Parole de l’Évêque – Jules Isaac ou la vérité des Évangiles

Paru dans Église en Ille-et-Vilaine n°355 – Octobre 2023

À l’occasion du 60e anniversaire de son décès, survenu à Aix-en-Provence le 5 septembre 1963, il est juste de faire mémoire de Jules Isaac. Il fut un génie providentiel.

Né à Rennes le 18 novembre 1877, il fut professeur d’histoire. En 1936, il est nommé Inspecteur de l’Instruction publique. Son nom reste attaché aux manuels d’histoire dits « Mallet – Isaac ». Il en fut le véritable auteur car Albert Mallet est tué en 1915 à la Grande Guerre.

Jules Isaac subit la persécution nazie contre les Juifs. Un matin d’octobre 1943, survint le drame auquel il échappe par pure circonstance – il est chez le coiffeur – quand la Gestapo allemande vient dans l’hôtel à Riom où il s’est réfugié : sa femme, Laure, sera déportée à Auschwitz. Quelques jours auparavant, leur fille, leur gendre et leur fils Jean-Claude ont été arrêtés et déportés. Seul son fils en reviendra.

C’est marqué par cette épreuve qu’il continue son engagement contre tout antisémitisme et antijudaïsme véhiculé dans l’enseignement chrétien. Comme historien, il étudie les quatre Évangiles et publie en 1956 son fameux livre Jésus et Israël. Sa femme, internée à Drancy, lui avait fait passer ce message : « Aie confiance et finis ton œuvre que le monde attend. »

Et en effet, cela eut une répercussion mondiale ! Le 13 juin 1960, Jean XXIII rencontra Jules Isaac alors âgé de 82 ans et demi, tandis que le Pape s’approche de ses 80 ans. La rencontre entre ces deux vieillards fut « déterminante ».

 Voici ce que Mgr Loris Capovilla, secrétaire de Jean XXIII, en rapporte : « Je me souviens très bien que le Pape resta très impressionné de cette rencontre et m’en parla longuement. […] Il est vrai que jusqu’à ce jour-là, Jean XXIII n’avait pas pensé que le Concile eût également à s’occuper de la question juive et de l’antisémitisme. Mais depuis ce jour-là, il ne cessa de s’en occuper. » Et ce fut en 1965 la promulgation de la Déclaration Nostra Aetate qui, en son numéro 4, établit les liens positifs qui relient l’Église au Peuple juif.

 Sans avoir encore rencontré Jean XXIII, Jules Isaac est frappé par le propos que ce Pape tint à des journalistes : « Il est un principe vital, c’est de ne jamais déformer la vérité. » Huit jours plus tard, Jules Isaac le cite à la fin d’une conférence à la Sorbonne. Il commente ainsi : « Nobles paroles : ne jamais déformer la vérité, c’est exactement ce que je demande, ce que j’ai toujours demandé. Me permettra-t-on d’ajouter, pour conclure, que si le principe est vital, son application n’est pas moins vitale, surtout lorsqu’il s’agit du sort de millions d’êtres humains ? Je n’en dirai pas plus. Ce sont mes derniers mots : ils expliquent, ils justifient l’impatience dont j’ai pu témoigner. Puissent-ils être entendus, fraternellement entendus, bien au-delà de cette enceinte. »

Deux ans après leur rencontre, Jules Isaac mit en exergue de son dernier livre cet autre propos de Jean XXIII : « L’aptitude à connaître la vérité représente pour l’homme une responsabilité sacrée et grave de coopération au dessein du Créateur, du Rédempteur, du Glorificateur… Comme elle est belle dans cette lumière, l’invitation faite à l’homme de dire toujours la vérité à son prochain. »

Jules Isaac pense qu’il est fondamental de dire à son prochain la vérité des Évangiles, c’est-à-dire le « sens » vrai de l’Écriture Sainte. Dès lors, les prédicateurs de l’Église n’ont-ils pas enfreint cette règle en tirant des Évangiles ce qu’ils ne disent pas, à savoir un antisémitisme, et en l’enseignant à leurs prochains ?