Choisir sa mort : sommes-nous au bord d’une rupture anthropologique ?

Au moment où le débat sur la fin de vie revient dans l’actualité, le colloque du 28 septembre 2022 à Rennes interpellait notre société et chacun de nous : « Choisir sa mort : quels enjeux aujourd’hui, pour toi et moi ? ».

Organisé par l’Espace Bonne-Nouvelle, ce colloque était une première dans la basilique Saint-Aubin, tout juste ré-ouverte au culte. Cette église du centre-Rennes accueille, depuis décembre 2021, une exposition géante sur le bienheureux Marcel Callo. Elle inaugurait, par cette soirée sur la fin de vie, une programmation dédiée à des thématiques touchant à la foi et à la culture.

2e plateau de la soirée : l'équipe des soins palliatifs de la clinique St Laurent de Rennes et la chienne Laponie

Soins palliatifs : au-delà du soin

Au centre de ce colloque, une séquence a sans doute plus particulièrement touché les 500 participants : la présentation des soins palliatifs, tels qu’ils sont vécus à la clinique Saint-Laurent de Rennes. Marie-Laure de Latour, médecin responsable de ce service, a présenté la réalité de son travail, accompagnée d’infirmières et d’aides-soignantes de son équipe, témoignant toutes de l’admirable accompagnement des soins palliatifs. Une démarche très pointue sur le plan médical, doublée d’une écoute des besoins du patient afin « d’ajouter de la vie » dans les derniers moments.

Dr Marie-Laure de Latour
Responsable des Soins Palliatif de la Clinique Saint-Laurent de Rennes
Qu’est-ce que les soins palliatifs ?

Témoignage de personnels soignants
Caroline, Emilie, Valérie et Véronique – Clinique Saint-Laurent de Rennes
Accompagner les patients en soins palliatifs

« Depuis 10 ans, dit l’une d’elle, je n’ai entendu aucun patient demander réellement la mort. Par contre, très souvent les demandes de mort surviennent au moment de l’agonie, ce sont les proches qui la demande. » Une autre complète avec audace : « L’agonie, c’est une phase nécessaire, peut-être la plus importante de notre vie. » En conclusion de ces témoignages, Véronique Bonnefond, bénévole de l’association Handi’chien, a présenté l’action de Laponie, une belle chienne noire. Chaque semaine, Laponie va à la rencontre des patients du service de soins palliatifs de la clinique Saint-Laurent. Réconfortant les angoisses par sa douceur, Laponie symbolise peut-être toute l’attention aux personnes en fin de vie que cette rencontre à Rennes souhaitait valoriser : « créer du lien au-delà du soin » expliquait son accompagnatrice.

1er plateau (de g. à d.) : Dr Marie-Laure de Latour, Pr Vincent Morel, Pr Jean-René Binet, Pr Damien Le Guay

Supprimer un interdit fondamental anthropologique ?

Bousculant ainsi certaines idées reçues, ces témoignages d’expérience sur les soins palliatifs venaient après plusieurs interventions consacrées à un état des lieux de la fin de vie en France. « Le sujet, c’est ‘le mourir’, pas la mort » avertissait d’entrée de jeu le philosophe Jacques Ricot, de la faculté de Nantes, concluant « L’alliance thérapeutique est en danger ! » Le docteur Vincent Morel, directeur des soins palliatifs au CHU de Rennes, se voulait plus pondéré : « Il me semble intéressant de réfléchir aux points qui nous unissent plutôt que d’entrer dans un débat binaire pour ou contre. Pour 9 personnes sur 10 qui demandent à mourir, on va trouver une solution de soin. Reste la question de l’autonomie, de la liberté. »

Pr Vincent Morel
CHU de Rennes, directeur des Soins Palliatifs
Quelle réaction sur l’avis du CCNE ?

 

Pr Jean-René Binet
Professeur de droit privé à l’Université Rennes 1
As-t-on besoin d’une nouvelle loi ?

 

Une question de société, pas une question médicale

« Est-ce qu’on est au bord d’une rupture anthropologique ? » C’était aussi la crainte de Damien Le Guay, philosophe, maître de conférence à HEC et l’Espace Éthique. Il interrogeait « les conditions démocratiques du débat » et disait ne pas comprendre l’argument « éthique » du CCNE pour « accorder le doit à l’euthanasie ». Pour lui, les questions sont nombreuses : la notion d’indignité, la culpabilité de l’entourage, le manque d’accès aux soins palliatifs, la question économique sous-jacente, la responsabilité de la décision de donner la mort…

3e plateau (de g. à d.) : Pr Jacques Ricot, Dr Claire Fourcade, Mgr Pierre d’Ornellas

Après les émouvants témoignages de l’équipe de soins palliatifs de la clinique Saint-Laurent de Rennes, qui partageaient, au-delà de l’émotion, une expérience très concrète du vécu de la mort, s’ouvrait un temps de prises de position articulé autour de la question : si certaines orientations sont prises, est-on libre de penser autrement ? C’est bien sûr par l’affirmative que répondait Claire Fourcade, médecin de soins palliatifs et présidente de la Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs (SFAP). « Nos patients ne prennent pas la parole dans le débat, mais nous, nous pouvons témoigner de ce que nous entendons. La place des soignants est importante. »

Remarquant le manque de moyens attribués aux soins palliatifs, elle souhaitait avant tout pointer la « question de société », ce n’est pas « une question médicale » ! « La loi actuelle dit au patient un message de la société : ‘Vous comptez pour nous, on va tout faire pour vous soulager’. Si le message change, pour des gens vulnérables, cette injonction à être autonome et décider de sa vie et de sa mort, peut être difficile. »

Pr Damien Le Guay
Philosophe, Maître de conférence à HEC et à l’Espace éthique
Euthanasie d’un point de vue éthique et humain

 

Dr Claire Fourcade
Présidente nationale de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs
Quelle est la place des médecins dans ce débat ?

 

L’autonomie est toujours relationnelle

Mgr Pierre d’Ornellas s’est placé du côté de regard de la foi : pour le chrétien, « l’être humain est un être en relation. L’autonomie est toujours relationnelle, elle n’est jamais une liberté absolue. Il y a, à ce niveau, un défaut de réflexion » propre sans doute à notre « société individualiste ». Mais l’Archevêque de Rennes se veut porteur d’une « espérance formidable ». « De cette façon, nous continuerons à accompagner la fragilité. Je parie que, peu à peu, les consciences seront éclairées. » Il rappelait tout de même que « l’interdit de tuer est une lumière fondatrice et non une intransigeance », comme le désigne le CCNE. « C’est tout le projet biblique de construire la fraternité ! »

Le philosophe Jacques Ricot, intervenait en final pour constater avec force : « Il y a une confusion mentale à dire que l’on continue le soin au moment où on l’arrête. » « Où en sommes-nous de nos démocraties fatiguées pour dire à quelqu’un qui souhaite mourir : oui, il est normal que je t’aide à disparaître ? »

Mgr Pierre d’Ornellas
Archevêque de Rennes, responsable groupe de réflexion bioéthique de la Cef
La fraternité se construit à partir des plus fragiles

 

Pr Jacques Ricot
Professeur de la Faculté de Nantes
Est-on libre de penser autrement ?

 

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