Ordination sacerdotale d’Éric Nziraguseswa : homélie de Mgr Pierre d’Ornellas

Mgr d'Ornellas

Homélie de Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, pour l’Ordination sacerdotales d’Éric Nziraguseswa, le dimanche 30 juin 2024 à la cathédrale Saint-Pierre de Rennes.

Actes des apôtres 12, 1-11 ; Psaume 33 ; Timothée 4, 6-8 ; 17-18 ; Matthieu 16, 13-19

Chers amis,

Nous l’avons entendu dans la première lecture, l’Église est en prière. Elle prie pour l’apôtre Pierre. Ainsi, l’Église prit pour les Apôtres, pour les successeurs des Apôtres et leurs collaborateurs, les prêtres. Cher Éric, tu te souviendras de la prière de l’Église pour toi devenu prêtre ; comme l’Église a prié pour Pierre.

Chère maman d’Éric, chère famille d’Éric, dans l’Église, vous priez pour Éric qui va devenir prêtre, qui exercera son ministère de prêtre. Merci pour votre prière précieuse aux yeux de Dieu comme la prière de l’Église a été précieuse aux yeux de Dieu pour son apôtre Pierre.

La joie de la foi

« Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Voilà la proclamation que nous entendons aujourd’hui. Proclamation solennelle, affirmation sublime, cri qui jaillit du cœur de Pierre face à Jésus : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! »

Cette proclamation a lieu dans la région de Césarée de Philippe qui est une ville païenne où les idoles sont adorées, où un temple dédié à César Auguste promeut la vénération de l’Empereur comme une quasi-divinité. Dans ce milieu païen, résonne avec force cette proclamation : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! »

Dans cette région de Césarée, les contemporains religieux de Simon-Pierre appartiennent sans doute à divers courants du judaïsme. Ils ont leurs opinions sur Jésus : « Pour les uns, Jean le Baptiste ; pour d’autres, Élie ; pour d’autres encore, Jérémie ou l’un des prophètes. » Au milieu de ses opinions variées et probablement fluctuantes, Simon-Pierre proclame : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! »

Aujourd’hui, peut-être entourés d’indifférence, d’une conscience commune où Dieu est absent, entourés d’opinions variées et fluctuantes sur Jésus, nous proclamons avec Pierre : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! » Simon-Pierre prononce les paroles de la foi véritable. En effet, Jésus lui répond aussitôt : « Heureux es-tu, Simon fils de Yonas : ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. » Pierre a reçu une révélation qui lui vient du Père des Cieux.

Nous le savons, à Dieu qui révèle[1], l’homme répond par la foi. En faisant sa proclamation de foi, Simon-Pierre « s’en remet tout entier et librement à Dieu dans un complet hommage de son intelligence et de sa volonté ». Dans la foi ainsi proclamée, tout l’être humain se donne en cet acte de foi. En effet, Pierre donne son assentiment, son adhésion totale au mystère de Jésus. Et cette adhésion, cet assentiment devient « communion[2] ». La foi proclamée par Pierre et que nous proclamons aujourd’hui est « communion » à Jésus, que rien ne pourra détruire.

Sans doute Simon-Pierre est-il habité par l’Esprit Saint qui, comme le dit le concile Vatican II, « touche son cœur et ouvre les yeux de son esprit » en lui donnant « la douce joie de consentir et de croire à la vérité » quand il proclame que Jésus est le Messie et le Fils du Dieu vivant. L’Évangile ne nous le dit pas, mais on peut deviner la douce joie qui envahit le cœur de Simon-Pierre. Nous pouvons deviner aussi la douce joie qui nous envahit quand nous proclamons notre foi à Jésus Christ, Fils du Dieu vivant.

L’apôtre Paul a aussi reçu du Ciel la révélation du mystère de Jésus. Nous connaissons l’illumination dont il a bénéficié sur le chemin de Damas où il allait pour persécuter les chrétiens. Aux croyants de Galatie, il écrit : « Dieu m’avait mis à part dès le sein de ma mère ; dans sa grâce, il m’a appelé ; et il a trouvé bon de révéler en moi son Fils, pour que je l’annonce parmi les nations païennes. » (Ga 1,15-16). Aux croyants d’Éphèse, il en fait part aussi, il leur écrit : « Vous avez appris, je pense, en quoi consiste la grâce que Dieu m’a donnée pour vous : par révélation, il m’a fait connaître le mystère, comme je vous l’ai déjà écrit brièvement. En me lisant, vous pouvez vous rendre compte de l’intelligence que j’ai du mystère du Christ. » (Ép 3,2-4)

