Ordination diaconale de Hubert de Charnacé

Le 5 septembre 2019 Hubert de Charnacé a été ordonné diacre en vue du sacerdoce par Monseigneur Alexandre Joly en l’église Saint-Martin à Vitré.

Homélie de Mgr Alexandre Joly

Chers frères et sœurs,

L’apôtre Paul, Saul de Tarse, a un cœur débordant, débordant de joie, d’action de grâce, car le Christ Jésus notre Seigneur, dit-il, « m’a estimé digne de confiance lorsqu’il m’a chargé du ministère » ; pourtant, comment Paul lui-même se définit-il au moment de son appel par le Christ : « moi qui étais autrefois blasphémateur, persécuteur, violent ». La dignité de Paul n’est pas celle qu’il a acquise au moyen de ses forces, de ses choix, de son observance scrupuleuse de la loi, de son zèle pour combattre ceux qui sont considérés infidèles, de ses prises de position, puisqu’il était blasphémateur, persécuteur, violent, à l’opposé du Christ qui est le Fils qui rappelle que seul Dieu est bon, celui qui rétablit par la miséricorde ceux qui sont condamnés ou rejetés, qui se dit lui-même « doux et humble de cœur ». La dignité de Paul, qui le conduit à être chargé du ministère, c’est la grâce qu’il reçoit, jour après jour, et qui lui suffit, c’est la puissance de Dieu qui donne toute sa mesure dans la faiblesse (cf. 2Co 12, 9). Le Seigneur, lorsqu’Il choisit Paul, sait ce qu’Il va faire de lui, l’apôtre des nations ; Il le choisit tel qu’il est, avec son histoire, son tempérament, ses qualités et ses limites, et Il lui donne le don par excellence, le don de la foi, afin qu’il puisse accomplir le ministère qu’Il lui confie. Dieu n’appelle pas des êtres parfaits, Il n’appelle pas des êtres détachés de toute humanité, Il appelle des êtres qui vont se laisser façonner par Lui.

Quel contraste, quelle folie de Dieu ! Lui, « le roi des siècles, le Dieu immortel, invisible et unique », se penche vers l’humanité, descend pour rencontrer les hommes. Le Dieu parfait, bon et juste, choisit le premier des pécheurs, comme Paul se définit dans sa lettre à Timothée, lui faisant miséricorde, afin de montrer « toute sa patience », « donner un exemple à ceux qui devaient croire en lui, en vue de la vie éternelle ».

Aujourd’hui, Dieu choisit Hubert pour le ministère de diacre ; lorsque j’ai demandé au Père de Cointet si Hubert a les aptitudes requises, il m’a répondu : « Le peuple chrétien a été consulté, et ceux à qui il appartient d’en juger ont donné leur avis. Aussi j’atteste qu’il a été jugé digne d’être ordonné ». A la suite de saint Paul, des apôtres, des disciples et des saintes femmes de l’Évangile, notre frère Hubert va recevoir le ministère dont il a été jugé digne : la dignité du ministère se situe dans le don que le Seigneur fait à tous ceux qu’Il appelle à le suivre, le don de la foi, « avec l’amour qui est dans le Christ Jésus ».

La Parole de Dieu qui vient de résonner dans l’église Saint-Martin, comme dans toutes les églises du monde entier qui célèbrent aujourd’hui le jour du Seigneur, présente ce grand don de la foi. Pour parler de la foi, il est question d’animaux : le veau, la brebis, le porc. Le livre de l’Exode rapporte l’épisode du veau d’or, alors que le Peuple de Dieu vient d’être libéré de l’oppression et qu’il est conduit par le Seigneur jusqu’en Terre Promise. Alors que Moïse est en haut, sur la montagne, pour rencontrer Dieu et recevoir les Tables de la Loi, le peuple s’impatiente et fabrique un veau en or, représentant peut-être le dieu Apis qu’ils avaient vu vénérer en Égypte, le symbole de la puissance humaine ; plutôt que s’appuyer sur la puissance de Dieu, dans la confiance, ils préfèrent choisir la puissance humaine, la réussite du monde, et se mettent à vénérer d’autres dieux. Le Peuple est impatient, « alors que Moïse parle avec Dieu sur le Sinaï, il ne supporte pas le mystère du visage divin caché ; il ne supporte pas le temps de l’attente » écrit le Pape François dans sa première encyclique, Lumen fidei (§13).

La foi invite à se laisser conduire dans le mystère, à accueillir la puissance et la lumière de Dieu, à « renoncer à la possession immédiate que la vision semble offrir » ; en répondant positivement à l’appel du Seigneur et en recevant le ministère de diacre, tu fais le choix, Hubert, de renoncer à la réussite humaine et à la possession immédiate, à ce qui est mis en avant habituellement dans notre société. Ce n’est pas le choix d’un échec, bien au contraire, c’est le choix de la victoire, mais celle de Dieu en toi et à travers toi. La foi, don de Dieu, est « une invitation à s’ouvrir à la source de la lumière » écrit encore le Pape François, en « respectant le mystère propre d’un Visage, qui entend se révéler de façon personnelle et en temps opportun » (idem). Un chemin de patience, en quelque sorte, un chemin où tu ne maîtrises pas les choses mais où tu te laisses conduire, dans la confiance, cherchant à toujours mieux découvrir le Visage de Celui que tu choisis aujourd’hui de servir en consacrant ta vie et ton être tout entiers. Le mot hébreu pour parler du veau est le mot « egel » ; mais il y a un autre mot utilisé dans la livre de la Genèse, lorsque Abraham va choisir d’offrir un veau aux visiteurs sous le chêne de Mambré : il offre un « ben », le même mot qui veut dire « fils ».

