que l’Église me demande de prier au nom de tous dans l’oraison du début de la Messe d’ordination. Oui, j’ai prié Dieu pour que nos frères Alexandre et Michel soient « pleins de douceur dans leur service » de diacres, mais aussi « fidèles à [Le] prier sans cesse ». C’est la reprise de l’invitation de saint Paul dans le premier texte chrétien qui a été écrit dans la Bible : « Priez sans cesse » (1 Thessaloniciens 5,17).

La grandeur de la prière, la beauté de la prière, l’indispensable prière ! Dans la prière, nous ne nous regardons pas prier mais nous regardons le Christ qui est présent invisiblement et mystérieusement, peut-être dans la nuit. Nous le regardons dans la foi, nous demeurons avec lui dans la foi vivante. La nervure de la prière, c’est l’acte de foi, l’acte de foi qui ne voit pas mais qui sait, l’acte de foi qui est rempli d’amour pour celui qui est là et qui s’appelle le Christ. Prier, c’est regarder le Christ qui ne cesse pas d’aimer le monde d’une infinie tendresse, et qui ne cesse pas de sceller alliance avec « ses amis », et de leur donner l’« assurance » de l’amour.

Sainte Thérèse de Lisieux, jeune femme de 24 ans, Docteur de l’Église, le dit admirablement. Elle a compris que depuis 2000 ans, qu’aujourd’hui et demain, les apôtres sont ceux qui ont vécu, seront ceux qui vivront la prière car la prière remplit de charité.

Mes amis, prions pour Alexandre et Michel, prions pour tous les diacres, prêtres et évêques, afin qu’ils soient remplis de cette « assurance » qui donne l’audace de parler. Prions pour tous ceux et toutes celles qui accomplissent une mission d’annonce de la parole, en particulier les catéchistes, et les parents qui ont la si belle mission de transmettre à leurs enfants, adolescents ou jeunes, la beauté de la foi.

Prions pour que tous ensemble, le saint peuple de Dieu, nous soyons habités par cette « assurance » qui est cette attitude du coeur rempli de douceur, de paix et de charité à l’image de la charité de Jésus pour les hommes et les femmes, pour les vieillards et les enfants, pour tous, pour les détenus, pour celles et ceux qui sont exclus et abandonnés.

Cette « assurance » qui vient de l’amour, c’est la seule qualité qui est demandée pour servir à la manière de Jésus, pour « aller dans le monde entier et proclamer l’Évangile ». Demandons dans la prière, que tous, et en particulier Alexandre et Michel, soient revêtus de cette « assurance », de cette charité, de cette douceur, pour accomplir notre mission selon la volonté de Dieu, AMEN.

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