Le prêtre, homme de prière

Avec ces figures de Pierre et de Paul, nous pouvons dire : Voilà le prêtre ! Il vit en communion avec le Seigneur Jésus. Il proclame la foi véritable en Jésus, sauveur du monde, mort sur la croix par amour de tous les hommes et ressuscité d’entre les morts. Comme pour Paul, le prêtre est saisi tout entier en pensant qu’un seul « est mort pour tous » (2Co 5,14-15). Pour demeurer dans la foi au Seigneur Jésus, le prêtre est appelé à une manière de vivre qui lui permet de recevoir sans cesse la « révélation » du mystère de Jésus. Certes l’étude de la « foi catholique » est nécessaire, la méditation de l’Écriture sainte et la lectio divina sont essentielles. Mais cela ne portera du fruit que si cette étude et cette méditation sont précédées, accompagnées et prolongées par la prière, par l’oraison et la contemplation.

Cher Éric, tu reçois l’Ordination sacerdotale en l’année 2024. Le pape François a voulu que cette année soit plus particulièrement dédiée à la prière. Comme prêtre, sois fidèle à la prière. Sois convaincu que le cœur à cœur avec le Seigneur Jésus est essentiel à ta vie quotidienne de prêtre. N’oublie jamais la mystérieuse fécondité de la prière alors même qu’elle peut paraître aride. Sois attentif aux grands maîtres que l’Église nous donne pour apprendre à prier. Jésus est le Vivant qui t’a choisi pour que tu L’annonces. Tu ne le feras qu’en étant en communion avec lui. Jésus est miséricordieux pour que tu annonces le grand mystère de la miséricorde. C’est par la prière que se dévoile Jésus-Christ, « le visage de miséricorde », comme nous l’a dit le pape François. Par la prière se découvre que la miséricorde est « le cœur battant de l’Évangile[3] ».  Sois, comme Paul qui a été saisi par Jésus, le ministre de la miséricorde.

Dans sa grande exhortation pour le troisième millénaire, saint Jean-Paul II médite sur ce dialogue entre Simon-Pierre et Jésus. « L’expression « la chair et le sang » évoque l’homme et le mode commun de connaissance. Dans le cas de Jésus, ce mode commun ne suffit pas. Une grâce de « révélation » est nécessaire. » Cela « nous fait prendre conscience que nous n’entrons pas dans la pleine contemplation du visage du Seigneur par nos seules forces, mais en laissant la grâce nous prendre par la main. Seule l’expérience du silence et de la prière, précise le saint pape Jean-Paul II, offre le cadre approprié dans lequel la connaissance la plus vraie, la plus fidèle et la plus cohérente de ce mystère peut mûrir et se développer[4]. »

Le pape Jean-Paul II fait cette remarque en considérant la sécularisation qui nous envahit : « une exigence diffuse de spiritualité » s’exprime dans notre société, et elle s’exprime en grande partie par « un besoin renouvelé de prière ». Et Jean-Paul II interroge : « N’est-ce pas un « signe des temps » ?[5] » Le prêtre est appelé à devenir un homme de prière pour savoir répondre à la soif contemporaine de prière chez les jeunes et les moins jeunes.

Le prêtre, homme du discernement

Si le prêtre est l’homme de la prière, il est aussi l’homme du discernement. Simon-Pierre en proclamant la foi au milieu du paganisme et des opinions diverses des hommes, fait œuvre de discernement. L’apôtre Paul insiste sans arrêt sur le discernement de ce qui plaît à Dieu (cf. Rm 12,2). Il s’agit de tout examiner avec discernement pour retenir ce qui est bon (cf. 1 Th 5,21). Et c’est « l’homme spirituel » qui est capable d’un tel discernement (cf. 1Co 2,15).

Comme prêtre, cher Éric, tu es appelé à devenir un « pasteur » à la suite de l’unique bon Pasteur qu’est Jésus. Plus que cela, tu es appelé à devenir un « pasteur selon le cœur de Dieu ». Or, le pasteur marche au milieu des brebis pour discerner les bons pâturages où les conduire, pour discerner les chemins qu’il doit ouvrir à chacune des brebis. Il guérit les brebis blessées, il porte celles qui sont épuisées, il avance au rythme des brebis qui ont le pas lent, il accompagne chacune dans leur diversité, grâce au discernement. Ce discernement est à la fois « un don » de Dieu « qu’il faut demander[6] », comme le rappelle le pape François, et une œuvre de la charité qui habite le cœur du pasteur.

De même qu’il est toujours nécessaire d’apprendre à prier, il est toujours nécessaire d’apprendre à discerner. Ce discernement est essentiel au pasteur pour qu’il puisse reconnaître la grâce de Dieu à l’œuvre dans le cœur de chacune des brebis qui, parfois, n’en ont même pas conscience.