Aujourd’hui, Hubert, Dieu ne te demande pas d’offrir un veau, d’ailleurs il ne veut pas de ces sacrifices d’animaux, il te demande d’offrir « un esprit brisé, un cœur brisé et broyé » comme nous l’avons chanté dans le psaume ; non pas dans le sens de détruire un cœur, mais l’attitude d’humilité du fils. Dieu t’appelle comme son fils bien-aimé à qui Il confie la charge, le ministère. Il n’est plus question d’adorer une idole ; « l’idole est un prétexte pour se placer soi-même au centre de la réalité, dans l’adoration de l’œuvre de ses propres mains », nous rappelle François ; car alors, « l’homme se disperse dans la multiplicité de ses désirs. Se refusant à attendre le temps de la promesse, il se désintègre dans les mille instants de son histoire ». Le ministère de diacre s’accomplit en celui qui se reconnaît comme fils ; et le fils, lorsqu’il revient à la maison, est source de joie au point que le Père va chercher un autre veau ; non plus le veau d’or que Moïse détruira avec colère, meurtri par l’impatience et l’ingratitude du peuple ; le Père va chercher le veau gras pour manger et festoyer ! Le veau peut donc devenir une idole ou au contraire le signe de la joie de Dieu ! Il en est de même de ta vie : elle peut devenir une idole si tu te places toi-même au centre de la réalité ou bien un lieu de joie si tu te reconnais fils et te comportes comme un serviteur.

Lorsque le jeune fils de la parabole transmise par saint Luc s’éloigne de son père et de la maison paternelle, il s’en va servir les porcs ; cet animal qualifié d’impur dans de multiples religions, est caractérisé par le livre du Deutéronome comme l’animal « qui ne rumine pas » (Dt 14, 8). Il y a bien là le symbole de la vie du croyant : s’il ne rumine pas la Parole de Dieu, s’il ne médite pas dans son cœur les événements et la trace du Seigneur dans sa vie et dans la vie du monde, alors il devient superficiel et charnel. Il peut en être ainsi de certains hommes réputés religieux, à l’image des pharisiens et des scribes qui récriminaient contre Jésus : ils apparaissent religieux en apparence, suivent les traditions, sont admirés des hommes, loués pour leurs nombreuses qualités ; pourtant, ils ne sont pas religieux en vérité et en cœur. La dignité qui te donne de recevoir la charge du diaconat se traduit dans la rumination de la Parole de Dieu, dans le temps gratuit que tu donnes au Seigneur, dans le silence du cœur et de la prière, dans cette amitié avec le Christ qui te pousse à le servir et à servir les autres, comme un fils bien-aimé.

En devenant diacre, tu es pour toujours configuré au Christ qui s’est fait le serviteur de tous. La prière sur les offrandes, accompagnant l’offrande du pain et du vin, recentre le ministère sur le Christ lui-même : « Avant de s’offrir à toi, Père très saint, ton Fils voulut laver les pieds de ses disciples pour nous donner un exemple d’amour (…) ; pour que nous puissions nous offrir nous-mêmes dans le sacrifice du Christ, accorde-nous le même esprit d’humilité et de service » (Prière sur les offrandes). Jésus s’est fait le serviteur : Il met son tablier et s’abaisse devant ses disciples pour leur laver les pieds. Le Christ n’est autre que le Serviteur des serviteurs, le Serviteur qui donne sa vie pour ses brebis, qui « reste silencieux comme une brebis devant ceux qui la tondent » dans le livre du Prophète Isaïe (Is 53, 7) : le Christ laisse sa vie pour les brebis d’Israël, pour leur donner de la pâture en abondance. Recevant la charge de diacre, tu vas annoncer la Parole, lire l’Évangile, prêcher. Le Christ commence son ministère public en annonçant le Royaume de Dieu ; son annonce trouve son accomplissement dans l’offrande de sa vie. Le ministère de la Parole trouve son sens et sa vérité dans le don de soi, dans l’amour pour tout le troupeau, pour toutes les brebis. Ton choix du célibat pour le Royaume de Dieu est un signe prophétique, le signe profond de ton ministère et de sa véritable finalité, comme nous l’entendrons dans la Préface : « Ils seront de vrais témoins de la foi et de la charité, prêts à donner leur vie pour ta gloire et le salut du monde, en se conformant au Christ » (Préface).

L’Église se réjouit aujourd’hui parce que le Seigneur a choisi Hubert et l’a estimé digne de confiance pour lui confier le ministère de diacre. Prions pour que notre frère Hubert vive de la foi et de l’amour du Christ Jésus, que sa vie soit une offrande agréable à Dieu, qu’il rumine la Parole jour après jour, se découvre toujours plus comme un fils appelé à donner sa vie pour la gloire de Dieu et le salut du monde, en se conformant à celui qui est le Fils par excellence, le Christ, lui qui a donné sa vie pour ses brebis, toutes les brebis, et qui nous conduit jusqu’à la joie de la vie éternelle que nous goûtons déjà en célébrant l’eucharistie. Amen.

Consultez également