Mgr d’Ornellas : « Noël, c’est le monde mis à l’endroit »

Mgr Pierre d’Ornellas, archevêque de Rennes, Dol et Saint-Malo, délivre son message de Noël. Une fête qui, derrière son aspect mercantile, invite à l’amour et l’accueil, notamment des migrants.

Paru dans Ouest France du 23/12/2017, en ligne sur cette page

Noël ! Quelle fête bouleversante pour tant de croyants !

Quelle prodigieuse magie chez toute une société ! Jamais je ne m’y habituerai. Pourtant, je me sens osciller entre deux attitudes.

D’une part, regretter, parfois avec tristesse, que « Noël » devienne de plus en plus une marque commerciale, que toute enseigne accroche à sa devanture, matérielle ou virtuelle, afin d’allécher le client. Sans doute, ce show commercial assure-t-il du travail à nombre de nos concitoyens. Mais derrière ces scintillements, on perçoit mille et une attentions de celles et ceux qui font des courses pour trouver le bon cadeau : offert avec amour, il traduit le désir de donner de la joie. Qu’il est beau de s’imprégner du vrai motif de ce commerce d’avant Noël. Que de cadeaux offerts en famille ! Que de gestes d’amour les uns envers les autres ! Les visites aux crèches l’expriment. Là brille une lumière pour nos vies, pour nos familles.

Cadeau inattendu

D’autre part, entrer plus profondément dans le sens spirituel de cette inimitable fête : Dieu, en son trop grand amour, se fait petit enfant aux portes de Bethléem, c’est-à-dire parmi les pauvres. Voilà le cadeau inattendu de Dieu pour tous ! Beaucoup le reçoivent avec foi, d’autres avec un secret désir d’en être illuminés. Avec la venue en notre chair du Fils de Dieu, qui sera appelé « Jésus-Christ », naît le christianisme, religion où Dieu dévoile tout son visage : pour Lui, l’amour envers les plus fragiles et les plus pauvres est premier.

Un renversement copernicien

Oui, Noël instille en notre histoire un renversement copernicien. Il est déjà préfiguré par le peuple hébreu et vécu par bien des familles juives aujourd’hui. Leur Bible nous rapporte la prédilection de Dieu pour le « coeur brisé », le « tout-petit », « la veuve et l’orphelin », « l’immigré ». Ce renversement est annoncé dans la malédiction de Caïn qui, par sa force irréfléchie, tue Abel, son frère. Et aussi dans le récit du petit David qui vaincra le puissant Goliath.

Stoppez vos guerres absurdes

En vérité, la force du « complexe de Caïn » est une dramatique faiblesse qui n’enfante que duretés, non-sens et guerres, sources de souffrances et de morts innocentes. À Noël, face à l’Enfant né de Marie, son humble mère, face à tout enfant et ses parents qui l’aiment, cette force-là est révoltante : bien que dérisoire et éphémère, elle sème douleurs, inégalités et mépris qui blessent durablement. À Noël, on voudrait hurler : stoppez vos guerres absurdes, cessez vos inutiles conflits, arrêtez vos orgueilleuses volontés de puissance !

Le temps de la réconciliation

Noël, c’est le monde mis à l’endroit. C’est le temps de la réconciliation pour qu’advienne la paix : le tout-petit reçoit la première place aux yeux de Dieu et de ceux qui accueillent son message. Dieu lui-même vient prendre sa place : « Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait », dira Jésus devenu grand. Tant de femmes et d’hommes reconnaissent cette valeur comme primordiale ! Construire notre société à partir de la « périphérie », et non de son « centre », comme le souhaite le pape François, voilà qui lui garantit d’être humaine et pacifique.

Une révolution sismique

Noël ? Une révolution sismique à mettre en oeuvre en renonçant à la force et à la dureté qui, gonflées d’orgueil, ne sont que folles vacuités. Qu’il est sage de se laisser toucher par la faiblesse qui fait surgir en nous une douceur pleine de force : par elle, nous nous accueillons comme des frères, dignes de l’humanité qui nous habite, et nous faisons la paix. À chaque visiteur, l’enfant de Bethléem offre le cadeau de la paix.

Un amour vrai

Dieu veut la paix. Le pauvre, sur nos routes, relaye son appel : voudrais-tu, s’il te plaît, laisser sortir de toi un amour vrai, simple, délicat, confiant et gratuit qui donne paix ? Ne ferais-tu pas alliance avec moi dans une amitié qui te conduirait à l’essentiel en quittant la superficialité et en te libérant des chaînes addictives des faux pouvoirs ? Viens vivre avec simplicité dans l’espérance et la joie qui sont tapies au fond de toi et qui ne demandent qu’à s’exprimer. Alors, Bethléem risque de devenir ton propre coeur.

Neuf mois de galères

Une femme m’a récemment montré que Bethléem n’est pas loin. Je la salue à la sortie d’une église en lui demandant le prénom de son petit bébé dormant dans son landau. Cette femme a traversé, enceinte, les affres du voyage des immigrés passant par la Libye pour venir jusqu’à Rennes. Près de neuf mois de galères et d’angoisses. À peine arrivée, elle est dirigée vers une maternité : elle accouche le lendemain. Immédiatement, grâce à l’appel d’un prêtre, un réseau de solidarité aimante accueille la mère avec son nouveau-né, sans papiers.

« Tu as du prix à mes yeux ! »

Quels Noëls admirables sont fêtés partout où un « petit » est accueilli avec empressement et reçu avec reconnaissance pour le don qu’il est. Selon la Bible, Noël nous révèle son seul et vrai papier d’identité : « Tu as du prix à mes yeux ! »

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