Si pour le pape Jean-Paul II, il faut au début de ce troisième millénaire « un christianisme qui se distingue avant tout dans l’art de la prière[7] », pour le pape François, il faut le discernement : « Aujourd’hui, l’aptitude au discernement est redevenue particulièrement nécessaire. […] Sans la sagesse du discernement, nous pouvons devenir facilement des marionnettes à la merci des tendances du moment[8]. »

Il nous l’a dit tout à l’heure, le discernement est un don de Dieu, une grâce, mais il ajoute : « Bien qu’il inclue la raison et la prudence, il les dépasse parce qu’il s’agit d’entrevoir le mystère du projet unique et inimitable que Dieu a pour chacun, et qui se réalise dans des contextes et des limites les plus variés[9]. » Voilà l’œuvre du bon Pasteur qui par charité fait l’effort du discernement pour découvrir le projet unique et inimitable de Dieu sur chacune des brebis.

Le pape François ajoute : « Ce qui est en jeu dans le discernement, c’est le sens de la vie devant le Père qui connaît et qui aime chacun ». Ce qui est en jeu, c’est « le vrai sens de l’existence que personne ne connaît mieux que Dieu. Le discernement, en définitive, conduit à la source même de la vie qui ne meurt pas, c’est-à-dire à connaître le Père, le seul vrai Dieu, et celui qu’il a envoyé, Jésus-Christ (cf. Jn 17,3)[10]. »

Ainsi, en devenant prêtre, tu deviens le pasteur rempli de charité qui discerne, qui est appelé à discerner dans toutes les personnes rencontrées, l’œuvre de Dieu pour accompagner, pour consoler, pour donner l’espérance, pour faire avancer sur le chemin de l’Évangile, avec patience, tendresse, délicatesse et miséricorde.

« Il ne s’agit pas, explique le pape François, d’appliquer des recettes ni de répéter le passé. Le discernement des esprits nous libère de la rigidité qui n’est pas de mise devant l’éternel aujourd’hui du Ressuscité. Seul l’Esprit Saint sait pénétrer dans les replis les plus sombres de la réalité et prendre en compte toutes ses nuances, pour que, sous un nouveau jour, émerge la nouveauté de l’Évangile[11]. »

Pasteur pour les brebis

Cher Éric, devenu prêtre, pasteur à la suite de l’unique bon Pasteur, te voilà voué à la prière pour que ta vie soit en « communion » avec le Seigneur Jésus et pour que tu le proclames dans toute sa vérité, lui qui est « le visage de la miséricorde ». Te voilà aussi appelé à prier l’Esprit Saint pour que tu puisses sans cesse discerner le visage de Jésus dans tous ces frères et sœurs vers lesquels tu seras envoyé pour discerner comment les aider à avancer et à découvrir ce que, avec l’Église, tu proclames : Jésus est le Messie, le Christ, le Fils du Dieu vivant. Alors, tu auras la joie du pasteur qui reçoit cette joie de la joie des brebis qui éprouvées, peut-être esclaves, adviennent à la liberté des enfants de Dieu. Que la joie des brebis soit la joie du pasteur ! Amen.

 

[1] Le concile Vatican II nous l’enseigne : « À Dieu qui révèle est due « l’obéissance de la foi » (Rm 16,26 ; cf. Rm 1,5 ; 2Co 10,5- 6), par laquelle l’homme s’en remet tout entier et librement à Dieu dans « un complet hommage d’intelligence et de volonté à Dieu qui révèle » et dans une adhésion volontaire à la révélation qu’il fait. Pour exister, cette foi requiert la grâce prévenante et aidante de Dieu, ainsi que les secours intérieurs du Saint-Esprit qui touche le cœur et le tourne vers Dieu, ouvre les yeux de l’esprit et donne « à tous la douce joie de consentir et de croire à la vérité ». » (Constitution Dei Verbum, n. 5)

[2] François, encyclique Lumen fidei, 29 juin 2013, n. 40.

[3] François, Le visage de la miséricorde, 11 avril 2015, n.12.

[4] Jean-Paul II, Lettre apostolique, 6 janvier 2001, n. 20.

[5] Ibid., n. 33.

[6] François, Exhortation Gaudete et Exsultate, 19 mars 2018, n. 166.

[7] Jean-Paul II, Lettre apostolique, 6 janvier 2001, n. 32.

[8] François, Exhortation Gaudete et exsultate, 19 mars 2018, n. 167.

[9] Ibid., n. 170.

[10] Ibidem

[11] Ibid., n. 173.