Réfugiées ukrainiennes en Bretagne : le temps de la reconstruction

Les témoignages de Greta et Tetiana montrent qu’il faut du temps pour se reconstruire après le choc du déracinement

Propos recueillis par Yann Béguin.
Merci à notre traducteur Maksime : ukrainien, arrivé en France en 2008 et membre de l’association Solidarité Bretagne-Ukraine.

Greta et Tetiana, ukrainiennes, son arrivées en avril 2022 à Rennes. Elles échangent en feuilletant l'album photo de leur arrivée
Greta et Tetiana, ukrainiennes, son arrivées en avril 2022 à Rennes. Elles échangent en feuilletant l'album photo de leur arrivée

Greta, 36 ans, célibataire, travaillait dans un atelier de couture. « J’étais en train de lancer mon propre atelier. J’avais dépensé tout mon argent pour acheter le matériel. J’ai tout laissé chez ma mère et ma grand-mère, qui ont insisté pour que je parte. Ça a été un grand choc de partir ! J’ai pris un train d’évacuation. Je voulais rendre service et m’engager comme volontaire, mais on m’a dit que mon problème de santé m’en empêchait. » En arrivant avec le car de la Diaconie à Rennes, elle croit « arriver dans un autre centre de réfugiés, comme à Varsovie. Je me sentais comme un pion qui ne pouvait rien décider. » Mais très vite elle change de point de vue : « Je n’imaginais, en arrivant ici, être entouré ainsi, que l’on s’intéresse à moi. C’était comme un rêve. »

La situation de Tetiana, 41 ans et 3 jeunes enfants, est très différente. « Mon mari en Ukraine était ultra-orthodoxe. Il prenait ses informations sur des sites d’information pro-Russe et m’empêchait de sortir dans la rue. Un mois après le début de la guerre, il nous a abandonné et je me suis alors rendu compte de ce qui se passait. Je me suis enfuie avec mes 3 enfants, aidé par des volontaires. J’ai pu rejoindre Kviv puis Varsovie. J’étais très stressée. »

La plus jeune voyageuse et sa maman
La plus jeune voyageuse du car et sa maman, Tetiana, à leur arrivée en France

S’insérer en France ne sera pas si simple. « J’ai fait un stage de langue puis un stage d’insertion professionnelle. Au début je n’arrivais pas à me mettre à apprendre le français. Quand j’ai vu que ma fille de 5 ans progressait bien, j’ai pris conscience qu’il fallait que je reprenne goût à la vie et que j’entre en relation avec les gens. Maintenant, au Restau du Cœur, quand je leur parle en français ils m’encouragent, me répondent et ils me donnent ce que je souhaite comme produits. Pareil à l’hôpital. C’est beaucoup de joie. »

Greta a du mal à s'insérer en France : elle va rejoindre sa sœur réfugiée au Canada
Greta a du mal à s’insérer en France : elle va rejoindre sa sœur réfugiée au Canada

Pour Greta aussi, la langue reste un point de blocage. « J’apprends un peu le français avec la famille qui m’accueille. Mais je n’y arrive pas car je suis trop stressée et je m’en veux. Je ne vois pas mon futur. Les actualités ukrainiennes et mondiales ne sont pas bonnes. » Angoissée, elle dort mal et n’arrive pas à se concentrer. « J’ai du mal à voir des gens même si je sais qu’il faudrait que je communique plus. La famille qui m’accueille fait beaucoup d’efforts pour me réjouir et me faire voyager, mais je reste très déprimée. » Elle ne travaille pas : « J’ai fait trois essais en intérim, mais c’est difficile de faire confiance et cela complique en fait ma situation financière. »

Beaucoup de choses sont difficiles à accepter : « Ici, j’ai été nourri et logé : ce n’est plus moi qui résout mes problèmes. C’est difficile à accepter ! En Ukraine nous ne sommes pas habitués à cette entraide. Même si a changé avec la guerre. » Elle a pris une grande décision : « Je vais rejoindre ma sœur au Canada, ce sera plus facile à ses côtés. Mon projet c’est de gagner de l’argent pour soutenir ma famille restée en Ukraine. Je voudrais aussi aider les ukrainiens, je me sens coupable d’être loin de mon pays. »

Tetiana se dit désormais heureuse en France, mais il a fallu du temps pour y arriver
Tetiana se dit désormais heureuse en France, mais il a fallu du temps pour y arriver

Très croyante – elle a suivi des cours de théologie orthodoxe en Ukraine et porte toujours une petite Bible – elle aime aller à la messe en France. « J’ai emmené avec moi l’image d’une icône de St Nicolas, le saint patron de l’Ukraine : je voudrais le réaliser en broderie. »

Tetiana est plus optimiste pour son avenir : « Aujourd’hui, je me sens heureuse d’être entourée et soutenue par des personnes enthousiastes et altruistes. L’association m’a redonné une fondation et une impulsion vers l’avenir. Je dois utiliser cette chance. »